La spéciation géographique : La spéciation géographique par colonisation d'une île
Naissance d’une île
Avant toute chose, il convient de bien préciser ce que nous appelons île. Nous prenons ici le sens écologique et génétique de ce mot en considérant comme île tout biotope isolé au milieu d’autres biotopes différents de lui, ces derniers fonctionnant comme barrière à la dispersion.
Concernant les îles, le fait capital est que les populations insulaires sont issues d’un petit groupe de colonisateurs arrivés là par hasard. La divergence observée est par conséquent amplifiée par d’autres mécanismes qu’une simple réponse à de nouvelles pressions de sélection. Mayr (1974) les résume ainsi : « (1) les fondateurs ne représentent qu’une fraction de la variabilité de l’espèce (c’est-à-dire qu’ils ne porteront pas l’intégralité des allèles de l’espèce),(2) en raison de la consanguinité (due au faible effectif) la plupart des récessifs deviennent homozygotes et sont alors soumis à la sélection, (3) en raison de la réduction des effectifs la valeur sélective de certains allèles change et certains sont éliminés, (4) certains gènes perdent l’avantage d’appartenir à un système équilibré et sont donc éliminés, (5) tant que la population est petite, elle risque de perdre d’autres allèles à cause d’erreurs d’échantillonnage » (concernant le point 3 voir Mayr (1974) et Blanc (1990) pour des exemples de gènes dont la valeur sélective dépend de la présence d’autres gènes). L’ensemble de ces changements affectant des petits groupes de colonisateurs porte le nom de dérive génétique.
Nous avons vu, avec l’exemple de la Mésange bleue, que la colonisation d’une île par un petit groupe d’individus pouvait permettre à celui-ci de diverger des populations dont il est issu et de s’adapter aux conditions écologiques locales. Ce processus peut donner lieu à spéciation en cas de colonisations successives séparées par un laps de temps suffisant ou après un temps suffisant et adaptation aux conditions écologiques de l’île. On explique ainsi le taux élevé d’endémisme de tous les milieux insulaires et le fait que les îles hébergent en général des sous-espèces des espèces continentales. Ainsi on connaît aux îles Canaries deux espèces de Pinson : le Pinson des arbres (Fringilla coelebs), qui se rencontre dans une grande partie de l’Europe et en Afrique du Nord, et le Pinson bleu (Fringilla teydea) qui est endémique de ces îles. Le Pinson des arbres des Canaries diffère légèrement de celui d’Afrique du Nord et d’Europe et a été décrit comme une sous-espèce du Pinson des arbres. Le Pinson bleu par contre s’en distingue fortement par sa couleur bleue mais aussi par son habitat. Il niche en effet dans les forêts de conifères d’altitude. On explique l’apparition de ces deux espèces par deux colonisations des îles Canaries par des pinsons des arbres nord-africains avec l’acquisition d’une divergence marquée des colonisateurs de la première vague en conditions isolées. Ceci leur a permis d’occuper une niche vide.
Un autre exemple faisant intervenir des colonisations multiples de milieux isolés est rapporté par Blanc (1990) à partir des travaux de Carson sur les drosophiles des îles Hawaii (Carson 1975). On connaît sur cet archipel cinq cents espèces de cette mouche (contre mille cinq cents dans le monde) dont la plupart sont endémiques. Le modèle proposé fait intervenir des colonisations multiples des différentes îles par quelques individus qui, se trouvant ainsi isolés de la population originelle, ont pu diverger génétiquement. Les coulées volcaniques ont ici permis une multiplication supplémentaire des espèces en détruisant localement la végétation et en fractionnant le milieu en sous-unités pouvant être elles aussi colonisées par quelques individus. De même, des drosophiles ont pu coloniser par hasard de nouvelles forêts en cours d’établissement sur des coulées volcaniques récentes et évoluer en conditions isolées. Le chapitre 2.III.4. présente les mécanismes d’isolement reproducteur de ces différentes espèces.
Nous avons vu plus haut que les faibles effectifs de ces sous-populations pionnières devaient favoriser leur divergence génétique (dérive). On doit donc s’attendre aux premiers temps de la colonisation à l’apparition d’une forte variabilité, à des successions de changements phénotypiques importants.
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