La pile de Chicago
La pile de Chicago
Parmi les leaders de ce projet, on retrouve l’un des principaux personnages de notre histoire, Enrico Fermi, que nous avions laissé à Rome, en 1938. Que s’était-il passé depuis ?
Avec la montée du fascisme de Mussolini et de l’antisémitisme, Fermi, dont l’épouse était juive, ne sentait plus sa famille en sécurité à Rome. Ses collègues et amis physiciens décidèrent de l’aider à quitter son pays. En juin 1938, Niels Bohr, qui était dans le secret des Dieux – en tout cas des Nobel – fit une sérieuse entorse à la tradition en lui faisant savoir à l’avance que le prochain prix Nobel de physique lui serait vraisemblablement attribué. Enrico Fermi décida de saisir cette opportunité pour quitter l’Italie et eut ainsi tout le loisir de préparer son départ. Au mois de décembre suivant, il fit le voyage de Stockholm avec toute sa famille, et embarqua directement vers l’Amérique. L’Italie venait de perdre l’un de ses plus brillants savants. Plusieurs membres de l’équipe de Fermi s’exilèrent également.
Les Américains accueillirent à bras ouverts ce génie de la physique. Un poste de professeur lui fut confié par l’université Columbia de New York. C’est là qu’il reçut, en janvier 1939, la visite de Niels Bohr qui apportait l’incroyable nouvelle de la découverte de la fission.
Contrairement à Joliot, Fermi ne semble considérer qu’avec la plus grande circonspection l’idée d’une libération massive d’énergie par des réactions en chaîne. Il n’en prend pas moins ce problème très au sérieux, et, avec l’appui de Szilard, il met en œuvre des expériences proches de celles que Joliot et ses collaborateurs réalisent en ce début d’année 1939, mais dont il n’a pas encore connaissance. Très peu de temps après l’équipe du Collège de France, celle de Columbia parvient à la conclusion que des neutrons sont émis au cours de la fission. Alors que les Français sont en train de mesurer le nombre moyen de neutrons par fission, Fermi en fait une estimation théorique et conclut que ce nombre sera vraisemblablement trop faible pour entretenir une réaction en chaîne. Il ne partage pas les inquiétudes de Szilard sur l’éventualité, voire l’imminence de la construction d’une bombe par l’Allemagne nazie. Cependant, avant même la lettre d’Einstein à Roosevelt, il communique à l’État major de la marine américaine l’information que l’uranium pourrait constituer la matière première d’une bombe d’un nouveau type et d’une puissance inégalée.
En janvier 1942, après de nouvelles études, Fermi est convaincu de la possibilité d’une réaction en chaîne et rejoint l’université de Chicago où Arthur Compton lui confie la responsabilité des recherches sur la réalisation d’une telle réaction. Ne disposant pas d’eau lourde, ni du moyen de s’en procurer, Fermi opte pour le graphite comme modérateur. Il réalisera ainsi la première pile atomique. Le laboratoire construit à cet effet dans la forêt voisine n’étant pas prêt, c’est dans une salle de squash, au sous-sol du stade de Chicago que ce premier réacteur au monde va être expérimenté ! C’est une pile125 au sens propre, un empilement de forme ellipsoïdale constitué de 57 couches de blocs de graphite ultra-pur, d’oxyde d’uranium et d’uranium métal. Ce dernier, plus dense, est concentré principalement au centre de la pile afin de minimiser les pertes de neutrons. Des barres de contrôle en cadmium, puissant absorbeur de neutrons, sont insérées en plusieurs points de cet édifice.
Le 2 décembre 1942, ces barres de contrôle sont retirées une à une afin de mettre en route le réacteur de façon très progressive. La réaction en chaîne s’établit sans coup férir ! La pile fonctionne sans refroidissement, à très faible puissance, pendant une trentaine de minutes. Bien que cette machine ne délivre pratiquement pas d’énergie, et encore moins d’électricité, on peut considérer que cette date marque le début de l’ère de l’énergie nucléaire. Ce premier pas sera également très précieux pour les applications militaires de l’atome. Cependant, avant d’en venir à cet épisode dramatique, il nous faut faire un détour par Berkeley, où les cyclotrons de Lawrence commencent à porter leurs fruits.
Vidéo : La pile de Chicago
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La pile de Chicago