Le temps du vivant : Une découverte fondamentale ,les horloges internes
Une découverte fondamentale a montré que la plupart de ces rythmes sont commandés par des horloges internes. Ces horloges assurent de nombreuses fonctions, l’alternance de la veille et du sommeil, la régularisation de la température du corps, la sensation de faim ou de soif, la libération par saccades d’hormones au bon moment, la mise en route des processus complexes qui assurent la bonne marche de la reproduction. Tous les mammifères possèdent, commandé par une horloge interne, le même rythme respiratoire, tous les quatre battements de leur cœur. L’homme fait exception : il respire trois fois plus que des mammifères de même taille — il vit aussi trois fois plus longtemps. Denis Duboule, de l’université de Genève, déplorait récemment dans le magazine scientifique américain Science, le retard que prennent les biologistes dans la compréhension de ce phénomène essentiel, qui pose une question primordiale, encore mal résolue : les êtres vivants possèdent-ils des horloges internes autonomes, qui leur permettent de mesurer le déroulement du temps, des horloges qui pourraient donc fonctionner indépendamment de ce qui se passe à l’extérieur ? Ou, au contraire, ne font-ils que suivre les grands rythmes cosmiques universels ? Aux États-Unis a été créé en 1995 un grand programme coordonné sur les rythmes biologiques, qui groupe une cinquantaine d’équipes de recherche. Les biologistes français regrettent qu’un tel effort ne soit pas fait chez nous, étant donné l’importance de ces rythmes, à la fois fondamentale et pratique.
Si la question est importante, c’est que l’existence d’horloges réellement indépendantes assurerait aux êtres vivants une certaine liberté par rapport à leur environnement. Liberté que l’homme devrait pouvoir pousser à son maximum, car il s’est montré capable de maîtriser une bonne partie de cet environnement. Nous allons le voir : il semble probable que nombre des horloges internes des êtres vivants fonctionnent de façon relativement indépendante par rapport aux contraintes de tout ce qui les entoure. Les rythmes des êtres vivants résultent, en fait, de la combinaison de deux processus : l’un interne, l’autre externe. Aucun ne peut fonctionner seul : les stimulus extérieurs agissent pour déclencher et modifier la période des rythmes internes, afin de les mettre en phase avec le monde environnant, ce qui est indispensable. Mais ils ne peuvent agir sans le relais d’un mécanisme interne, fait d’horloges biologiques dont nous n’avons pas encore compris tous les rouages, mais qui semblent bien disposer d’une relative indépendance d’action.
Nous allons le voir plus en détail, il semble, en effet, que le monde vivant ait appris à ne pas obéir aveuglément aux rythmes cosmiques et qu’il soit parvenu à donner un sens original aux signaux qu’il reçoit du milieu dans lequel il vit. C’est ainsi qu’i] a créé son propre temps, biologique – et psychologique pour l’homme – différent du temps astronomique, et variable d’une espèce à l’autre, expliquent Jean Boissin et Bernard Canguil- hem : « Tout se passe conimc si les organismes possédaient un étalon de durée qui leur permettrait de mesurer le temps en l’absence de tout repère temporel. » En fait, il ne serait pas cho- quant que des rythmes du vivant soient étroitement associés aux stimulations extérieures,dont beaucoup existaient avant l’apparition de la vie, comme les rythmes cosmiques que forment l’altemance du jour et de la nuit, la eourse de la lune ou le eycle des saisons. On constate d’ailleurs que certains êtres sont étroitement assujettis à ces rythmes extérieurs. Ainsi les vers palolo, qui vivent dans les coraux des mers du Sud, libèrent toujours leurs œufs lors du dernier quartier de la Lune des mois d’octobre et de novembre. Les poules pondent davantage en été parce que les jours sont plus longs, et les aviculteurs savent depuis longtemps qu’ils améliorent la production des œufs en éclairant d’avantage le poulailler en automne et en hiver.
Il en est de même pour les végétaux. Si l’on place un haricot en lumière continue, ses feuilles continuent à s’enrouler comme il était en plein air, au rythme solaire. Pour l’instant, on ? luTche toujours le mécanisme qui commande ces mouvements rythmiques ; il s’agit vraisemblablement d’une horloge interne.
Dès le XVIII siècle, les botanistes avaient observé que les I oui lies des mimosas placées dans l’obscurité se repliaient à l’heure où le Soleil, pourtant invisible, se couchait à l’extérieur de laboratoire. Le botaniste Linné avait, à la même époque, construit une horloge à fleurs, chacune indiquant l’heure par l’éclosion ou la fermeture de ses pétales : le pavot s’ouvre à ?? heures, le nénuphar jaune à 7 heures, le souci à 9 heures, l’œiHet et bien des roses s’épanouissent à 13 heures, la belle de nuit, à 17 heures, tandis que le salsifis se referme à midi, le pissenlit à 13 heures, la ficoïde à 15 heures, l’hémérocalle à 19 heures. Les feuilles des plantes contiennent des pigments liés sensibles aux moindres variations de lumière dans certaines longueurs d’ondes, qui commandent ces épanouissements. Certaines fleurs s’ouvrent pendant les jours courts, d’autres pendant les jours longs, lorsque la lumière agit plus longtemps. Les horticulteurs jouent sur la quantité de lumière donnée chaque jour aux végétaux pour faire fleurir des plantes à n’importe quelle saison. Il faut donc que les végétaux possèdent une horloge interne qui les renseigne sur la durée – variable – du jour.