Le rythme fondamental d'environ vingt-quatre heures
Un rythme paraît fondamental pour la plupart des espèces, car tous les êtres le suivent, de la bactérie à l’homme. Il est voisin de celui de vingt-quatre heures, et a donc été appelé « circadien » (du latin circadien : « autour du jour »). Il est lié à l’alternance du jour et de la nuit : tous les organismes ont la mémoire du temps cosmique, laquelle a dû apparaître au tout début de l’évolution, chez les premières algues bleues, il y a plus de trois milliards d’années. De nombreuses observations, faites sur toutes sortes d’espèces, montrent, de façon irréfutable, que ce rythme n’est pas imposé de l’extérieur, mais est commandé par une horloge biologique interne, même si cette dernière agit en corrélation avec l’alternance jour-nuit. En les soustrayant à l’influence des rythmes naturels, en les plaçant par exemple dans des satellites volant en orbite autour de la Terre, dans l’obscurité totale, de petits organismes continuent à suivre, comme sur le sol, ce rythme d’environ vingt-quatre heures. On a observé le même phénomène chez des animaux qui vivent dans l’obscurité des cavernes depuis des dizaines de milliers de générations. Le fait même qu’il ne soit pas exactement de la même durée que la rotation de la Terre autour du Soleil est un élément de preuve supplémentaire de la relative indépendance de ce rythme. Il s’applique à bien d’autres phénomènes, en dehors du sommeil. Les naissances des petits des lapines, des souris, des juments ont ainsi lieu exclusivement pendant la nuit. Celles des petits de rattes, des chèvres, des truies uniquement pendant la journée.
Certains animaux possèdent des rythmes internes associés à d’autres phénomènes extérieurs, par exemple aux marées, et disposent, eux aussi, d’une relative indépendance par rapport à ces phénomènes, ce qui se traduit notamment par la possibilité, tout à fait remarquable, de les précéder. Les crabes musiciens des plages de l’Amérique du Nord sortent à marée basse pour se livrer à leurs activités, mais repartent dans leur terrier avant que la mer ne revienne. Ils font exactement la même chose, aux mêmes heures, lorsqu’on les met dans un aquarium, constamment éclairé ou maintenu dans l’obscurité, et cela pendant neuf mois, même s’ils n’ont vécu qu’un cycle dans la nature. Le ver plat qu’on appelle « convulata » et qui vit sur les rivages de Bretagne sort du sable dès que la marée est baisse : il est alors si abondant que la plage en devient verte. Lui aussi sait, grâce à ses rythmes internes, rentrer dans le sable avant que la marée montante n’arrive. Au printemps, il abandonne sur la plage sa partie postérieure, qui contient les œufs. Ces vers plats font exactement la même chose, aux mêmes heures, lorsqu’on les place dans un aquarium, sans qu’ils puissent donc se régler sur l’influence de la Lune, qui commande les marées. Les poissons grumons de Californie profitent d’une grande marée pour abandonner eux aussi sur la plage leurs œufs et le sperme qui va les féconder. La nouvelle génération reprendra la mer avec la prochaine.une grande marée.
On constate un même phénomène rythmique sur des organes séparés d’un être vivant et mis en culture artificielle, comme des cellules, ou même un cœur: ils continuent de battre, comme lis étaient encore dans l’organisme de l’animal. Chacun peut le vérifier chez soi : les moules vivantes placées dans la cuisine et pirles à être cuites, dégorgent au rythme de la marée, comme si elles étaient dans la mer. Les tulipes s’ouvrent et se ferment à heure fixe, même si on les éclaire constamment ou si elles sont séparées de leur bulbe. Comme nous le verrons plus en détail plus loin, on a vérifié l’existence de cette horloge interne chez des volontaires humains qui ont accepté de vivre de longues périodes, parfois des mois, dans des cavernes souterraines, hors du temps, puisqu’ils ne disposaient pas de montre. Leur estimation de la durée d’un «jour » s’est parfois éloignée du rythme de vmgt-quatre heures, mais pas de beaucoup. En revanche, d’autres fonctions internes, comme les variations de température ou la production d’hormones, ont vu leurs rythmes se dérégler davantage.
Un cas étrange est celui des baleines à bosse, qui chantent, chacune à sa façon, mais en répétant les mêmes sons, exactement, de très nombreuses fois, et pendant une demi-heure. On ne sait pas exactement à quoi correspondent ces chants : an appel amoureux ? Une façon de se retrouver au moment des migrations ? L’intéressant est que les baleines puissent retenir et reproduire une mélodie durant une période généralement fixe, d’une demi-heure. Le naturaliste américain Stephen Jay Gould, qui relate ce fait, se demande à quoi correspond ce cycle dans l’existence d’une baleine, laquelle dure une centaine d’années, mais dont le rythme de vie est bien plus lent que le nôtre. Pour une baleine, une demi-heure correspond peut-être à une minute pour nous.