Les écoulements concentrés: mesure, caractérisation et rythmes
Le terme d’écoulement implique à la fois la concentration des eaux dans une dépression du relief et leur cheminement suivant un tracé préférentiel. Mais que de différences, au long d’un même organisme fluvial, entre les ramifications originelles de l’amont et le collecteur principal à son arrivée à la mer ! Que de diversité aussi dans les aspects et les comportements des cours d’eau, le même terme générique désignant torrents impétueux descendant des montagnes, filets d’eau paressant au milieu de prairies ou cascadant au fond de gorges profondes, rivières ou fleuves majestueux de grandes vallées alluviales… Pourtant le but des recherches potamologiques, à toutes les échelles d’espace et de temps, reste fondamentalement le même : à la fois la connaissance la plus complète des débits en vue d’établir des bilans d’écoulement à différentes échelles, et l’examen des modalités de ces écoulements fluviaux (ou fluviátiles) dans leur cadre géomorphologique.
La mesure des écoulements
L’hydrométrie, ou mesure des flux d’eau, fournit, à partir d’observations directes et de calculs, les bases numériques indispensables à l’hydrologie et à la dynamique fluviales.
Les mesures de hauteur
Les données les plus anciennes portent sur les hauteurs d’eau, atteintes par les rivières. À cause du rôle irremplaçable que jouent les cours d’eau dans toutes les activités humaines, on a depuis longtemps cherché, par des lectures régulières mais discontinues, à surveiller les états critiques du niveau atteint par les eaux et à fixer les « cotes d’alerte » en cas de menace imminente de débordement ou de pénurie. Le « nilomètre » vieux de 4000 ans, découvert sur le mur d’un corridor accessible seulement aux prêtres dans l’île Eléphantine, près d’Assouan, servait à fixer l’impôt annuel en fonction du niveau du fleuve1… Le zouave du pont de l’Alma sert traditionnellement de repère de crue aux Parisiens; les échelles limnimétriques modernes, référence obligée de tout suivi des débits, n’en sont que les héritières moins poétiques .
Actuellement les hauteurs de l’eau sont enregistrées en continu par diverses méthodes : longtemps un simple flotteur entraînant un enregistreur graphique par l’intermédiaire d’une poulie, le plus souvent aujourd’hui des sondes à ultrasons avec enregistrements électroniques, dont les données peuvent être télétransmises, et dont les dépouillements sont automatisés. Ces dépouillements automatiques n’ont pourtant pas que des avantages, et la critique des enregistrements, phase obligée lors des anciens enregistreurs graphiques, doit être faîte avec d’autant plus de soin qu’elle n’est plus incontournable.
Mesure des débits instantanés
Méthode par exploration du champ de vitesse : la mesure du débit par exploration du champ de vitesse repose sur trois paramètres, déterminés lors d’un jaugeage : le profil transversal du cours d’eau à l’endroit de la mesure, la hauteur de l’eau dans la rivière qui, avec le profil, délimite la section mouillée, et la vitesse d’écoulement. Le débit est le produit de la vitesse par la section mouillée.
Le profil transversal peut être celui du lit naturel, à condition d’être le moins mobile possible, ou bien un profil construit en travers de la rivière. L’intérêt de seuils de jaugeage standardisés est de permettre l’utilisation de formules pour l’estimation du débit , et notamment de faciliter l’extrapolation de la courbe de tarage.
La vitesse est la plus difficile à connaître car elle n’est pas la même sur toute la largeur et la profondeur du profil. La technique de mesure la plus courante consiste à plonger dans le cours d’eau, face au courant, un moulinet hélicoïdal (dont le nombre de tours par unité de temps est proportionnel à la vitesse du courant), à relever les vitesses du courant en des points nombreux sur plusieurs verticales de la section mouillée, puis à calculer la vitesse moyenne. Ce type de jaugeage est une opération longue, requérant un personnel spécialisé. Il ne peut être pratiqué que ponctuellement et seulement si les eaux en crue ne sont pas répandues, au-delà des berges, dans un champ d’inondation.
La mesure précise et continue de la vitesse moyenne a été un progrès considérable. Elle est obtenue soit par la méthode des ultrasons, basée sur le ralentissement de l’onde ultrason qui traverse la rivière en fonction de la vitesse du courant (employée sur les rivières larges et profondes ou canalisées, sans qu’il soit nécessaire d’interrompre le trafic commercial), soit par la méthode électromagnétique dans laquelle des électrodes placées en opposition sur chaque rive détectent une tension induite, produite par l’écoulement de l’eau à travers le champ magnétique. Grâce à un calculateur réglé sur le profil du cours d’eau et dans lequel sont introduites les valeurs de la hauteur d’eau et de la vitesse, le débit peut être connu à tout moment.
Jaugeage aux flotteurs : cette méthode est beaucoup moins précise que les précédentes. Elle permet cependant d’estimer le débit d’un cours d’eau, sans matériel particulier, comme sans préparatifs, ce qui est avantageux, par exemple, lors d’une crue inopinée ou en l’absence d’une station de jaugeage. Basée sur les seules vitesses de surface, elle utilise des flotteurs naturels ou fabriqués, troncs d’arbres, épaves, tous corps flottants suffisamment lourds ou judicieusement lestés pour être représentatifs de la vitesse du courant. Après plusieurs mesures, la vitesse n’étant pas la même sur toute la largeur, on calcule une vitesse moyenne de surface, Vms, à partir de laquelle sera obtenue la vitesse moyenne sur la section mouillée, à l’aide de la relation suivante : Vm = k* Vms avec 0,84<k<0,90 et si le fond est lisse : 0,88<k<0,90
Une section mouillée moyenne est déterminée après plusieurs mesures transversales le long du parcours pris en compte et les observations effectuées a posteriori dans le lit, lorsque les eaux de crue se sont retirées.
Dans l’impossibilité d’appliquer l’une de ces méthodes, surtout en période de crues fortes et rapides, on peut leur substituer lesformules de l’hydraulique, moyennant des observations précises sur la pente superficielle des eaux, la rugosité du lit et le rayon hydraulique (quotient de la surface de la section mouillée par son périmètre). Des formules de ce style sont aussi utilisables lorsque le seuil est aménagé, avec un profil standard.
Méthode par empâtement’, pour de faibles débits, un jaugeage global « à la bassine » peut être suffisant : il faut se débrouiller pour faire déverser l’ensemble du débit dans un récipient, et mesurer à la fois le volume et le temps de remplissage. Un simple sac plastique, dont on mesure ensuite le contenu, peut donner des informations intéressantes. Des jaugeages de ce style sont souvent suffisants pour la mesure des débits d etiage de petits cours d’eau, ou ceux d’une source destinée à alimenter la fontaine d’un village. Elle est par exemple utilisée avec efficacité par certaines ONG pour calculer la répartition de l’eau entre différents villages lors d’adduction d’eau gravitaire dans des villages du Nord du Laos.
Méthode par dilution : sur des rivières très turbulentes, peu profondes, au lit instable et irrégulier, quand l’exploration du champ de vitesse est impossible, on peut effectuer encore de très bons jaugeages par la méthode de dilution ou méthode chimique. Celle-ci consiste à injecter, en un point du cours d’eau, un traceur en solution de concentration connue, et à relever sa concentration dans une section située à l’aval. Le débit est déduit du rapport entre la concentration initiale de l’injection et la concentration mesurée. Si cette méthode est particulièrement adaptée aux torrents de montagne dans lesquels le brassage est assuré, elle peut aussi être appliquée à des cours d’eau plus calmes à condition de prendre une «longueur de bon mélange » suffisante.
Courbe de tarage
Quand de nombreux jaugeages ont été pratiqués, en un site ou station de jaugeage, on établit la courbe de tarage de cette station, courbe qui exprime la corrélation entre les hauteurs d’eau dans la rivière et les débits, et dont un exemple est fourni en « application ».
Ainsi sera-t-il facile, ensuite, à n’importe quel moment, de connaître les valeurs de débit, à partir de mesures de hauteurs relevées en permanence par le limnigraphe du site.
L’évaluation des débits des cours d’eau, basée sur l’établissement d’une courbe de tarage, qui procède davantage de calculs que de mesures directes, est donc une opération fort délicate et les sources d’erreurs nombreuses. Les fautes peuvent résulter d une médiocre courbe de tarage, d’autant plus incertaine que les jaugeages sont peu nombreux, le lit de la rivière variable et la section mouillée complexe : pour presque toutes les stations les courbes sont extrapolées vers le haut comme vers le bas pour obtenir les débits correspondant aux cotes des plus grandes crues au cours desquelles les rivières ne peuvent être jaugées, ou aux cotes des débits très faibles. La qualité des appareils, leur maniement plus ou moins aisé, l’application de formules exposent aussi à des erreurs matérielles. Lors d’un jaugeage de l’Allier avant sa confluence avec la Loire, au pont de la R.D. 976, en saison de basses eaux (septembre 2000), l’équipe de jaugeurs estimait l’erreur sur la mesure ponctuelle des débits à 5 %, et celle sur les débits annuels à 10%. Or, ici, les jaugeages sont probablement parmi les plus rigoureux qui puissent être réalisés sur des fleuves de cette taille (B.V. de 14340 km2, module d’environ 140 ) et de ce type de lit mobile.
Pourtant, avoir de bonnes données est essentiel dans toutes les démarches de la recherche hydrologique, que les objectifs soient fondamentaux ou appliqués. La nécessité absolue d’une critique des données est d’autant plus d’actualité que 1 automatisation des acquisitions ne rend plus indispensables certains contrôles visuels.
La connaissance des débits permet d’étudier avec précision leur variété dans l’espace, leurs variations dans le temps et les causes, naturelles ou artificielles de ces variations; en un mot: les régimes fluviaux.