La radioactivité artificielle ou la revanche des joliot : La découverte
La découverte
Ce 11 janvier 1934, Frédéric Joliot est donc seul dans son laboratoire. Tout le matériel est prêt. La source de polonium est en place et la chambre est remplie de gaz carbonique à une pression suffisante pour stopper toutes les particules alpha. Le compteur Geiger, sous tension, attend. Il est pratiquement muet, puisqu’il ne reçoit que les rares rayonnements provenant du cosmos et de la radioactivité ambiante qui constituent ce que l’on nomme le « bruit de fond ». Et en fait ce terme est très bien adapté, puisque, dans le silence du laboratoire, troublé seulement par le ronronnement de la pompe, le physicien perçoit, à chaque impulsion, le petit claquement du numérateur mécanique associé au compteur Geiger-Müller qui enclenche une unité de plus. Ces sons, ces « coups », comme on dit dans le jargon du laboratoire, arrivent de façon irrégulière, au gré des fluctuations statistiques de ces événements rares qui se succèdent à la cadence moyenne de 9 par minute.
Joliot actionne la vanne qui met la chambre en communication avec la pompe, de façon à vider complètement l’enceinte. Les particules alpha parviennent à la feuille d’aluminium avec leur énergie maximale, et, conformément à l’attente du physicien, le compteur enregistre une augmentation notable du nombre d’impulsions.
Suivant son protocole expérimental, Frédéric Joliot détermine le nombre de « coups » par minute correspondant à cette énergie maximale des particules. Afin de recueillir des événements en nombre suffisant, cette mesure s’étend sur plusieurs minutes, pendant lesquelles la feuille d’aluminium reste exposée au plein flux des particules issues de la source. Ensuite, Joliot fait à nouveau entrer du gaz carbonique dans la chambre. Maintenant la pression est telle que les particules a parviennent à leur cible avec une énergie trop faible pour que des neutrons puissent être observés. D’après sa théorie, l’émission de positons devrait cesser également. Mais il n’en est rien. Imperturbable, le petit compteur continue à scander leur arrivée à un rythme bien supérieur au bruit de fond. L’oreille exercée de Joliot ne s’y trompe pas. Il se passe quelque chose d’anormal. Il augmente nettement la pression dans la chambre, jusqu’à être certain que les particules alpha n’atteignent pas la feuille d’aluminium, mais le numérateur continue à enregistrer de nombreux positons. Cependant, chose inouïe, le nombre de « coups » par minute, que le chercheur note avec soin, décroît de façon exponentielle avec le temps, selon la loi qui régit toute décroissance radioactive, et que Joliot reconnaît immédiatement.
Le physicien élabore alors une hypothèse à laquelle il n’ose cependant pas encore tout à fait croire : la feuille d’aluminium, bombardée par les particules pendant que la chambre était vide, est devenue radioactive, et c’est la décroissance de cette radioactivité qui est observée lorsque le gaz de la chambre empêche les particules alpha d’atteindre leur cible.
Dans un état croissant d’excitation, Joliot simplifie l’expérience. Plus besoin de chambre ni de gaz ! Il place directement la source de polonium au contact de l’aluminium, et laisse les rayonnements « irradier » cette feuille pendant quelques minutes. Puis, il transporte la feuille pour la mettre au contact du compteur Geiger-Müller. Le numérateur s’affole littéralement ! Minute par minute, Joliot note la décroissance de la radioactivité. Elle obéit scrupuleusement à une loi exponentielle, avec une période de demi-vie de trois minutes et 15 secondes. Joliot effectue divers contrôles et mesures quantitatives, et au bout de quelques heures de travail acharné, il est convaincu de sa découverte. Il a trouvé l’origine des positons qu’Irène et lui observent depuis une année déjà !
Ces anti-électrons ne sont pas émis en même temps que les neutrons de transmutation de l’aluminium. Ils proviennent de la désintégration d’un isotope radioactif, le phosphore 30, produit par les particules a dans la feuille selon la réaction :
27A1 + 4He -» 30P + n
Plus surprenant encore, l’isotope 30P, dont il vient de découvrir l’existence, se désintègre par émission d’un positon, c’est-à-dire selon un mode de radioactivité encore insoupçonné.
Joliot entrevoit une quantité d’expériences visant à confirmer cette découverte et à en étendre la portée. Cependant le soir est arrivé. Frédéric travaillerait volontiers toute la nuit, mais il est attendu, avec Irène, pour un dîner. À regret, il doit quitter le laboratoire. Soudain, le physicien est pris d’un doute. Toutes ses observations de l’après-midi reposent sur un seul instrument, le compteur Geiger, un nouveau venu assez capricieux et instable, qu’il ne connaît pas bien. Un défaut de fonctionnement de cet instrument serait-il à l’origine de parasites qui auraient pu créer l’illusion d’une décroissance radioactive ?
Un contrôle s’impose. Joliot appelle Gentner, le spécialiste de ce compteur et lui demande de vérifier que le petit appareil est en état de marche. Après un bref examen, la réponse du physicien allemand est rassurante. Tout semble normal. Mais l’enjeu est si grave que Joliot demande à son jeune collègue de procéder à un examen plus complet, pendant que lui-même se rendra à son rendez-vous.
Le lendemain matin 12 janvier, Irène et Frédéric trouveront, dès leur arrivée au laboratoire, une petite note de Gentner spécifiant que le compteur fonctionne parfaitement…
Vidéo : La radioactivité artificielle ou la revanche des joliot : La découverte
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