La régulation de la fécondité dans les sociétés animales
En ce qui concerne les effets de groupe du point de vue de la régulation sociale, il est arrivé qu’on aille jusqu’à évoquer une forme de planification des naissances.
Ainsi, chez les souris, le comportement aussi bien que la physiologie diffèrent grandement selon que les animaux résident en groupe, ou restent isolés dans leurs cages. Quand la densité des souris est trop élevée, une limitation naturelle du taux de reproduction intervient. Signalons que l’intensité des phénomènes observés varie en proportion de l’importance numérique du groupe.
Les conditions écologiques:
La première condition d’un effet de groupe de ce type est, bien sûr, d’ordre écologique, l’augmentation de densité des populations s’observant, par définition, sur une surface donnée. La température, la sécheresse et tous les facteurs écologiques possibles peuvent conduire les animaux à se rassembler. Certaines espèces sont stimulées dans leur fécondité par l’abondance ou la floraison de certaines plantes. On a pu noter des pullulations de rats Oryzomys- Brésil – en corrélation avec la floraison du bambou. La composition chimique de certaines plantes nourricières, en raccourcissant les cycles œstriens, influence vraisemblablement la fécondité des rongeurs.
Les réactions à la surpopulation:
Dès les années cinquante, John Christian, endocrinologue autant qu’éthologue, avait proposé d’expliquer la régulation de la croissance des populations animales par des réponses des glandes endocrines à la densité du groupe.
Quelques exemples:
Chez les cerfs:
Sur l’île James, près de la côte du Maryland, J. Christian a étudié des cerfs qui s’étaient reproduits librement et sans poser aucun problème jusqu’au moment où le petit groupe initial de cinq cerfs (cervus nippon, Sika) est devenu un troupeau de près de 300 têtes. On constata alors la mort subite d’une grande partie de ces animaux. Cette mortalité était mystérieuse car, à l’évidence, les cerfs ne manquaient pas de nourriture et semblaient même en très bonne santé. Les animaux étaient seulement plus gros que la moyenne et, surtout, l’autopsie révéla un hyperfonctionnement des glandes surrénales. Celles-ci sont impliquées dans la régulation de la croissance, dans la reproduction, les systèmes de défense de l’organisme et dans le stress qui, s’il est trop fréquent, entraîne l’hypertrophie des glandes surrénales.
Chez les rats:
Les travaux d’un autre éthologue américain, John B. Calhoun (1962), sur les rats blancs de laboratoire allèrent dans le même sens. Lorsque, dans un élevage expérimental, ces animaux devenaient trop nombreux, toutes leurs structures sociales avaient tendance à se dégrader : ordre hiérarchique bouleversé, batailles pour la nourriture même en cas d’abondance, nids mal construits et mal entretenus par les femelles, mortalité infantile importante… Les activités sexuelles aberrantes des mâles et une agressivité anormalement élevée complétaient cette situation de stress intense.
Ici aussi, l’autopsie conduisit à penser que la surpopulation était à l’origine de cet état de stress : on découvrit que le foie, les reins et, surtout, les glandes surrénales étaient hypertrophiées ou en mauvais état.
Chez les souris, marmottes, lapins et campagnols Avec l’accroissement de densité d’une population, la fonction hypophyso-corticale augmente et la fonction hypophyso-génitale diminue. Ces hypothèses ont été parfaitement vérifiées chez les souris dans la plupart des cas étudiés. Les réactions physiologiques observées chez ces animaux sont en relation avec la hiérarchie sociale. On peut d’ailleurs réduire l’intensité des réponses à une forte densité en diminuant l’agressivité des individus par un apport de réserpine ou de chlorpromazine, par exemple. Des résultats identiques ont été obtenus aussi bien chez des souris de laboratoire, donc dans des conditions relativement artificielles, que chez des populations de souris, de campagnols ou de lapins vivant librement, quoique «confinées». Dans la nature, on a pu observer les mêmes phénomènes chez des marmottes et des campagnols.
Les dérèglements glandulaires liés à la surpopulation:
La surpopulation entraîne un état de tension nerveuse : contacts interindividuels multipliés, petits affrontements, etc.
Le départ du phénomène de surpopulation est donc sensoriel mais il se produit rapidement un trouble profond dans le rapport des glandes hypophyse et surrénales. L’hypophyse est surexcitée par cette tension et sécrète un excès de corticostimuline. L’hyper-excitation surrénalienne qui s’ensuit agit sur le métabolisme : hypoglycémie et troubles nombreux.
Ainsi, si l’on réunit, par groupes numériquement croissants, deux, quatre, huit ou seize des souris mâles que l’on a d’abord isolées, les sujets deviennent tous actifs à la suite du groupement. Or, on sait que ni l’espace ni la quantité de nourriture ne sont à la source de ces réactions dues au seul groupement.
A l’autopsie, le poids des surrénales a considérablement augmenté en relation avec l’accroissement de la densité (épaississement du cortex surrénalien). Corrélativement, le poids des testicules a diminué.
Les mécanismes de la régulation:
Dans des situations de moindre stress, la densité de la population est normalement régulée par plusieurs effets de groupe qui agissent surtout sur les processus de reproduction.
Les stimuli olfactifs:
Chez les mammifères, les odeurs jouent un rôle déterminant.
En 1966, l’Anglais H.M. Bruce démontra que l’introduction d’un mâle étranger dans la cage où se trouve une souris femelle féconde inhibe la prégnance en bloquant l’implantation. L’urine de mâles étrangers, porteurs d’une odeur différente, suffit à provoquer le même blocage. Il s’agit donc bien de l’émission d’une phéromone. En 1965, A.S. Parkes puis J.C. Dominic (1966) montrèrent que si le mâle introduit avait été castré avant la puberté, ou si la femelle était privée d’odorat, plus aucun blocage de la prégnance ne se produisait.
Les stimuli olfactifs affectent l’hypothalamus. Celui-ci empêcherait la sécrétion de prolactine par l’hypophyse. Ces modifications endocriniennes provoquent le retour d’un cycle œstrien normal. La phéromone du mâle, responsable du blocage, et présente dans son urine, est sous la dépendance de l’androgène. La castration la fait disparaître de l’urine et un traitement aux androgènes chez un mâle- ou une femelle – castré la fait réapparaître.
Le rôle des glandes surrénales:
Les surrénales semblent également impliquées dans le phénomène, et c’est probablement par cette voie que l’hypothalamus est affecté. On vu que les conditions du milieu dans lequel se produit normalement le blocage de la grossesse en cas de surpopulation provoquent de la même façon des changements de taille et de fonctionnement des glandes surrénales. Ce blocage a été mis en évidence non seulement chez d’autres rongeurs mais encore, de façon certaine, chez d’autres mammifères.
L’induction des cycles œstriens:
Un deuxième effet de groupe, dû également aux phéromones, a été observé par L.F. Whitten (1973) et L.M. Boot.
Des souris logées dans une même cage présentent des cycles œstriens irréguliers en l’absence d’œstrus. Les femelles présentent même des pseudo-prégnances spontanées (S. Van der Lee et L.M. Boot, 1965). La présence d’un mâle adulte ou simplement son urine, ou même son odeur met les femelles en œstrus et synchronise les cycles. Cette induction des cycles n’existe pas seulement chez les souris. On l’a découverte chez plusieurs autres espèces : brebis, chèvres, acouchis (myopracta).
L’effet ne se produit qu’après 48 heures et n’apparaît pas si on a utilisé des mâles castrés. Il se déclenche, en revanche, si on se sert de femelles traitées aux androgènes. On peut donc dire qu’il s’agit probablement d’un métabolite stéroïdique.
La maturation sexuelle précoce:
Un autre effet, découvert ensuite (1968) concerne l’influence des mâles sur la reproduction elle-même par l’avancement de la puberté. Lorsque de jeunes souris femelles sont logées avec des mâles, ou exposées à leur odeur, elles atteignent plus précocement la puberté.
La maturation est avancée (C.R. Terman, 1968, 1969) et la reproduction augmentée chez les couples de Peromyscus (souris du crépuscule) élevés sur des copeaux de bois provenant d’un élevage à haute densité où la reproduction est inhibée. Cette maturation précoce ne s’observe plus chez des couples élevés sur des copeaux de bois propre.
L’expérience de Philippe Ropartz:
Philippe Ropartz (1966), de l’université de Strasbourg, a bien montré que tous ces effets de groupe, dont la nature peut être différente sur le plan endocrinien, dépendent d’un mécanisme olfactif, déjà soupçonné par les chercheurs précédents. Ph. Ropartz en a fait la démonstration.
Il a ainsi imaginé le montage d’une petite turbine électrique permettant d’envoyer différents flux d’air vers des souris isolées. Certains courants d’air, inodores, sont envoyés à des souris témoins, tandis que d’autres femelles reçoivent l’odeur d’un groupe de vingt souris mâles. Ph. Ropartz constate que les seuls effluves odorants d’un groupe de mâles étrangers conduisent à un accroissement notable du poids des surrénales par rapport aux animaux témoins. Mais il ne note aucune différence entre souris groupées et souris isolées si elles sont privées de bulbes olfactifs : l’absence de sens olfactif les empêche donc de réagir au groupement. En outre, lorsque les souris reçoivent l’odeur d’un groupe étranger, leur activité locomotrice augmente et traduit un déséquilibre social ; à l’inverse, aucune augmentation de l’activité ne s’observe lorsque le groupe reçoit sa propre odeur.
Deux facteurs sont responsables de ces réactions : le facteur urinaire et le facteur plantaire.
La substance odorante, présente dans les urines, provient des « glandes coagulantes », glandes accessoires du tractus génital mâle. Le facteur plantaire permet d’expliquer que des mâles, même castrés, peuvent encore induire la réaction chez les femelles. Il correspondrait à une odeur individuelle, tandis que le facteur urinaire renverrait plutôt à une odeur de groupe. En effet, celui-ci n’est sécrété que lorsque les animaux sont groupés (odeur coloniale ou odeur de groupe) et que des stimulations tactiles se produisent entre individus.
J.J. Christian (1950) pour expliquer ses observations, avait d’abord pensé à l’agressivité entre mâles dans les cas de surpopulation. Mais, comme on a montré que des liens existent de façon certaine entre l’olfaction et l’agressivité, les deux explications sont parfaitement conciliables.
Signalons qu’on a peu étudié les effets de groupe en tant que tels chez les primates. Pourtant, il y a tout lieu de penser qu’ils revêtent chez eux une grande importance.
Vidéo : La régulation de la fécondité dans les sociétés animales
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