La charge financière de la facture pétrolière
Entre 2004 et 2008 les pays ont été confrontés à une augmentation sans précédent du prix du pétrole brut et des produits pétroliers (Bacon et Kojima, 2006). Or, tous ont besoin de produits pétroliers. Chaque catégorie de produits pétroliers a sa propre spécificité et recouvre des demandes spécifiques.
— L’essence est utilisée pour les voitures individuelles et les petits véhicules de transport public (taxis, pousse-pousse). La consommation d’essence est le fait de la fraction la plus aisée de la population et des administrations.
– Le Diesel (gazole) est parfois utilisé pour les voitures individuelles, mais dans la majorité des cas, il est utilisé pour le transport des personnes et des marchandises (les autobus et les camions), pour l’agriculture (tracteurs et machines de pompage et d’irrigation). Dans de nombreux pays, où les coupures de courant sont fréquentes, le diesel est utilisé comme carburant pour le fonctionnement de secours dans des unités de production d’électricité de petite taille comme les
groupes électrogènes. L’importance respective de l’essence et du gazole dans la consommation globale de carburants dépend de La structure technique du parc automobile et de la politique fiscale sur les carburants.
– Le Kérosène pour l’aviation (Jet fuel) est aussi le carburant stratégique des armées, non seulement pour les avions, mais aussi pour les tanks et les véhicules de transport.
– Le Kérosène (hors aviation, ou pétrole lampant) est le combustit.e de choix pour l’éclairage chez les ménages qui n’ont pas d’électricité. Pour la cuisson et le chauffage, il est beaucoup plus efficace que le bois de feu mais il est beaucoup plus cher s’il ne bénéficie pas de survendons publiques. Le kérosène, qui peut être vendu en petites quantités individuelles, est par excellence un « combustible social ». Pour faciliter son utilisation par les classes défavorisées, il est subventionné dans de nombreux pays en développement. Toutefois, comme il peut être utilisé comme un substitut au gasoil, il est important 5e veiller à ce que les différences de prix entre les deux produits ne contribuent pas à créer des distorsions de marché par substitution.
– Les gaz de pétrole liquides (GPL), principalement le butane et 3e propane, sont utilisés, comme le kérosène, pour l’éclairage, le chauffage et la cuisine. Les petites bouteilles de butane sont souvent subventionnées.
– Le fioul lourd, qui est toujours le moins cher, mais aussi le plus polluant des produits pétroliers, est utilisé pour l’industrie et la production d’électricité. C’est un combustible stratégiquement importai*, en concurrence avec le charbon, local ou importé, pour la production d’électricité.
Certains de ces produits pétroliers pourraient être remplacés par des produits de substitution, principalement les biocarburants et le gaz naturel, mais les systèmes énergétiques sont très rigides et la substitution est un long processus.
La vulnérabilité pétrolière d’un pays importateur peut être mesureur par le poids relatif des importations nettes pétrolières par rapport an PIB et son évolution au fil du temps. Pour de nombreux pays pauvre qui sont totalement dépendants des importations de pétrole, la facture pétrolière est un élément important de l’équilibre de la balance das paiements. Ces pays sont vulnérables aux chocs des prix du pétrole
Plus précisément, la dépendance pétrolière et la vulnérabilité des pays à la perturbation ou aux chocs des prix du pétrole peut être mesurée par un indicateur qui a été proposé par la Banque mondiale (PNUD/ESMAP, 2005). Ce ratio s’écrit sous la forme du produit de trois termes, dont chacun a une signification importante :
Importations de pétrole/PIB = (importations de pétrole/consommation totale de pétrole) x (consommation totale de pétrole/consomation totale d’énergie) x (consommation totale d’énergie/PIB).
Le rapport (importations de pétrole/consommation pétrolière totale) mesure la dépendance extérieure de la consommation de pétrole. Ce ratio peut être amélioré en renforçant l’exploration pétrolière nationale pour permettre de nouvelles découvertes et par le développement de la production nationale. Le deuxième ratio (consommation totale de pétrole/consommation totale d’énergie) mesure la dépendance de l’économie au pétrole. 11 peut être affecté par des politiques qui encourage les substitutions et par une meilleure diversification du bilan énergétique. Le troisième ratio (consommation totale d’énergie/PIB) mesure l’intensité énergétique. Il peut être amélioré en augmentant l’efficacité énergétique et aussi par un changement dans la structure de la production en passant d’activités à forte intensité énergétique à des activités à faible intensité énergétique. De tels changements impliquent la mise en place de mesures structurelles qui impliquent que l’on ait une vision à moyen/long terme de l’avenir énergétique du pays considéré.
Sur une perspective de plus court terme, la hausse des prix du pétrole et des produits pétroliers qui a eu lieu entre 2004 et 2008 a eu des effets dévastateurs sur certains pays et certains consommateurs. La facture pétrolière a atteint des niveaux de 15 à 20 % du PIB dans certains pays pauvres. Les gouvernements ont alors recherché au plus vite des mesures pour alléger la charge. L’ESMAP (groupe de la Banque mondiale) a mené une enquête auprès de 38 pays en développement pour évaluer les réponses qui ont été apportés par les gouvernements pour faire face à la hausse des prix du pétrole (Bacon et Kojima, 2006). Les réponses montrent que les mesures qui ont été prises par les gouvernements comprennent aussi bien des politiques de prix (répercussion totale ou partielle des hausses, subventions, ajustements fiscaux, fonds de compensation), des politiques quantitatives (rationnement, obligation de réduction de consommation), des politiques structurelles (subventions aux substitutions, efficacité énergétique).
Parmi les réponses apportées par les différents gouvernements, la question des subventions pose des problèmes particuliers. Un certain nombre de pays ont été amenés par le passé à mettre en place des subventions pour certains produits énergétiques. C’est notamment le cas des pays exportateurs de pétrole qui se servent des subventions pour transférer une partie de la rente pétrolière à la population . C’est un moyen d’acheter la paix sociale. Le Venezuela en est un exemple extrême. L’Iran, qui est l’un des pays ayant les prix des carburants les plus bas est l’un des pays au monde ayant l’intensité énergétique la plus élevée, ce qui montre bien la contre-productivité de la politique de prix. Les pays importateurs de pétrole mettent également en place des subventions qui soulèvent des problèmes lorsque les prix augmentent, puisque dans ce cas l’écart entre les prix domestiques bloqués et les prix internationaux augmente. C’est le cas de la Chine, de l’Inde, du
Maroc et de nombreux autres pays. Lorsque les populations s’habituent aux prix subventionnés ou bloqués, ils résistent ensuite plus fermement à l’augmentation des prix intérieurs rendue nécessaire par la conjoncture internationale. L’agence Internationale de l’Énergie a calculé que le montant global de ces subventions se montait à plus de 300 milliards de dollars, cinq fois plus que les subventions allouées au développement des énergies renouvelables. L’agence suggère un abandon progressif des subventions sur les carburants, ce qui aurait évidemment un impact très positif sur l’équation énergie-climat (AIE 2010).
L’Indonésie fournit un exemple intéressant et douloureux sur le sujet. Aujourd’hui importateur net de pétrole, l’Indonésie a longtemps été un important exportateur de pétrole. Cette situation d’exportateur net avait incité les gouvernements à fixer les prix intérieurs à des niveaux très inférieurs aux prix internationaux. Cela a favorisé la contrebande pour l’exportation illégale de produits pétroliers. En 2001. la production de pétrole a commencé à décliner, en partie en raison du manque d’investissements. Dans le même temps la demande intérieure a augmenté de manière dramatique, encouragée par des prix bas et une forte croissance démographique. En 2004, le pays est devenu importateur net de pétrole. L’année 2004 correspond au début de la montée des prix du pétrole brut sur les marchés internationaux. Le gouvernement n’avait donc d’autre choix que d’essayer de réduire progressivement les subventions. Deux augmentations substantielle
de prix ont été faites en 2005. Après ces deux augmentations, les prix de l’essence et du diesel étaient respectivement à 80 % et 40 % des niveaux de prix du marché international. Contrairement aux précédentes augmentations qui avaient suscité de violentes oppositions, les augmentations de 2005 ont été acceptées grâce à la crédibilité du nouveau gouvernement élu et à ses efforts d’explication. Au même moment, le Parlement a fixé un plafond au montant total du budget de subventions énergétiques de l’État. Toutefois, le plafond est devenu rapidement insoutenable politiquement à cause de la hausse continue des prix du pétrole et de la baisse continue de la production nationale de pétrole. Au premier trimestre 2008, les subventions aux produits pétroliers représentaient 22 % des dépenses de l’Etat, soit plus que les budgets cumulés de l’éducation, de la santé et des infrastructures. De nouvelles augmentations de prix ont été décidées en mai 2008 (environ 25 %) qui ont déclenché de violentes oppositions populaires. Au même moment l’Indonésie a décidé de quitter l’OPEP.
La question des subventions (pour les produits pétroliers, l’électricité et du gaz naturel) illustre le fait que les prix de l’énergie sont des questions politiquement sensibles. Lorsque les prix internationaux augmentent, des pressions politiques s’exercent sur les gouvernements et les réponses qui sont faites sont très onéreuses. En outre, les subventions au prix ont tendance à profiter davantage aux riches car leur niveau de consommation est plus élevé. Au Maroc, il a été estimé que 75 % des subventions allant aux produits pétroliers sont captés par les 20 % les plus riches. Des subventions croisées entre produits sont possibles (le kérosène est plus utilisé par les pauvres), mais leur gestion entraîne des coûts de transaction élevés, en particulier à cause de la contrebande (Aoun, 2008).