Effet de contagion et intégration des marchés de matières premières
L’intégration croissante des marchés de matières premières, nourrissant des craintes quant à l’émergence d’un risque systémique, constitue une autre source d’intégration. En présence de marchés étroitement unis, un choc est susceptible de se propager non seulement sur le marché physique, mais aussi sur d’autres marchés dérivés. La littérature a examiné cette question selon différents points de vue. L’impact des opérateurs sur les marchés dérivés a par exemple été étudié à partir du concept de « comportement moutonnier ». Des phénomènes d’intégration temporelle et spatiale ont également été examinés.
En 1990, Pindyck et Rotenberg proposèrent de définir le comportement moutonnier – « herding » – comme une situation dans laquelle les opérateurs se positionnent alternativement à la hausse ou à la baisse sur les matières premières, sans aucune raison économique plausible. Les marchés de matières premières sont caractérisés, entre autres, par la tendance persistante qu’ont leur prix à fluctuer ensemble (on parle de co-mouvement).
Ce phénomène peut être, partiellement au moins, expliqué par l’existence de variables macro-économiques affectant l’ensemble des marchés de matières premières, telles que l’inflation anticipée, l’accroissement de la production industrielle, l’indice des prix à la consommation, certains taux de change, les taux d’intérêt, l’offre de monnaie, etc. Les comportements moutonniers interviendraient dès que les co-mouvements observés iraient au-delà de ce qui peut être expliqué par ces variables explicatives. Plusieurs études ont été menées dans cette voie dans les marchés des matières premières. Pindyck et Rotenberg concluent à la présence d’un comportement moutonnier. Inversement, les résultats de Booth et Cinner (2001), obtenus à partir d’une étude des prix de marchandises agricoles asiatiques, infirment ceux de leurs prédécesseurs.
Une autre façon de traiter la question des dérivés et de leur impact sur les prix des matières premières consiste à se concentrer sur l’intégration spatiale des prix des matières premières. Jumah et Karbuz (1999) étudient l’intégration spatiale sur le marché du cacao, à partir des prix enregistrés sur les marchés de Londres et de New York. Ils montrent qu’il existe une relation forte entre ces prix et que les taux d’intérêt jouent, à long terme, un rôle clé dans ce lien. Ewing et Harter (2000) étudient les co-mouvements des prix du pétrole brut de l’Alaska et ceux du Brent. Leurs résultats montrent que ces marchés partagent une tendance commune à long terme, suggérant que les deux marchés sont « unifiés » et convergent l’un vers l’autre. Kleit (2001) examine lui aussi l’intégration spatiale des marchés du pétrole brut, à partir des prix de sept pétroles différents. Afin de réduire les problèmes associés aux différentiels de qualité, tous sont des bruts légers. Là encore, les conclusions obtenues vont dans le sens d’une intégration croissante des marchés.
Les conclusions de ces études sont importantes, car l’intégration spatiale des marchés physiques peut exagérer l’éventuelle influence négative des marchés papiers. Dans ce contexte, les dérivés peuvent être à l’origine d’une diffusion de perturbations ou de crises d’un marché à l’autre.
Le débat relatif aux dérivés et aux effets de contagion est également étroitement lié à la question de l’intégration temporelle. Celle-ci n’a cependant pas été fréquemment étudiée sur les marchés de matières premières. S’appuyant sur la théorie de « l’habitat préféré », développée à l’origine dans le domaine des taux d’intérêt, Lautier (2005) étudie le degré de segmentation du marché américain du pétrole brut. La segmentation est définie comme une situation dans laquelle différentes parties de la courbe des prix sont déconnectées les unes des autres. L’étude montre que la structure par terme des prix du pétrole brut est segmentée en trois parties, et que la segmentation évolue probablement avec le temps, sous l’effet du processus de maturation du marché. En effet, depuis sa création, le marché à terme américain du pétrole brut a enregistré une hausse soutenue de ses volumes de transactions, et l’horizon de ses contrats n’a cessé d’être repoussé. Des évolutions similaires peuvent être observées sur la plupart des marchés dérivés : elles se manifestent de façon particulièrement prononcée, depuis 2000, sur les marchés de matières premières en général, et plus spécifiquement sur les marchés énergétiques.
La question de la segmentation temporelle a également des implications cruciales. Si les marchés étaient parfaitement intégrés, un choc provoqué sur une extrémité de la courbe pourrait se propager aux autres parties. Il y aurait ainsi, en quelque sorte, un risque systémique temporel. Cependant, même si elle contrarie la propagation des chocs, la segmentation temporelle de la courbe n’en est pas pour autant souhaitable. En effet, la segmentation a un impact sur les décisions financières, en particulier sur toutes les opérations de couverture et de valorisation reposant sur les relations entre plusieurs prix à terme. L’efficacité de ces stratégies peut être affectée par la présence de différences non justifiées dans le contenu informationnel des prix à terme 13. Il en est de même pour les décisions d’investissement, lorsqu’elles se fient à l’extrapolation des courbes de prix pour valoriser les flux de trésorerie futurs d’un projet pour des maturités non échangées sur le marché14. Toutes ces opérations reposent sur des modèles de structure par terme des prix des matières premières. Ces outils visent à reproduire, aussi précisément que possible, les prix à terme observés sur le marché, et à prolonger la courbe pour n’importe quelle maturité. Cependant, leur utilisation requiert l’estimation de paramètres, laquelle dépend du contenu informationnel des prix