Le radium
Le radium
En ce début de xxe siècle, alors que la course à la découverte se précipite, Pierre et Marie Curie en semblent étrangement absents. En fait, il n’en est rien, mais les deux chercheurs se sont attaqués à un projet immense : séparer une quantité importante de ce nouvel élément qu’ils viennent de découvrir, le radium.
De ces années naîtra la légende de Marie Curie. Avec un courage incroyable, elle s’attaque à une tâche qui relèverait plus de la production industrielle que de la recherche scientifique, si les moyens dont Pierre et elle disposent n’étaient pas aussi dérisoires. Ils ont fait venir de Bohème des tonnes de résidus de pechblende et à partir de ces énormes quantités de matière, qu’ils vont traiter chimiquement dans de gigantesques chaudrons, puis raffiner dans des récipients plus petits, mais dans une ambiance d’intense radioactivité, ils finiront par isoler une quantité suffisante de chlorure de radium pour pouvoir déterminer, en 1902, la masse atomique de ce nouvel élément.
L’image de cette jeune femme, mélangeant ces produits dans de grands baquets fumants, au milieu de la cour de l’École de physique et chimie industrielles de Paris, ou dans le hangar mal chauffé qui leur avait été attribué, a marqué les imaginations. Plus tard, en 1910, Marie Curie parviendra à isoler le radium pur à l’état métallique. Une coupelle contenant la précieuse substance est représentée sur la figure. Cette image aussi a frappé les esprits. En effet, la coupelle baigne dans une lumière diffuse qui matérialise, en quelque sorte, la radioactivité du radium. Bien entendu, les rayonnements émis par cet élément sont invisibles, mais ils excitent les molécules d’air entourant la coupelle, qui, en retour, émettent cette magnifique lumière bleutée. Cette lueur ne s’éteignait jamais et, toujours sous l’action des intenses radiations du radium, la coupelle, telle une de ces lampes que l’on rencontre dans les contes et légendes, dégageait aussi, en permanence, une douce chaleur…
Le radium allait bientôt devenir l’étalon de radioactivité, et l’unité correspondante, le curie, serait définie comme l’activité d’un gramme de radium (37 milliards de désintégrations par seconde). Mais, en 1903, une question essentielle restait posée : d’où provenait l’énergie de ces rayonnements ? La réponse à cette question ne devait pas trop tarder, mais d’ores et déjà la découverte du radium allait connaître un grand retentissement.
Plusieurs raisons expliquent la vogue sans précédent qu’a connue le radium. La première d’entre elles tient à la personnalité de Marie Curie. C’était une jeune femme qui – en collaboration avec son mari – avait fait cette grande découverte, et les femmes scientifiques étaient assez rares à cette époque pour que ce simple fait soit remarquable. La seconde raison, c’était l’atmosphère de magie qui semblait entourer ce radium aux propriétés mystérieuses, dont les rayonnements invisibles pouvaient être perçus grâce à la chaleur qu’ils apportaient. La troisième raison, la plus importante, allait venir des propriétés biologiques de ces rayonnements.
Ce furent deux Allemands, Walkoff et Giesel, qui, en 1900, annoncèrent que le radium pouvait provoquer des brûlures de la peau. Pierre Curie décida de reproduire ce type d’expérience sur lui-même. Il plaça sur son bras, pendant dix heures, une source de rayonnements dont il qualifia l’activité de « relativement faible ». Il observa, lui aussi, l’apparition de rougeurs, puis, le vingtième jour, la formation de croûtes, auxquelles succéda une plaie suppurante. Après traitement, la plaie se referma, laissant cependant subsister une trace grise révélant une mortification plus profonde des chairs. Henri Becquerel fit involontairement la même expérience : ayant emprunté un échantillon de radium à Marie Curie, il l’emporta avec lui pour illustrer une conférence qu’il faisait en Angleterre. Le petit tube scellé, qui contenait quelques décigrammes de chlorure de baryum enrichi en radium ¿tait enveloppé de papier et placé dans une boîte en carton. Cette boîte voyagea dans la poche du gilet du physicien. Une dizaine de jours plus tard, une tache rouge, reproduisant la forme du tube, apparut sur sa peau, en regard de la poche en question. Encore dix jours plus tard, la peau tombait et une petite plaie se creusa. Cette lésion fut soignée avec des pansements, et la plaie se ferma environ cinquante jours après l’action des rayonnements, laissant une cicatrice oblongue.
Henri Becquerel et Pierre Curie publièrent ensemble le résultat de leurs observations en juin 1901.
Cette action physiologique des rayonnements du radium donna aux médecins l’idée de s’en servir pour traiter des cancers. Il faut d’ailleurs noter que les rayons X étaient déjà utilisés à cet effet depuis 1896, et que la guérison d’un cancer de la peau par action de ces rayons avait été obtenue en Suède dès 1901. Au début, les tentatives de traitement par le radium subirent quelques échecs, mais en 1905, la technique s’étant améliorée, on notait les premiers succès de ce qui deviendrait la « curiethérapie », c’est-à-dire l’application de radium, dans les traitements des cancers de la peau et de l’utérus. Il faut dire qu’à cette époque, les guérisons de ce type de maladie étaient exceptionnelles. Tous types de cancers confondus, elles ne représentaient que cinq pour cent des cas. Dans ces conditions, à partir du moment où l’on fut capable de guérir 50 % des cancers de la peau par application de radium, cette substance « naturelle », dont la vente était libre, devint une véritable potion magique. Il s’ensuivit un grand engouement pour le nouvel élément et une notoriété inégalée pour ses découvreurs.
La vogue du radium culmina dans les années 1920. Elle se traduisit par toutes sortes d’utilisations : cataplasmes à poser sur les articulations douloureuses, pommades censées guérir toutes sortes d’affections, crèmes de beauté garantissant la jeunesse éternelle (figure 12). Les stations thermales vantaient les bienfaits de leurs eaux… radioactives, dont elles faisaient certifier la composition par le laboratoire Curie. De petits percolateurs étaient commercialisés pour la préparation d’eau au radium. Des bonbons contenant le précieux élément faisaient fureur également.
Cependant, en 1924, on découvrit que des ouvrières américaines, dont le travail consistait à peindre des cadrans et des aiguilles avec une peinture au radium pour les rendre lumineux, étaient fréquemment atteintes de cancers de la mâchoire. L’enquête révéla que ces femmes avaient pris l’habitude de lécher l’extrémité de leur pinceau pour la rendre plus fine ! Toujours en Amérique, certaines personnes, qui avaient abusé de « potions » au radium, contractèrent de graves affections des os, tel le milliardaire qui devait mourir en 1931, après avoir consommé plus de 1 000 bouteilles d’eau radiée en quatre ans. Cet épisode marqua la fin des « traitements doux » par radium dont l’usage et la commercialisation furent désormais réglementés. L’usage de ce produit radioactif décrût peu à peu et sa dernière utilisation connue fut, dar les années 1940, la réalisation de cadrans lumineux pour certains avions de la Secoi de Guerre mondiale.