Ce que disent les empreintes digitales: un communiqué de presse d'IBM
Un communiqué de presse d’IBM
Signe de sa grandeur et de son dynamisme, l’entreprise IBM dépose une quantité incroyable de brevets par an : trois mille quatre cent onze en 2001, « seulement » deux mille huit cent quatre-vingt-six en l’an 2000. Vous avez bien lu. De plus, ce nombre est en augmentation. À titre de comparaison, une très grande entreprise française dépose environ deux cents brevets par an, le Centre national de la recherche scientifique, dans son entier, à peine plus, c’est- à-dire environ le dixième de ce que dépose IBM à elle seule. La seconde entreprise, dans ce domaine, est une entreprise japonaise bien connue, NEC, qui ne dépose « que » mille huit cent brevets par an. On dira sans doute que l’entreprise IBM a des raisons de breveter toutes sortes de choses un peu inutiles, au titre de la protection industrielle tous azimuts. On dira ce qu’on voudra, si IBM dépose des brevets « inutiles », elle doit avoir ses raisons, qui ont leur logique dans l’ensemble du système (l’intimidation et l’agressivité faisant aussi partie du jeu).
A l’occasion du nouveau record établi en 2002, IBM reçut un prix pour sa créativité. Certains brevets furent mis en avant. L’un des premiers cités dans les communiqués de presse était un brevet permettant… de mieux reconnaître les empreintes digitales, en tenant compte de la forme du substrat sur lequel elles sont trouvées. Ainsi, si l’empreinte apparaît sur un verre rond, on pourra corriger l’image relevée et en quelque sorte la remettre à plat, pour la comparer à celles qui sont dans les fichiers, ou à celles prélevées directement sur un suspect.
La reconnaissance de la forme des empreintes est un enjeu économique important, car lié à tous les problèmes de criminalité et de traque de la délinquance que l’on imagine, de même qu’à beaucoup de problèmes analogues que l’on n’imagine pas a priori. Aussi, chacun comprendra aisément que les ministères de la Justice ou de l’intérieur de tous les pays sont prêts à payer pour avoir des algorithmes fiables et rapides de reconnaissance des empreintes, et c’est sans doute ce besoin qui motive le plus les recherches dans le domaine de la reconnaissance automatique, par ordinateur, des empreintes. Mais il y a d’autres applications ; ainsi il est amusant ou surprenant de penser qu’on pourrait fabriquer des téléphones portables reconnaissant les empreintes digitales, de sorte que seul le propriétaire puisse composer un numéro ; la protection contre le vol serait imparable. On pourrait même aller plus loin : une empreinte digitale non reconnue par le téléphone serait aussitôt adressée, par le téléphone lui-même, à un service d’alerte ou de police…
Des pieds et des mains
Les deux dépêches d’agence ci-dessus (la décision du juge Pollak et la remise du prix de la créativité à IBM) soulignent l’importance pratique de la question de la morphogenèse. Mais les empreintes digitales posent par là même plusieurs questions profondes, communes à de nombreux problèmes de morphogenèse. Ces questions se ramènent souvent à une tension entre deux extrêmes. Par exemple : grande diversité de leurs formes, mais aussi grande ressemblance dans la diversité ; comment est-ce possible ? On devine là une caractéristique des formes à expliquer : un apparent désordre, une sensibilité à tous les aléas, et dans le même temps une sorte de permanence des patrons, d’universalité des motifs. D’autres points de rencontre (au sens métaphorique des plaques continentales, là où se produisent les séismes et l’activité volcanique) mettent en opposition les causes génétiques et les causes purement physiques, quasi automatiques des formes. On touche ici à la distinction entre les formes physiques, inanimées, d’une part, et les formes biologiques, d’autre part. Y a-t-il une différence de nature entre les deux domaines ?
Commencer par nos empreintes a nombre d’avantages. D’abord, sur le plan symbolique, métaphorique, quoi de plus pratique que la main ? Elle est l’incarnation de toutes les expressions imagées – prendre par la main, faire toucher du doigt-, en l’occurrence l’extraordinaire magie des formes, leur beauté, et le mystère de leur origine. On pourrait broder à rallonge sur cet air-là. Mais revenons à des considérations moins générales. L’intérêt de la main ne réside pas seulement dans cette évidente présence dans le langage, et dans les expressions vivantes utiles au vulgarisateur. Tout y pose question. Qu’il s’agisse de la forme ou du nombre des doigts, de la symétrie recto verso (dorso-ventrale, doit-on dire), droite gauche (la chiralité), de la différence entre les pieds et les mains (différence antéro-postérieure), de malformations plus ou moins tristes (telle femme a des mains formées de six index, tel enfant a les pieds fourchus) et, bien entendu, du contour étrange de ces lignes qui courent sur la main, et dont les motifs, à y bien regarder, sont beaucoup plus compliqués que la forme des doigts eux-mêmes. Evidemment, jouer sur les mots n’est pas très digne d’un scientifique, mais enfin, on s’essaiera dans ce livre à faire des pieds et des mains. On essaiera, notamment, de comprendre l’origine des malformations, peut-être de les corriger.
Plus piquant sans doute, je vais également essayer, dans ce chapitre, de vous dire un peu de quoi vous êtes fait ou faite. Quel est le lien entre votre matière, votre forme et votre identité. C’est un pari un peu risqué, presque une gageure pour un chercheur au CNRS, mais prenons-le ensemble : je vais dire quelque chose de vrai sur chacun d’entre vous, quelque chose de particulier et de juste, valable pour chaque individu, pour toi, public, qui lira ce livre. Jamais chiromancien ne fut capable d’un pareil tour de magie, et pourtant, avant la fin de ce chapitre, vous saurez quelque chose d’intime sur vous-même, que la lecture des lignes de vos empreintes digitales vous apprendra.
N’oublions pas que la lecture de ce que nous appelons les lignes de la main est toujours allée de pair avec la lecture des empreintes digitales. Les chiromanciens obstinés persistent, d’ailleurs, à chercher un sens caché aux empreintes digitales, bien que, dans le grand public (français), l’idée d’un lien entre la forme des empreintes et le caractère d’un individu ne soit plus très répandue. Ce n’est que récemment, avec les travaux de la police scientifique, qu’une distinction suffisamment forte est apparue entre empreintes digitales, à proprement parler, et lignes de la main. Une retombée curieuse, mais logique, de ces travaux est que les empreintes digitales ont perdu leur sens magique, dans le temps où elles servaient à ficher les gens.
Ainsi, ce n’est pas parce que les empreintes ont acquis un statut scientifique, qu’elles ont perdu leur mystère. De même, les personnes qui croient vaguement à l’astrologie, en dépit de tous les progrès de la science, la jetteraient rapidement aux orties, si, par exemple, on fixait les augmentations de salaire ou les promotions en fonction du signe astral.
Autant le dire sans ambages : au plan scientifique, il y a encore du travail sur le plat de la main ou sur la plante des pieds pour au moins vingt ans, et, le jour où l’on aura compris complètement la formation et les malformations d’une main, on aura compris toute la biologie du développement, et davantage encore. Peut-être, aussi, aurons-nous en partie compris cette fascination de l’homme pour la chiromancie, et mille autres superstitions de ce genre. Nous verrons, je l’espère, que les découvertes scientifiques n’altèrent en rien la part de rêve et de merveilleux qui mit les premiers chamans ou simples superstitieux sur le chemin du savoir.
En revanche, la science exige qu’on la suive pour de bon, et qu’on abandonne une fois pour toutes les vieilles lunes. Pour elle, il est triste, voire lamentable, de continuer à croire aux choses démontrées comme fausses. À la fin de ce chapitre, il faudra bien renoncer à une quelconque divination dans les lignes de la main. Espérons que ce ne sera pas trop dur.
Vidéo : Ce que disent les empreintes digitales: un communiqué de presse d’IBM
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