Lamproies
Il n’y a pas si longtemps encore, les zoologistes distinguaient les poissons sans mâchoires ou agnathes, regroupant les myxines et les lamproies, des autres cordés à mâchoires ou gnathostomes et notamment des poissons à mâchoires. En fait, myxines et lamproies n’ont de commun avec les «vrais» poissons que le fait de vivre dans les mêmes milieux aquatiques. Elles en sont si différentes structurellement qu’elles ont été séparées des poissons, dont elles se distinguent en particulier par leur système branchial et l’absence de nageoires paires.
Des études récentes ont mis en évidence que les myxines et les lamproies n’avaient probablement pas la parenté qu’on leur attribuait jadis. Si elles ont en commun une structure simplifiée de cordé, les premières ont un crâne réduit à une simple gouttière cartilagineuse supportant un cerveau non protégé par une voûte crânienne, alors que celui des lamproies forme une véritable boîte. De même, la notocorde des myxines est restée dans un état primitif, sans aucune ébauche vertébrale, tandis que chez les lamproies elle s’entoure de nodules cartilagineux, ébauches d’arcs vertébraux.
Les myxines : des charognards marins
Les myxines forment une petite famille d’une trentaine d’espèces dont la morphologie est caractérisée par un corps anguilli- forme, à peau nue, supporté par un squelette fibro-cartilagineux. Il n’existe qu’une seule nageoire autour de la queue se prolongeant ventralement. La bouche est une gouttière bordée de lèvres et entourée d’une ou deux paires de barbillons. La narine unique qui s’ouvre dans la partie supérieure de la bouche est aussi entourée de deux paires de barbillons. La langue, garnie de deux rangées de dents cornées, est un organe foreur puissant. Les yeux dégénérés ne sont pas visibles extérieurement. Le système branchial est constitué de cinq à quinze paires de chambres branchiales qui s’ouvrent intérieurement sur le pharynx ; ces chambres communiquent avec l’extérieur directement par des pores ou par l’intermédiaire d’un tube respiratoire commun débouchant par un pore unique. Les myxines n’ont qu’une seule gonade bisexuée, cependant cet hermaphrodisme n’est pas fonctionnel.
Les myxines sont exclusivement marines; elles vivent de préférence sur les fonds vaseux des mers tempérées, entre 20 et 1 300 mètres de profondeur.Elles sont capables de nager activement par ondulations de leur corps aussi bien en avant qu’en arrière. Souvent, elles s’enfouissent dans la vase, ne laissant dépasser que leur museau garni de barbillons. Né- crophages, elles se nourrissent principalement de poissons morts ou mourants. En général, les myxines pénètrent dans le poisson par les ouïes. Le festin débute par les viscères et se termine par la chair, qui est triturée avant d’être ingérée. Les myxines sont capables de ronger leur proie en ne laissant de celle-ci qu’un sac de peau rempli d’os. Il arrive que les pêcheurs trouvent de tels sacs dans leurs filets avec, à l’intérieur, une ou plusieurs myxines repues.
Certaines myxines forent directement la peau de leur proie pour pénétrer dans la cavité corporelle. Si les myxines sont aveugles, elles ont, en revanche, un excellent odorat.Il est facile de les appâter avec des restes de poissons et de les prendre à la nasse, mais elles ne mordent jamais à l’hameçon.
Les myxines sont ovipares ; les œufs sont gros (20 à 25 mm), peu nombreux (quelques dizaines au plus) et protégés par une coque cornée en forme de papillote. Ils sont déposés sur le fond, où ils s’accrochent grâce à leurs filaments. Le développement est direct, sans stade larvaire. Les myxines ne sont pas comestibles et n’ont aucune valeur commerciale. Au contraire, les pêcheurs les considèrent comme des nuisances, car elles occasionnent de sérieux dommages aux poissons pris dans leurs filets ou sur leurs lignes, et parce qu’ elles «polluent” les captures avec leur mucus gluant dont il est très difficile de se débarrasser. En général, les myxines sont de petite taille, les plus grandes ne dépassant guère 80 centimètres.
La reproduction épuisante des lamproies
Comme les myxines, les lamproies ont un corps anguilliforme à peau nue, et leur squelette est cartilagineux. Il existe une nageoire dorsale, parfois double, et une caudale supportées par des rayons. La bouche forme un entonnoir béant ou bien un disque garni de nombreuses dents cornées, mais elle n’est pas entourée de barbillons. La narine unique ne s’ouvre pas dans la bouche comme chez les myxines, mais sur la tête. Les yeux sont bien développés et fonctionnels. Chez l’adulte, le système branchial est constitué de sept chambres qui s’ouvrent intérieurement sur le pharynx et extérieurement par autant de pores. Comme chez les myxines, il n’y a qu’une gonade, mais les sexes sont séparés.
Les lamproies vivent en mer ou en eau douce. A maturité, les lamproies marines s’approchent des côtes et remontent les rivières (migration anadromique) à la recherche de fonds graveleux en eau courante, propice au développement des œufs. Il y a accouplement, mais la fécondation est externe. Le mâle se maintient sur la femelle par sa ventouse buccale, la femelle étant elle-même fixée à une pierre du fond, en amont de la frayère. Avant l’accouplement, le mâle creuse dans le fond de la rivière une sorte d’auge destinée à recevoir les œufs. Les parents, qui sont très affaiblis par une migration de plusieurs centaines de kilomètres et ne s’alimentent plus depuis leur départ, meurent peu après la reproduction. Durant cette période, les lamproies vivent sur leurs réserves qui s’épuisent d’autant plus rapidement qu’elles ont à fabriquer leurs produits sexuels. Cet état d’extrême fatigue se traduit par une diminution de la taille.
Les œufs, petits (environ 1 mm) et nombreux (jusqu’à 260 000), donneront une larve, l’ammocète, très différente de l’adulte. Cette larve vermiforme a une bouche en forme de fer à cheval, dépourvue de dents, mais garnie de nombreuses papilles. La vie larvaire, qui dure de trois à cinq ans, a lieu en eau douce. Pendant cette période, l’ammocète vit cachée sous les pierres de la rivière et se nourrit de microorganismes, notamment d’algues microscopiques (diatomées). A terme, elle atteindra une taille de 10 à 20 centimètres, et se métamorphosera alors en adulte. La métamorphose dure quelques semaines, le temps pour les yeux de devenir fonctionnels et pour le système buccal de se former. Une nouvelle vie commence pour la lamproie, qui redescend la rivière pour gagner la mer. Cependant, la métamorphose n’est pas toujours suivie d’un changement de milieu, certaines espèces demeurant en eau douce.
La vie des lamproies qui arrivent en mer nous est encore mystérieuse. En effet, elles sont rarement capturées au large, mais pêchées sur la côte et en estuaire au moment de leur migration reproductrice. Elles- resteront en mer plusieurs années pour effectuer leur croissance et atteindre une taille maximale d’environ 1 mètre. Les lamproies sont des parasites externes qui se nourrissent aux dépens des poissons et des cétacés. Elles s’attachent à leurs proies au moyen de leur disque buccal, triturent les chairs de leur victime avec leurs dents cornées et les saignent à blanc. Des glandes buccales produisent un mucus anticoagulant facilitant la dégustation. Malgré cela, ou bien en raison de ce régime particulier, ces vampires aquatiques ont une chair grasse et savoureuse appréciée depuis l’Antiquité.