Le champ de bataille mondial
L’énergie est une question hautement stratégique pour laquelle la géopolitique ne représente qu’un élément parmi d’autres dans un monde multipolaire qui possède ses propres dynamiques politiques, économiques et sociales. L’extension de l’économie de marché, associée à la libéralisation et à la mondialisation, a favorisé l’expansion du capitalisme sous de nombreuses formes différentes. La généralisation de l’économie de marché ne signifie pas « la fin de l’Histoire » comme l’a exprimé Francis Fukuyama (1992), car elle provoque de nouvelles tensions, de nouveaux affrontements, elle fait émerger de nouvelles sources de conflits entre nations comme au sein des nations. Depuis la crise asiatique, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire, dans laquelle l’Asie jouera un rôle clé. Cependant, ce rôle sera probablement tributaire de questions qui concernent l’ensemble de la planète : le changement climatique, la stabilité du système financier international, la sécurité d’approvisionnement énergétique, la pénurie de ressources (énergie, matières premières, nourriture, eau), les inégalités et la sécurité des transports maritimes. Les mécanismes de marché ne sont pas en mesure de fournir à eux seuls les réponses. L’économie mondiale a besoin de nouvelles formes de régulation multinationale. C’est là un défi majeur pour ce siècle.
Le capitalisme débridé
La création de richesse est l’un des plus puissants moteurs de l’économie mondiale revitalisant la vieille théorie d’Adam Smith [La richesse des nations). Le capitalisme est roi sous de nombreuses formes différentes, qui reflètent la grande diversité des types de capitalisme. On trouve d’abord les sociétés multinationales qui publient des rapports annuels, rendent compte à leurs actionnaires, établissent des codes de bonne conduite conformément aux meilleures pratiques entrepreneuriales, paient des impôts, exercent des pressions sur les gouvernements et financent les campagnes politiques. De ces entreprises, les marchés financiers et les investisseurs exigent la création de valeur dans un cadre légal et réglementaire donné. Mais on trouve aussi des millions d’autres sociétés privées sous contrôle individuel ou familial cherchant exclusivement à gagner de l’argent par tous les moyens et à éviter les impôts, la réglementation et toute autre contrainte qui les obligerait à rendre compte. Des milliers de « nouveaux capitalistes » sans état d’âme entrent dans le champ de bataille mondial chaque année. Certains d’entre eux sont les Barons Voleurs du XXIe siècle 18. Il y aura des guerres entre capitalismes (Lorenzi, 2008). Des entreprises publiques représentent une autre forme de capitalisme : le capitalisme d’État (Gazprom, les compagnies pétrolières chinoises et celles des pays exportateurs). Par ailleurs, il existe une communauté financière de plus en plus active à la recherche de toutes sources de profit, en particulier grâce aux produits financiers dérivés, marchés à terme, arbitrages, fonds spéculatifs (hedge funds), fonds souverains et fonds d’investissement privés (private equity funds). Le total des actifs financiers négociés chaque année a été estimé à trois fois le PIB mondial. La communauté financière comprend des centaines de paradis fiscaux qui sont utilisés, en toute impunité, pour éviter les impôts, pour détourner et sécuriser des profits, pour gérer l’argent du crime, de la drogue, et de la corruption. Il est important de garder cela à l’esprit, lorsqu’on étudie les dossiers de l’énergie, car l’énergie, comme nous l’avons vu, présente d’énormes enjeux financiers partout dans le monde et génère d’énormes revenus, dont une partie est recyclée dans le système financier international.
La diversité du capitalisme est soutenue par la diversité des institutions étatiques. Démocratiques ou non, les institutions étatiques sont le produit d’une évolution historique qui comprend les guerres, les révolutions, le colonialisme et les luttes pour l’indépendance. Les institutions nationales, à un moment donné, reflètent un modèle social qui donne un cadre institutionnel au capitalisme local. Ce modèle institutionnel comprend souvent une forme de redistribution des richesses. Le capitalisme crée de la richesse qui va principalement aux propriétaires du capital mais une partie de cette richesse est captée par l’État et redistribuée dans le but d’assurer la paix sociale. La réallocation prend la forme de prix préférentiels, et de gratuité de certains services sociaux ou éducatifs. La flambée des prix du pétrole entre 2004 et 2008 a considérablement accru les sommes qui sont captées par les pays exportateurs de pétrole. Une partie de cet argent est utilisée pour développer des fonds souverains qui contrôlent des milliers de milliards de dollars. L’intervention des fonds souverains apporte une nouvelle dimension à la structure du capitalisme mondial. Certaines sociétés occidentales, industrielles ou financières, sont passées sous le contrôle de fonds souverains.
Les institutions étatiques comprennent généralement la classe dirigeante, le gouvernement, le parlement et d’autres organismes d’État. Leur relation avec le capitalisme se caractérise également par la diversité. Le pouvoir politique a besoin d’argent pour faire fonctionner l’administration, l’armée, les agences gouvernementales. L’argent peut être prélevé par l’impôt public, mais aussi à travers un certain nombre de canaux informels. L’argent est la clé pour conquérir le pouvoir et le garder. En contrepartie de leur argent, les capitalistes ont besoin d’assistance et de soutien de la part de l’État. C’est le plus commun des échanges.
De nombreuses institutions étatiques dans le monde jouent un rôle de contre-pouvoir vis-à-vis du capitalisme sauvage et de ses objectifs
à court terme. Cependant, ces institutions ne sont pas toujours en mesure de contrôler à temps les innovations financières aux effets potentiellement dévastateurs, comme les « subprimes » qui sont à l’origine de la crise de 2008. En outre, de nombreuses entités capitalistes sont en mesure d’échapper partiellement ou totalement au contrôle national. À un moment où les problèmes de société se globalisent (climat, flux financiers) il n’existe pas d’institutions de contrôle supra nationale.
L’économie mondiale, les questions mondiales et les résistances locales
La mondialisation de l’économie est un fait qui a été renforcé par le capitalisme débridé, par la formidable expansion du secteur financier et par le développement des systèmes de communication à haute vitesse. La mondialisation est désormais accélérée par les entreprises originaires de Chine, Inde, Brésil et autres pays conquérants. La contribution de l’Asie au PIB mondial, qui atteint environ 37 %, pourrait monter à environ 55 % en 2030. Le centre de gravité de l’économie mondiale est en train de se déplacer. Toutefois, l’économie mondiale montre certains signes de fragilité qui doivent être gardées à l’esprit :
– La mondialisation est bonne pour un grand nombre d’habitants, mais d’autres en souffrent. Pour de nombreuses personnes, elle offre des opportunités d’affaires, de nouveaux emplois et des sources de richesse. D’autres souffrent d’une concurrence impitoyable, de pertes d’emplois, de délocalisations et de menaces pour leur protection sociale et leur santé. Ce n’est pas un phénomène nouveau mais il est maintenant mondial, rapide et plus brutal.
– La mondialisation semble aggraver les inégalités. La richesse est principalement créée par des entreprises privées et les bénéfices sont principalement distribués aux détenteurs du capital. Tout au long de ce processus, les riches s’enrichissent plus rapidement que les pauvres. Le cas de la Chine est tout à fait significatif. Entre 1994 et 2004, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités, est passé de 40 à 47.
– La déconnexion croissante entre le monde réel et la sphère financière est un sujet d’inquiétude. La crise financière survenue en 2008 restera dans l’histoire comme la première crise d’une économie mondiale interconnectée.
– Le changement climatique, l’énergie et le développement économique (l’équation de Johannesburg) sont des questions qui doivent être résolues au niveau mondial. Si elles ne le sont pas, l’économie mondiale est en grand danger.
– Il existe aussi des résistances locales au capitalisme mondial : la résistance par l’exclusion du processus de création de richesse et la résistance par l’idéologie ou la religion qui n’accepte pas le modèle social et culturel qui est proposé par le capitalisme. Cet aspect est pro-rarement plus complexe que le « choc des civilisations » tel que Samuel Huntington l’avait décrit (1996). L’opposition entre le point vue « occidental » et celui du « monde musulman » est réelle, mais existe d’autres oppositions plus importantes, y compris des opposions au sein du monde musulman. La Grande Asie (incluant le Moyen-Orient et l’Asie centrale) est une mosaïque d’oppositions entre les nations, entre des modèles sociaux, entre des groupes ethniques e: religieux. Ces multiples oppositions peuvent aboutir à un dialogue e* une coopération, elles peuvent également déclencher les guerres de :e siècle.
Vidéo: Le champ de bataille mondial
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