La mémoire , une forme de connaissance
La mémoire
Chez les peuples sans histoire écrite, les informations concernant le passé du groupe sont contenues dans des symboles, dans des mythes, dont nous verrons toute l’importance et la relation étroite qui les lie au temps. Ces informations sont matérialisées périodiquement par des rites, des cérémonies collectives, des chants et des récits sacrés, des croyances traditionnelles. Ces rites prennent des formes très variées, qui ont souvent un rapport avec le temps. Les moines bouddhistes apprennent et récitent ensemble les textes sacrés, au même rythme psalmodié, en se balançant, comme le font aussi les musulmans en prière collective. Le fait d’égrener un chapelet en murmurant, comme en ont l’habitude les chrétiens orientaux, participe de la même volonté d’évoquer de façon rythmée une mémoire commune.
La mémoire collective est aussi une forme de connaissance, car elle garde le souvenir de faits marquants qui se sont déroulés dans un passé plus ou moins lointain, et qui échapperaient à la mémoire des hommes s’ils n’étaient préservés sous une forme symbolique, laquelle devient donc essentielle pour l’histoire de la communauté. Ces souvenirs se traduisent publiquement dans la vie quotidienne du groupe par des fêtes rituelles, toujours considérées comme très importantes et dont beaucoup prendront plus tard un caractère religieux. Privés de l’histoire de leur groupe et de ces représentations de souvenirs communs, les hommes seraient frustrés d’une part d’eux-mêmes, car ces souvenirs collectifs ont toujours un sens par rapport à la vie du groupe et influent donc sur le comportement de chacun. La plupart des civilisations sans écriture sont habitées par leur passé, car c’est en lui qu’elles trouvent les éléments de leur identité collective. Elles y attachent une importance bien plus grande qu’à l’avenir, pour lequel les membres de ces groupes ne manifestent généralement que peu d’intérêt.
La mémoire qui permet la transmission des souvenirs communs s’exerce, comme toute mémoire, d’une façon sélective, les critères de souvenance étant essentiellement ceux qui possèdent une importance pour le système de représentations de la collectivité, pour le maintien de ses croyances, de son mode de vie. Toute forme de mémorisation contient obligatoirement une interprétation de l’information. Les événements ne se fixent dans le souvenir commun qu’au prix de certains choix, conscients ou inconscients. Il ne faut donc pas chercher dans ces traditions orales ce que nous appelons la vérité historique. Il n’existe pas de version de référence de ces récits, il peuvent exister sous diverses formes. En revanche, ils contiennent toujours ce qui justifie l’identité du groupe, on pourrait presque dire sa raison d’être, l’essentiel de son passé ressenti, vécu.
Cela passe par des interprétations qu’ont parfois du mal à comprendre les ethnologues, à la mentalité trop logique, trop moderne. Les hommes qui transmettent et utilisent ces récits mythiques, légendaires, ne cherchent à se souvenir que d’éléments qui ont une signification importante pour la vie actuelle de leur société. Le reste ne les intéresse pas. Cette mémoire collective s’est quelquefois traduite sous d’autres formes, par des monuments, par exemple, ou des totems. La destruction de ces sites, comme cela se passa en Amérique du Sud lors de la conquête espagnole, fut toujours une tragédie pour les communautés qui voyaient ainsi anéanties les traces éminemment visibles, mais surtout dotées d’un profond symbolisme et donc profondément respectées, de leurs traditions, de ce qui fondait et formait leur histoire, donc leur culture.
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