L'atome de Bohr ou le doigt dans l'engrenage quantique…
Le modèle d’atome élaboré par Rutherford se heurta d’emblée à deux difficultés.
La première était d’ordre théorique : selon les lois de la mécanique classique, qui régissent le système solaire et l’atome de Rutherford, un électron décrivant une orbite circulaire ou elliptique est soumis en permanence à une accélération31. Les lois de l’électromagnétisme de Maxwell exigent alors qu’il rayonne constamment de l’énergie, ce qui diminue progressivement le « rayon » de sa trajectoire jusqu’à sa « chute » sur le noyau. Un tel atome ne peut donc pas être stable.
La deuxième difficulté provenait de la confrontation du modèle avec les résultats des travaux sur l’émission de la lumière par les atomes. On savait qu’un élément chimique donné, à l’état gazeux, l’hydrogène par exemple, n’émet que des rayonnements de fréquences lumineuses f bien définies. Selon Planck et Einstein, cela signifiait que ces rayonnements emportent des énergies (W = h . f) bien définies également. Mais dans l’atome de Rutherford l’électron pouvait occuper des orbites de rayon quelconque, et ce modèle ne générait aucune discontinuité dans les niveaux d’énergie possibles, ni dans l’énergie des rayonnements émis.
Dès 1913, après un stage de deux ans dans le laboratoire de Manchester, le physicien danois Niels Bohr introduit deux hypothèses susceptibles d’aplanir ces deux difficultés. Selon la première, les électrons de l’atome ne peuvent circuler que sur des orbites privilégiées, dites « stationnaires », pour lesquelles ils ne rayonnent pas d’énergie, et qui correspondent à des rayons et à des énergies répartis de façon discontinue par une règle mathématique de « quantification » bien précise.
La seconde hypothèse régit les modifications de la trajectoire, et ipso facto de l’énergie, d’un électron. En vertu de l’hypothèse 1, tout changement d’orbite ne peut s’effectuer que par un saut (en rayon et en énergie). Ce second postulat précise qu’un tel saut s’accompagne obligatoirement de l’émission, ou de l’absorption, d’une radiation électromagnétique (lumière visible, ultra-violette ou rayonnement X). Pour respecter le principe de conservation de l’énergie, le rayonnement emporte (ou apporte) la différence d’énergie correspondant au changement d’état de l’atome. Conformément à l’hypothèse de Planck, cela implique que sa fréquence soit liée aux énergies (Et) et (E2) correspondant aux orbites initiale et finale par la relation,
E1 – E2 = h • f
dans le cas où l’énergie initiale E1 est supérieure à E2, ce qui correspond à l’émission d’un rayonnement de fréquence f, et par la relation,
E2 – E1 = h • f
dans le cas inverse, c’est-à-dire lorsqu’un rayonnement de fréquence f est absorbé par un atome, faisant passer son énergie de la valeur E, à la valeur E2.
Le modèle d’atome de Niels Bohr n’obéit donc déjà plus à la seule mécanique classique, comme c’était le cas de celui de Rutherford. Il contient des éléments de mécanique quantique. Cependant, celle-ci n’existe pas encore en tant que telle, et ces éléments ont dû être introduits de façon artificielle, comme des postulats supplémentaires, par le grand physicien danois. Cette démarche rappelle tout à fait celle de Lo- rentz, faisant appel à une hypothèse ad hoc de contraction des longueurs et de dilatation du temps pour expliquer les résultats de Michelson, avant qu’Einstein n’ait élaboré la théorie de la relativité restreinte.
Bohr appliqua son modèle à l’atome d’hydrogène et ce fut un succès immédiat. Il s’avérait capable d’expliquer quantitativement les principales caractéristiques des raies d’émission observées expérimentalement. De plus, il permettait de calculer le rayon de la première orbite possible pour l’électron, c’est-à-dire le rayon de l’atome d’hydrogène dans son état d’énergie le plus bas (son état fondamental). La valeur trouvée (0,5 Angstrôm) est toujours considérée comme une bonne approximation du rayon de l’atome d’hydrogène.
La première amélioration du modèle « planétaire » de Bohr pour l’atome d’hydrogène est due à l’Allemand Arnold Sommerfeld (1916). Celui-ci introduisit deux modifications principales, le traitement du mouvement de l’électron par la toute nouvelle mécanique relativiste, ce qui se justifiait par les grandes vitesses orbitales de cette particule, et la possibilité d’orbites elliptiques, semblables à celles des planètes (Bohr s’était limité à des orbites circulaires).
Mais ce nouveau modèle, dit de Bohr-Sommerfeld, souffrait des mêmes défauts que celui de Bohr, à savoir que les discontinuités expérimentales n’y étaient reproduites qu’à l’aide de recettes de quantification introduites à cet effet.