Le temps du vivant
Pour les biologistes, les choses sont plus claires. Il n’est pas de doute possible : la « flèche du temps» marque fortement de son empreinte tout le monde vivant. Elle est nécessaire à la vie. L’observation montre sans discussion possible que, si le temps n a guère de prise sur les choses inanimées – si ce n’est à la longue l’usure – tous les êtres vivants subissent à tout moment l’impact Réversible de son déroulement. Ils naissent, grandissent, se reproduisent et meurent, sans pouvoir jamais revenir en arrière. Peut-être, pour reprendre les observations de la physique, parce qu’ils sont composés d’un plus grand nombre d’éléments que les systèmes inertes, qu’ils sont davantage compliqués. Mais surtout parce qu’ils sont des systèmes ouverts, en communication permanente et en échanges avec le monde extérieur. Le temps joue un rôle capital dans tous les phénomènes de la vie : on a Pu dire que !’essentiel de la plus grande complexité du monde biologique par rapport au monde physique vient de la manière dont le temps y est impliqué.
Cela est vrai pour les individus, mais aussi pour les espèces vivantes. « Le temps, dit le biologiste François Jacob, est indissociable de la genèse même du monde vivant et de son évolution.On ne rencontre, sur cette terre, aucun organisme qui ne constitue l’extrémité d’une série d’êtres ayant vécu au cours des deux derniers milliards d’années ou plus. » L’évolution suit la « flèche du temps », elle a toujours été de l’avant, sans se retourner. Les dinosaures ne reviendront jamais, l’apparition des ancêtres de l’homme ne s’est produite qu’une fois, il y a environ six millions d’années, par la séparation de notre lignée d’avec celle de nos cousins les grands singes – et ne se reproduira pas. «L’évolution, dit encore le biologiste Jacques Monod, est un processus nécessairement irréversible, qui défini( une direction dans le temps. » On ne peut imaginer de repasser le film à l’envers. Le temps assure la fixation, la perpétuation d’une espèce vivante, au travers de la stabilité de son hérédité, de son acide nucléique. Cette stabilité du vivant est l’une de ses principales caractéristiques.
Cependant, les espèces se modifient parfois, lorsqu’un changement dans leur hérédité, ce qu’on appelle une mutation, vient les transformer. Ces mutations peuvent être défavorables lorsqu’elles aboutissent à produire un être non viable, ou porteur d’une tare. Elles sont bénéfiques, au contraire, lorsqu’elles permettent aux êtres qui les portent de mieux s’adapter à un environnement qui s’est modifié. C’est le cas, classique, des papillons blancs, qui menaçaient de disparaître lorsqu’au XIXe siècle la fumée des usines a sali les murs des maisons, en Angleterre, les rendant des proies facilement visibles. Ils n’ont survécu que grâce aux quelques mutants gris qui sont apparus parmi eux. Ce remplacement d’une espèce par une autre, mieux adaptée, est ce qu’on appelle la sélection naturelle, l’un des deux grands principes, avec celui des mutations, de la théorie de l’évolution, formulée par Darwin il y a cent cinquante ans et aujourd’hui universellement acceptée, sauf par de petits groupes de fondamentalistes américains qui s’en tiennent à la lettre de l’Ancien Testament et considèrent que tout ce qui vit sur Terre a été créé par Dieu en six jours et n’a pas bougé depuis.