les stratégies nucléaires asiatiques
Pour répondre à l’inquiétude suscitée par la sécurité d’approvisionnement d’énergie, le Japon a décidé en 1973 de donner une priorité stratégique à l’énergie nucléaire, choix renforcé plus tard par des considérations sur le changement climatique. Le Japon possède à ce jour 55 réacteurs nucléaires en exploitation fournissant environ 30 % de sa production totale d’électricité. Deux réacteurs sont en construction et 12 autres unités sont programmées de façon ferme. Les scénarios gouvernementaux prévoient une capacité de 60 GWe produisant 40 % de l’électricité en 2017 et 90 GWe fournissant environ 60 % de l’électricité en 2050 (auxquelles s’ajoutent 20 GW thermique de capacité nucléaire destinée à la production d’hydrogène). Le Japon a commencé par importer des centrales nucléaires de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, mais très vite a organisé sa propre industrie nucléaire sous licence américaine et est progressivement devenu plus indépendant. Aujourd’hui, le Japon est devenu le seul pays à disposer d’installations couvrant le cycle complet du combustible nucléaire sans être un Etat doté d’armes nucléaires, et les fabricants japonais comptent parmi les leaders mondiaux. Toshiba détient une participation majoritaire dans Westinghouse, Hitachi a constitué une filiale nucléaire commune avec General
Electric et Mitsubishi coopère avec Areva. L’industrie et le gouvernement japonais développent des modèles de REP et REB de type « Génération 3 + + » en vue de leur déploiement en 2020, avec l’objectif de réduire de 20 % le coût du capital engagé et celui du kilowattheure produit, et de prolonger la durée de vie à 80 ans. Actuellement, le Japon a pris la tête des pays engagés dans un partenariat international en Recherche et Développement au sein du Forum Génération IV, pour le développement des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (SFR). Ainsi, le développement de l’énergie nucléaire au Japon a bénéficié de la vision à long terme et de la continuité d’orientation de ses organes de décision politiques et scientifiques. Parmi les points faibles, on peut mentionner la complexité du processus de prise de décision – nécessitant de parvenir à un consensus entre de nombreuses institutions nationales et régionales – qui conduit à un facteur de charge plutôt moyen pour les centrales nucléaires en exploitation. Par exemple, une grande partie du parc nucléaire du pays a été fermé pendant plus d’un an après la découverte en 2001 de la dissimulation des résultats de certains contrôles. Ainsi également, les sept unités de Tokyo Electric Power Co. du site de Kashiwazaki-Kariwa étaient toujours à l’arrêt en juillet 2008, un an après un grave tremblement de terre ayant révélé que les hypothèses sismiques retenues pour ce site étaient erronées. Néanmoins, en plus de sa participation au développement régulier de l’énergie nucléaire au Japon, l’industrie japonaise est maintenant dans une position particulièrement forte pour participer au développement mondial de l’énergie nucléaire.
La Corée du Sud s’est intéressée à l’énergie nucléaire à la fin des années 1960. La première centrale nucléaire, importée des Etats-Unis, a été mise en service en 1977. Très rapidement ensuite, le secteur électrique a commandé de nouveaux réacteurs aux États-Unis, en France et au Canada. Puis les Coréens ont décidé de développer leurs propres outils industriels de conception et d’ingénierie, basés sur le réacteur à eau pressurisée de Combustion Engineering (maintenant Westin- ghouse) « Système 80 » (sous licence). En 2008, 20 réacteurs totalisant 17,5 GWe sont en exploitation, fournissant 40 % de la production électrique nationale. Le programme complet prévoit un parc de 27 GWe en service d’ici 2020, fournissant 45 % de la production électrique nationale, et de nouveaux équipements permettant d’atteindre 60 % en 2035. L’industrie nucléaire coréenne est maintenant prête pour l’exportation de ses produits et impatiente de se lancer. Elle a gagné récemment l’appel d’offres pour 4 réacteurs APR 1400 de 1400 MWe à Abou-Dhabi. Certaines questions relatives aux licences, notamment en ce qui concerne les marchés des Etats-Unis et de la Chine, ne sont pas encore réglées. Cependant, la Corée a signé un accord avec l’Indonésie pour l’exportation d’ici 2016, de quatre réacteurs et les Coréens considèrent le Vietnam et la Thaïlande comme des clients potentiels. La Corée a également mis en œuvre un vaste programme de recherche et développement en matière de technologie nucléaire visant les réacteurs à neutrons rapides, les réacteurs à haute température pour la production d’hydrogène, et ceux destinés aux petites usines de dessalement de l’eau et de production d’électricité.
La Chine s’est dans un premier temps tournée vers l’énergie nucléaire pour la production d’armes ; le véritable développement de l’énergie nucléaire civile ne date que de la fin des années 1980. Les Chinois ont mis au point leur propre modèle de centrale de 300 MWe, mais se sont très vite tournés vers des sociétés étrangères (Canada, France et Russie). En 2007, la Chine est passée à la Génération III en commandant quatre réacteurs AP1000 de Toshiba/Westinghouse et deux réacteurs EPR d’Areva NP. Les réacteurs APlOOOs Chinois sont les premiers de cette série dans le monde. Grâce à un transfert de technologie avec la France, la Chine a également développé un réacteur de 600 MWe et a construit deux unités de ce modèle. Un industriel local CGNP a développé sur la base de technologie française un réacteur chinois de type Génération 11+ – CPR 1 000 + (2080 MWe), qui est moins cher que les modèles importés environs 1 500 $ US/KWe – un exemplaire fonctionne depuis juillet 2010 et 28 doivent être construits d’ici 2020. Le coût du kilowatt installé est évalué à environ 2 000 $ US par Kw pour les réacteurs d’origine étrangère et de génération III (AP 1 000). Notons que le coût d’un même réacteur aux USA est estimé à plus de 4 000 $ par Kw. En 2020, conformément à l’objectif fixé par le gouvernement central, la part totale de l’électricité produite à partir de l’énergie nucléaire devrait représenter 5 % (avec un parc de près de 60 GWe). Pour 2030, les estimations sont entre de 160 GWe et 200 GWe nucléaire en exploitation. La nouvelle politique consiste à approuver les projets de toutes les compagnies régionales d’électricité, dès lors qu’ils sont fondés sur des critères « raisonnables ». De son programme militaire, la Chine a tiré la maîtrise des technologies de base pour l’enrichissement d’uranium et le retraitement du combustible. Cependant, pour l’enrichissement à des fins civiles, la Chine a importé de Russie des centrifugeuses, et envisage aussi de bâtir une usine commerciale de retraitement du combustible, en utilisant la technologie française. Ainsi, la croissance rapide de la production d’électricité en Chine – 260 GWe de nouvelles installations, principalement à charbon, sont prévues d’ici à 2020 – conjuguée avec une prise de conscience grandissante de la nocivité de; émissions locales, avec les problèmes sérieux de transport de charbon des gisements du Nord vers les centres de consommation au Sud, et avec une plus grande disponibilité en capitaux pour des investissements lourds, permet une très forte expansion de l’électricité nucléaire – peut-être au-delà de ce qui est actuellement envisagée. Le facteur limitant, au moins pour les cinq à dix prochaines années, pourrait être la disponibilité du personnel qualifié.
Toutefois récemment les responsables industriels chinois indiquent la possibilité de dépasser 60 Gwe en fonctionnement en 2020 et arriver peut-être jusqu’à 100 Gwe à cette date. La Chine mise donc sur l’expansion forte d’énergie nucléaire et se préparent aussi pour exporter leurs centrales. Elles s’intéressent dans ce contexte au développement des réacteurs à neutrons rapides de leur propre concept e: aussi en achetant les dessins russes du réacteur BN800. Les industriels chinois pensent que les réacteurs CPR 1 000 coûteront même moins de 1 500 $ par Kw et que les réacteurs AP 1 000 (1 250 Mwe) coûteront à l’avenir 1 600 $ par Kw. De plus ils travaillent sur un modèle sinisf d’APlOOO qui aura une puissance de 1 400 Mwe et envisagent ux modèle de 1 700 Mwe tous les 2 dérivés de l’APlOOO mais avec des modifications sensibles. Leur idée est que l’on puisse en utilisant une puissance plus forte profiter de l’effet de taille et diminuer encore les coûts de Kw et de Kwh produits.
La place de l’énergie nucléaire en Inde est très fortement marquée par la décision de ce pays de ne pas signer le Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP) et de se doter d’armes nucléaires. L’Inde a fai: exploser son premier engin nucléaire en 1974 et a été pratiquement exclue de toute forme de coopération internationale ou d’échanges commerciaux dans le domaine nucléaire depuis cette date. L’Inde a développé sa propre technologie pour les réacteurs nucléaires, fondée à l’origine sur le modèle canadien de réacteurs à eau lourde pressurisée (RELP) alimentés avec de l’uranium naturel. Le pays exploite aujourd’hui un parc de petits réacteurs RELP (200 MWe) et, plus récemment, quelques grands RELP (500 MWe). L’actuelle capacité de production nucléaire de l’Inde est inférieure à 4 GWe, pour une capacité totale de production d’électricité de 110 GWe. L’Inde a développé une industrie nationale complète, comprenant la production d’eau lourde, l’extraction de l’uranium et son affinage, la fabrication du combustible nucléaire et le retraitement du combustible irradié. Toutefois, cette industrie se heurte à des limitations quantitatives, notamment pour la production d’uranium. De ce fait, à la mi-2008 les réacteurs nucléaires indiens fonctionnaient seulement à la moitié de leur puissance nominale en raison de l’insuffisance d’approvisionnement en combustible. La stratégie nucléaire initiale de l’Inde reposait sur trois étapes : 1) réacteurs RELP alimentés en uranium naturel, avec production de plutonium ; 2) réacteurs à neutrons rapides avec production de plutonium et d’uranium 233 à partir de thorium ; 3] réacteurs à eau lourde thorium-plutonium ou thorium- uranium 233.
Cette stratégie a été dictée par l’isolement international de l’Inde et par les limites de ses ressources en uranium, alors qu’elle dispose de grandes ressources en thorium. La deuxième étape, celle relative aux réacteurs a neutrons rapides, est en cours de développement. Un réacteur d’essai de 40 MW thermique (pratiquement une copie du réacteur français Rapsodie, qui a débuté ses opérations en 1967) a fonctionné de façon satisfaisante de 1985 jusqu’à nos jours. Un prototype de réacteur rapide de 500 MWe, d’une technologie similaire au modèle français Phenix/Superphénix, est en cours de construction avec un démarrage prévu en 2012. Quatre autres réacteurs à neutrons rapides sont programmés avec une mise en service avant 2020. Cependant, cette stratégie ne permet qu’un développement lent de la production t’énergie nucléaire. Par conséquent, l’Inde a négocié un accord approuvé en septembre 2008) l’engageant à mettre en œuvre des raranties internationales sur la non-prolifération nucléaire sans tu’elle ait à ratifier le TNP. Avec cet accord, l’Inde prévoit d’accroître sa capacité de production nucléaire par l’importation de la technologie des réacteurs à eau légère et d’uranium enrichi, en complément de la construction de réacteurs à eau lourde pressurisée de conception locale. Le plan indien, quelque peu optimiste, vise à disposer d’un t are nucléaire de 40 GWe dès 2020 et à produire au moins 25 % du total de l’électricité à partir d’énergie nucléaire en 2050.