La radioactivité par émission d'ions lourds
La radioactivité par émission d’ions lourds
Dans les années 1980, la Grande-Bretagne, soucieuse de minimiser ses dépenses en matière de recherche fondamentale, décida de réduire de façon dramatique son activité en physique nucléaire. Amputés de pratiquement tous leurs moyens, les laboratoires relevant de cette discipline furent, pour la plupart, contraints de réorienter leurs activités. Aux yeux d’autres pays européens, comme la France ou l’Allemagne, moins durement touchés, le pays de Thomson et Chadwick semblait désormais en dehors de la course aux grandes découvertes. C’est alors, en 1984 qu’une nouvelle surprenante se propagea dans les laboratoires. Dans la plus pure tradition de la recherche britannique, dans la lignée des expériences de Rutherford, deux chercheurs anglais, H.G. Rose et G.A. Jones venaient de découvrir un nouveau mode de radioactivité ! Leur source radioactive : le radium ! Il ne s’agissait pas cette fois du radium 226 de Pierre et Marie Curie, mais de l’isotope 223 qui appartient à la famille radioactive de l’uranium 235. Cet isotope se désintègre majoritairement par émission alpha, avec une période de 11,4 jours. Cependant, en recherchant, à l’aide d’un simple détecteur solide, une diode au silicium, des impulsions de plus haute énergie, ces fins expérimentateurs avaient mis en évidence l’émission de particules beaucoup plus lourdes que les particules alpha, des noyaux de carbone 14 ! Cette observation constituait un véritable exploit, car la probabilité de ces émissions est extrêmement faible. Une source de radium 223 émet deux milliards de particules alpha pour chaque ion de carbone 14 ! C’est pour cela que le phénomène était passé inaperçu jusque là.
Cette découverte fit l’effet d’une bombe dans les laboratoires. En effet, l’émission de tels noyaux lourds par radioactivité avait bien été prévue par certains théoriciens, mais la plupart des expérimentateurs n’étaient pas informés de ces travaux. Les résultats de Rose et Jones furent rapidement vérifiés par une très belle expérience réalisée à Orsay. Celle-ci mettait en œuvre une instrumentation beaucoup plus performante que celle des Anglais et une source de radium 223 plus intense. Elle confirmait sans ambiguïté la réalité du phénomène, et apporta bientôt des éléments supplémentaires. Par la suite, d’autres groupes obtinrent des résultats similaires et démontrèrent que des noyaux de néon et même de silicium pouvaient également être émis par radioactivité par des isotopes d’autres éléments lourds. Mais la découverte était et restait à la gloire de la recherche nucléaire britannique, donnée prématurément pour moribonde…
Au-delà de l’anecdote, cette découverte de la radioactivité par émission d’ions lourds a apporté des éléments très intéressants du point de vue théorique. En particulier, pour expliquer l’aspect dynamique de cette émission, il faut admettre que le noyau de 223Ra subit en permanence une sorte de vibration, et que celle-ci est susceptible de le faire passer par une forme allongée – en forme de poire – favorable à la scission en deux parties de masse très inégale.D’autre part, on aurait pu s’attendre à ce que la particule émise par 223Ra soit l’isotope 12C, dont la structure n’est pas sans rappeler celle d’une particule a, plutôt que 14C beaucoup moins compact. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’émission radioactive conduit à deux ou plusieurs partenaires, le noyau résiduel et la (ou les) particule(s) émise(s), et que le critère déterminant est le gain d’énergie potentielle, directement lié à la différence de masse entre le noyau initial et l’ensemble de ces partenaires. De ce point de vue, l’observation de la radioactivité par émission de 14C a confirmé ce que la connaissance des masses des noyaux permettait de prévoir : la masse du couple 14C + 209Pb est plus faible que celle de 223Ra, d’une part, mais aussi plus faible que celle de tous les couples de noyaux voisins tels que 12C + 211Pb.
Vidéo : La radioactivité par émission d’ions lourds
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