La distinction entre effets de masse et effets de groupe dans la société animale
Deux biologistes français, Georges Bohn et Anna Dworzina, ont découvert ce mécanisme, en 1920, alors qu’ils étudiaient la résistance à l’eau douce d’un petit ver d’eau de mer de la classe des turbellariés, le Convoluta.
Pour ce faire, ils isolaient des lots de Convoluta dans des boîtes de Pétri où l’eau se diluait progressivement. Ils remarquèrent que la phototaxie très nette manifestée par les vers dans l’eau de mer pure, s’affaiblissait considérablement au fur et à mesure que le mélange se rapprochait de l’eau douce, devenant même négative : les vers s’évitaient. Pourtant, au bout de deux jours environ, les petits vers marins récupéraient leur taxie normale et arrivaient à supporter un mélange à plus de 60% d’eau douce. En revanche, lorsque les vers étaient isolés, des concentrations bien plus faibles en eau douce provoquaient leur désagrégation en quelques heures seulement.
Avec d’autres espèces de vers, l’équipe américaine de W.C. Alleen i l 934) obtint les mêmes résultats.
Le phénomène s’explique par le fait que les Convoluta rejettent du calcium quand ils sont groupés. Or, ce calcium, forcément plus concentré autour d’animaux groupés, les protège contre les effets nocifs de l’eau douce. Les sujets isolés ne disposent tout simplement pas d’une quantité de calcium suffisante pour assurer leur protection. Les deux Français réitérèrent l’expérience avec des infusoires ciliés. De même, ils purent montrer que dans des solutions d’hydroquinone, substance toxique pour eux, les infusoires isolés mou-raient alors qu’en groupe, leur masse suffisait à les protéger.
Les effets de masse ne sont pas toujours liés au rejet d’une substance dans le milieu ambiant : le seul contact entre individus suffit parfois à assurer la protection. La masse peut agir sur le métabolisme en l’élevant ou en l’abaissant. Souvent, par exemple, l’intensité respiratoire d’animaux regroupés est inférieure à celle des individus isolés.
L’effet de masse peut encore se manifester par l’absorption d’une substance toxique : le mucus des poissons rouges, en nombre suffisant, détruit ainsi le collargol par l’émission d’une substance auto-protectrice.
De tels effets de masse se produisent chez les animaux qu’ils soient ou non sociaux. La plupart du temps il s’agit d’une modification physico-chimique du biotope induite par la masse des animaux. On a mis en évidence de tels effets chez les espèces les plus diverses : drosophiles, Tribolium (petits coléoptères de la farine), vers, protozoaires, poissons, etc. Ces phénomènes peuvent influer sur la longévité, la sexualité, la respiration et le métabolisme des espèces concernées.
Lorsque les animaux sont réunis dans un espace restreint, qu’il s’agisse d’un regroupement spontané ou artificiellement provoqué, les métabolismes et autres processus sont modifiés par les produits d’excrétion de la masse des individus, par l’effet des substances rejetées ou absorbées, mais pas par des échanges de stimuli entre individus.
Voilà bien ce qui fait la différence avec les effets de groupe dans lesquels, au contraire, les modifications biologiques des individus sont provoquées par des situations sensorielles exercées isolément par chaque individu à l’intérieur du groupe. Le nombre revêt alors beaucoup moins d’importance que dans l’effet de masse. Ainsi, les effets de groupe, contrairement aux effets de masse, peuvent se manifester dès l’instant où deux individus se trouvent réunis.