Les avantages de la sociabilité dans les sociétés animales
Le fait que la vie solitaire soit relativement rare semble bien montrer que la vie sociale a très largement été privilégiée au cours de l’évolution : on peut presque affirmer que l’état social permet de résoudre bon nombre de problèmes rencontrés dans l’environnement. La vie en société représente donc le plus souvent une marque réussie d’adaptation. Les conduites animales doivent toujours être considérées dans le cadre de leur rôle adaptatif. Pourtant, ce n’est probablement pas la seule voie possible et comme toujours l’adaptation revêt des formes multiples. C’est ce qui explique, d’une certaine façon, que des espèces très proches au plan zoologique, revêtent des formes de socialité fort différentes. On l’a vu chez les abeilles, par exemple, où l’on rencontre tous les degrés de socialité des espèces solitaires aux espèces les plus franchement sociales.
Les effets de masse : Selon W.C. Allee (1934), certains avantages résultent de la taille du groupe lui-même ou, plus exactement, de la quantité d’animaux réunis ensemble.
Ainsi, dans un milieu trop alcalin, certains animaux, comme différentes espèces de vers et d’infusoires, ne doivent leur survie qu’à une acidification due à leur regroupement. De même, l’élimination d’un produit toxique, et donc la survie, n’est parfois rendue possible que par le regroupement d’un nombre suffisamment important d’individus d’une même espèce. C’est, par exemple, le cas du petit ver marin Convoluta (Turbellarié). Ces cas ne sont pas, à proprement parler, des phénomènes sociaux mais bien plutôt des effets de masse (contrairement aux véritables effets de groupe). Dans les effets de masse, n’interviennent aucune interattraction véritable ni stimulation sensorielle.
La régulation des populations:
Pour V.C. Wynne-Edwards (1962, 1965), les systèmes sociaux permettent, avant tout, une régulation des populations animales. Si la dispersion des animaux dépend des conditions de leur habitat, elle est tout autant déterminée par leurs interactions sociales.
Le rôle de la nourriture:
Tant que les conditions le permettent, le nombre d’individus d’une espèce donnée augmente librement. Mais certains facteurs vont venir limiter la régularité de ce développement. La restriction de nourriture, en particulier, est un facteur limitant. Encore que l’on puisse supposer que si la nourriture restait constamment abondante, elle ne pourrait être d’aucune utilité dans la sauvegarde du milieu en cas de surexploitation des ressources par surpopulation en un endroit donné. La relation à l’alimentation révéla l’importance de tous les comportements conventionnels chez les animaux, sociaux en particulier. V.C. Wynne-Edwards considéra certains mécanismes comme essentiels. Les systèmes de répartition de l’espace où un individu revendique une possession sur une portion de terrain (territoire) sont à l’origine d’une compétition très intense. Il en résulte un espace découpé où chaque parcelle aura sa fonction propre (reproduction, alimentation). Un territoire doit avoir une certaine taille et les individus qui n’ont pu en acquérir ou en maintenir un sont le plus souvent exclus de cet habitat. Wynne-Edwards eut cette idée à la suite d’une étude réalisée par une autre équipe écossaise (D. Jankins, A. Watson et G.R. Miller d’Aberdeen, 1967) sur le lagopède rouge, une sorte de grouse, proche d’ailleurs des lagopèdes des Alpes. Chez cette espèce, les dimensions du territoire paraissent augmenter lorsque la nourriture devient rare et diminuer lorsqu’elle est abondante. La densité de la population diminue ou augmente en corrélation. Le comportement social – territorial ici – semble se calquer sur l’estimation de nourriture disponible et tend à repousser un excédent d’individus.
Le rôle de l’espace :
La limitation des individus d’une population en un habitat donné peut être atteinte par d’autres mécanismes. Ainsi, de nombreuses espèces d’oiseaux qui nichent en colonies, comme celles des bords de mer ou celles dont le mode de vie prédominant est aérien, ne peuvent pas, bien sûr, diviser les endroits où ils se nourrissent en territoires individuels statiques. Les couples n’entrent en compétition qu’aussi longtemps qu’un site de nid peut rester convenable. Les sites de nid sont fréquemment agglomérés ensemble. Les individus retournent, année après année, aux domaines anciennement établis où la colonie a tracé étroitement un périmètre d’occupation des lieux et, ici encore, il n’y pas toujours de place disponible pour tous les concurrents. Ceux qui n’ont pas réussi à s’établir sont relégués dans des groupes de reproduction de réserve où leur maturation sexuelle est souvent inhibée, ou encore doivent s’éloigner définitivement.
Le rôle de la hiérarchie :
Un autre mécanisme avancé par V.C. Wynne-Edwards (1965) est celui de la dominance où s’établit une hiérarchie sociale. Les systèmes hiérarchiques entraînent les mêmes résultats que les systèmes territoriaux : un quota limité d’individus pourra se partager les ressources disponibles tandis que les autres en seront exclus. La plupart des chercheurs reconnaît qu’effectivement, la possession d’un territoire ou la hiérarchie dans un groupe sont d’excellents facteurs, entre autres, pour contrôler l’accès aux ressources alimentaires. L’exclusion d’un certain nombre d’individus d’un endroit donné évite naturellement une surexploitation des possibilités.
Se regrouper pour coopérer :
La coopération dans les groupes sociaux est devenue presque la règle chez de nombreuses espèces: lions, hyènes tachetées, chiens sauvages, chacals, loups…
La défense :
Se protéger des prédateurs :
Les mammifères qui vivent en groupes, troupeaux ou hardes utilisent le regroupement pour se protéger des prédateurs. En effet, ces derniers attaquent rarement un individu inscrit dans un groupe. Il leur faut généralement imaginer d’autres stratégies souvent bien difficiles ou délicates, comme par exemple, disperser le groupe pour attaquer brutalement un individu isolé.
Selon B.C.R. Bertram (1978, 1979), plusieurs grands comportements sociaux agissent en ce sens :
– Les individus peuvent utiliser les autres membres du groupe comme simple couverture.
– Ils peuvent, grâce aux autres, avoir un meilleur système d’informations pour détecter d’éventuels prédateurs.
– Ils peuvent constituer de véritables groupes de défense (comme dans le cas de mobbing ou houspillage où des petits oiseaux harcèlent ensemble un hibou par exemple).
– L’espacement et tous les comportements qui peuvent y concourir (comme le territoire) ont une fonction qui va dans ce sens.
Il a été clairement prouvé qu’un animal a bien moins de risques d’être tué lorsqu’il est en groupe que lorsqu’il se trouve seul. Cependant l’augmentation du nombre des membres du groupe ne présente pas que des avantages et il faut en particulier tenir compte des coûts de compétition entre individus pour leur nourriture. Un équilibre doit donc s’établir. Si la contrainte de nourriture est déplacée, les avantages anti-prédateurs du groupe dépassent les effets d’interférence. Les gnous du parc Seregenti en Tanzanie, par exemple, peuvent constituer de très grands groupes car le problème de la nourriture ne se pose pas dans la mesure où l’herbe est produite à une très grande vitesse et où les Dans les habitats couverts ou fermés, les grands troupeaux sont peu fréquents parce qu’ils seraient trop facilement détectés par les prédateurs.
Les stratégies de vigilance :
Les stratégies de vigilance sont nombreuses dans les groupes sociaux. Dans certaines espèces, la surveillance est totalement collective; dans d’autres, elle se répartit selon des tours de garde. Les chiens de prairie surveillent en groupe et naturellement la vigilance de plusieurs d’entre eux est bien plus efficace que celle d’un seul individu. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il s’agit d’échapper à un prédateur, il faut toujours pouvoir prévenir de son arrivée éventuelle ou surveiller continuellement son environnement. Comment rechercher alors en même temps sa propre subsistance ?
Certains membres du groupe assurent alors à tour de rôle des tours de garde, pendant que les autres partent à la recherche de leur nourriture et bénéficient d’une tranquillité ininterrompue. Selon R.H. Hegner (1985], chez les mésanges (les mésanges bleues, Parus caeruleus, tout du moins), il semblerait que les individus dominants surveillent plus que les dominés ; en effet, les dominants utilisent plus efficacement les ressources alimentaires qu’ils recherchent moins intensément (puisque moins motivés) et il leur reste plus de temps pour surveiller les environs. Dans les couples d’oiseaux, la surveillance est assurée de façon plus longue par les mâles que par les femelles. Ceci s’explique d’une part par le fait que des contingences hormonales interviennent (c’est aussi, en général, les mâles qui assurent la plus grande part des activités territoriales) et d’autre part, parce qu’en général, ce sont les femelles qui assurent l’incubation des œufs ; elles ont donc moins de temps et plus de nécessité de récupérer après l’éclosion.
Bien différente, la situation est chez les singes en rapport avec la hiérarchie. Chez les talapoins par exemple, les étrangers au groupe sont très surveillés et il s’instaure une hiérarchie de surveillance : les plus bas dans la hiérarchie sont les plus vigilants et surveillent avant tout les dominants. Chez les capucins du Venezuela, la vigilance est moins dirigée sur les étrangers ou dominants que sur les prédateurs.
Chez les macaques de Barbarie étudiés par J.-P. Desportes (1987), ni les prédateurs ni les ressources alimentaires ne posent de problèmes et les macaques surveillent surtout leurs congénères ; ils recueillent, tête baissée, une poignée de graines de tournesol puis, tout en les mangeant, effectuent la tête levée un balayage visuel.
La reproduction communautaire :
L’avantage de la vie en groupe se traduit également dans la reproduction communautaire, que l’on observe surtout chez quelques espèces d’oiseaux.
Plusieurs individus peuvent assurer ensemble l’élevage des petits : les parents eux-mêmes accompagnés d’aides non reproducteurs. L’élevage des jeunes nés en un nid unique s’effectue de façon coopérative avec l’aide des frères et sœurs plus âgés.
Certains jeunes peuvent ainsi demeurer, quelquefois pendant plusieurs années, dans leur groupe de naissance comme c’est le cas chez le geai à gorge blanche étudié à Chicago par G.E. Woolfenden et J.W. Fitzpatrick (3 984), le Renard européen (cf. chapitre 10), les poules d’eau mais aussi bien d’autres espèces. Chez les Geais du Mexique, tous les parents nourrissent tous les jeunes, qu’ils les aient ou non engendrés, l’ensemble des nids composant une même unité. Une hypothèse fournie par les sociobiologistes (cf. chapitre 11) explique ces comportements « altruistes » par les avantages liés à la parenté génétique (cf. chapitre 11, théorie de la parentèle en sociobiologie). D’autres chercheurs pensent que cette coopération pour l’élevage serait accidentelle et reliée comme chez les turdidés (merles, grives, etc.), étudiés en Israël par A. Zahavi (1976), à d’autres comportements (parade par exemple). Cette coopération permettrait un meilleur succès reproductif. Les aides pourraient acquérir de la sorte une expérience utile lorsqu’ils deviendraient eux-mêmes reproducteurs. Ils pourraient aussi finir par posséder une portion du territoire de leur naissance, ce qui est un avantage indéniable lorsque, comme on l’a déjà vu, les bons territoires sont souvent rares.
Vers une division du travail :
Comme on l’a vu, nombre d’activités, comme celles qui concernent la défense ou la reproduction, sont facilitées et plus efficaces grâce à une coopération au sein du groupe. Mais elles ne sont pas les seules.
Chez les insectes, même chez des espèces sporadiquement sociales, les activités de coopération sont multiples. Les coléoptères nécrophores, par exemple, détectent par l’odorat les cadavres plus ou moins enfouis sous terre. Dès la fin du siècle dernier, Jean-Henri Fabre (Souvenirs entomologiques, 1885) a pu ainsi observer neuf insectes coléoptères s’affairer autour d’un cadavre de souris et le transporter sur le dos par une technique très élaborée. Dans ce cas précis même, deux espèces s’étaient associées (4 individus de l’une et 5 de l’autre).
Chez les insectes sociaux, tous les travaux de construction et d’entretien du nid se font dans le cadre d’une division du travail ou si l’on préfère d’une division des rôles très perfectionnée qui, compte tenu de leur taille, leur permet des réalisations grandioses.
Rapportées à l’échelle du bâtisseur, les termitières géantes des belli-cositermes africains sont les plus grands édifices construits par un être vivant sur la planète et laissent loin derrière eux nos plus hauts gratte-ciel.
Les fourmis couturières œcophylles présentent un modèle étonnant de coopération dans l’utilisation d’un outil: pendant qu’un groupe d’ouvrières tire et maintient deux feuilles mises bord à bord, d’autres les cousent ensemble. Pour cela, elles utilisent leurs propres larves dont elles pressent les glandes séricigènes (glandes à soie) sur les bords des feuilles en tirant les fils d’un côté et de l’autre.
Les termites nasutitermes développent toute une stratégie et défendent ainsi efficacement la colonie contre les prédateurs, tels les fourmis. Les soldats projettent une substance collante et gluante qui a la propriété d’empoisonner les ennemis. La sustance émise est une glue toxique qui est en même temps une substance d’alarme alertant leurs congénères. Mais les soldats sont incapables de se nourrir seuls. Une coopération est bien présente : les ouvriers récoltent et nourrissent, les soldats défendent.
La notion de rôle :
La coopération est quelquefois très diversifiée dans ses différentes actions. Chez les macaques japonais, la hiérarchie a bien moins d’importance que la répartition des rôles. Une «hiérarchie matriarcale» existe bien mais le système d’organisation est, semble-t-il, bien plus impératif pour le groupe. Selon son âge, son sexe et son rang dans la hiérarchie, chaque individu remplit une fonction au sein de sa troupe. Les rôles peuvent être interchangeables et touchent toutes les activités : surveillance des prédateurs, éducation des jeunes, etc. Le mâle alpha dirige les déplacements de la troupe et en assure aussi (ou en organise) la défense. Mais il est aussi des « seconds » qui jouent le rôle, si l’on peut dire, de policiers dans la mesure où ils chassent les protagonistes les plus agressifs lorsque des combats éclatent entre membres du groupe. Les mâles périphériques sont chargés de donner l’alerte contre les prédateurs et viennent aider le mâle alpha dans la défense du groupe. Ils jouent avec les plus jeunes singes, les surveillent et se font toiletter par eux.
Comme on a pu le voir lors de l’étude des dominances hiérarchiques et des structures, cette notion de rôle de l’individu, essentielle à la coopération, est très souvent plus déterminante dans la structure de la société que la hiérarchie elle-même. Chez de nombreuses espèces de primates, en effet, les individus n’ont pas dans leur structure sociale que des rangs; ils assument aussi des rôles qui diffèrent largement entre eux. On ne peut donc tout réduire au rang social et aux rapports de dominance.
Bien souvent, un ou plusieurs individus ont la charge spéciale de conduire la troupe, d’arrêter les combats, de nourrir et de protéger les petits ou de défendre et d’avertir les autres d’un danger extérieur. Certains individus servent de centres d’attention pour les relations sociales ; d’autres ont l’unique tâche de chasser les intrus. Tous ces rôles ne sont pas assurés par les mêmes individus et ne sont jamais définitifs.
Chez les babouins par exemple, alors que certains mâles adultes sont « chargés » de la vigilance aux prédateurs et autres dangers, certaines femelles assurent le mouvement et la direction des déplacements. Les jeunes sont les principaux centres d’attention de la troupe. De même, chez les capucins (I.S. Berstein, 1966) où ne s’établit pas vraiment de hiérarchie, certains mâles ont pour rôle de protéger le groupe et de faire face au danger.
J.H. Crook (1970], de l’université de Bristol, défend l’idée qu’au moins trois types de facteurs interagissent dans le processus d’élaboration sociale.
– L’interaction compétitive (pour la nourriture, les femelles, les emplaceménts de repos par exemple) qui engendre les rencontres agressives et aboutit, en général, à l’établissement d’une hiérarchie.
– Les tendances des grands groupes à se partager en plus petits noyaux sans rapport avec les leaders du groupe.
– L’âge ou le vieillissement qui affecte le rôle qu’un animal occupe. Ainsi, l’arrivée à maturité sexuelle des mâles est souvent suivie de leur expulsion de groupes-à-un-mâle ou de leur exclusion à la périphérie de groupes multimâles. L’exemple des vieux babouins hamadryas qui ont cessé d’être sexuellement actifs mais auxquels tout le groupe continue de porter attention et suit toujours comme leaders va dans le même sens.
Durant sa vie, un individu peut donc occuper, dans sa société, diverses positions sociales en fonction de ses différents rôles au sein de la coopération instaurée dans le groupe.
Comme on l’a vu, la coopération entre individus intervient quelquefois en vue de détrôner un mâle qui leur est supérieur (cela est fréquent chez les macaques ou les babouins). En fait, à l’intérieur d’un même groupe, la formation de coalitions n’est pas rare et il arrive même qu’un animal au bas de la hiérarchie appelle un supérieur à l’aide. Là encore, il s’agit de coopérations partielles à l’intérieur d’un groupe.
Stratégies de chasse collective :
C’est dans la recherche de la nourriture et particulièrement dans la chasse que l’on trouve les plus beaux cas de coopération entre individus. Il est très souvent plus facile et plus efficace de chasser en groupe qu’isolément. Pour parvenir à son objectif, un individu peut, par exemple, solliciter l’aide d’un congénère.
Faciliter la chasse et accroître ses chances :
Les lions. Par un système de relais dans la poursuite, la coopération permet aux lions de poursuivre leur proie sur de plus longues distances. Certains individus peuvent même utiliser des raccourcis pour lui couper toute retraite.
Alors que la plupart des félins chassent en solitaire, les lions, quand ils le peuvent, le font en équipe. Le plus souvent, ce sont les femelles qui chassent, peut-être parce qu’elles sont plus légères et donc plus habiles. Quant aux mâles, ils protègent la harde et particulièrement les lionceaux beaucoup plus vulnérables. Par contre, ils utiliseront leur supériorité physique pour évincer les femelles et se servir les premiers sur les proies capturées.
Les lionnes pratiquent la technique de l’embuscade en coopération. Elles se déploient en plusieurs directions et chacune se dirige (séparément) vers la proie qu’elles finissent par encercler. Ainsi, si cette dernière tente de s’échapper, elle sera capturée par une autre lionne qu’elle n’avait pas repérée. Il existe une nette corrélation entre la structure des troupes de lions et la chasse. Les crocodiles. Pour capturer leur nourriture, les crocodiles du Nil coopèrent d’une manière fort élaborée. Parfois, pour avaler plus facilement leur proie, ils doivent la déchiqueter. Pour cela, ils en saisissent tout simplement une partie dans la gueule et tournent sur eux-mêmes jusqu’à ce que le morceau qu’ils tiennent se détache de lui-même. Us peuvent y parvenir seuls mais, lorsque la proie est trop petite et tourne en même temps qu’eux sans être déchiquetée, ils font appel pour la maintenir à un ou plusieurs congénères. Chaque individu consomme ensuite le morceau qui lui reste. Ces séquences s’opèrent en toute sérénité, sans aucune agressivité de part et d’autre. On a également observé deux crocodiles qui, côte à côte, transportaient bien au-dessus du sol une carcasse d’antilope.
La coopération se poursuit dans d’autres activités comme la pêche. Au printemps, lorsque les rivières montent, les jeunes crocodiles forment entre eux une sorte de demi-cercle à l’entrée des petits bras des rivières et bloquent ainsi les poissons qu’ils happent plus facilement. Chaque crocodile reste bien à sa place, sans jamais se disputer, ce qui rend cette technique de pêche fort efficace. Il n’en existe pas moins une forte hiérarchie entre les mâles adultes dans d’autres circonstances. Ici, au contraire, l’adaptation est parfaitement adéquate à ce type de pêche.
Les chimpanzés. Les chimpanzés (Teleki, 1981) ont développé des formes très élaborées de coopération pendant la chasse. Lorsqu’une proie poursuivie escalade un arbre pour s’échapper, plusieurs chimpanzés entourent alors l’arbre comme pour bloquer toute issue ou retraite possible. Les chimpanzés qui d’habitude vocifèrent bruyamment gardent, au cours de la chasse, un silence prudent. Pendant la chasse et la poursuite, toute hiérarchie est suspendue, la tête de la file étant prise tantôt par l’un tantôt par l’autre.
Les orques. Les orques (Orcinus orca) coopèrent dans leur chasse en entourant les bandes de phoques ou de dauphins. Les individus prennent ensuite leurs tours avant de se précipiter vers la nourriture.
Chasser plus et plus gros :
Un groupe de prédateurs a des potentialités que ne possèdent pas un individu isolé. Et, en groupe, les individus se permettent souvent de s’attaquer à des proies beaucoup plus imposantes et pesantes qu’ils ne peuvent le faire lorsqu’ils sont isolés.
Les loups. Lorsqu’ils chassent isolément, les loups se contentent de charognes ou de proies de petite taille. Mais, lorsqu’ils sont en meute, ils attaquent de grosses proies comme des élans ou des caribous.
Les hyènes. Il en est de même pour les hyènes. Une hyène seule ne peut pas se mesurer à un lion mais plusieurs arrivent parfaitement à l’éloigner d’une carcasse.
Les lions. Chez le lion, G.B. Schaller (1972) a par ailleurs bien montré que, l’efficience de la capture (nombre de proies par chasse) augmentait avec le nombre d’individus qui chassaient. En plus d’augmenter la grosseur des proies (girafe ou buffalo par exemple), les grands groupes permettent aussi d’en augmenter le nombre.
Les canidés. Pourtant très proches les unes des autres, les différentes espèces de canidés présentent des stratégies de chasse très variées. Néanmoins, la chasse en groupe permet, là encore, des performances
Araignées sociales en chasse coopérative :
La plupart des araignées mènent une vie solitaire. Certaines espèces, pourtant, sont très socialisées et chassent en communauté.
On voit ici une mouche se poser sur la surface de la toile et attirer une araignée à proximité. Le bourdonnement des ailes de la mouche entraîne une réponse de toute la colonie. Quand les premières araignées commencent à entamer la mouche immobilisée, de jeunes araignées les rejoignent.
L’un des spécialistes africains de la chasse en meute est le lycaon. Ce canidé qui ne pèse en moyenne que 20 à 25 kg est capable, en groupe de 2 à 30 individus, de maîtriser et de tuer des proies aussi importantes que des buffles (500-750 kg) ou des zèbres (300-400 kg). La nourriture est ensuite partagée par tous les membres du groupe et, souvent, les adultes en régurgitent pour les jeunes. Certains adultes, restés à l’arriére avec les petits, sont, de la même façon, nourris par les participants à la chasse. D’ailleurs, les jeunes ou ceux qui les ont gardés sollicitent souvent eux-mêmes la nourriture en léchant le museau de leur congénères de retour de la chasse.
Adapter la taille du groupe :
Les cétacés. Très souvent, les cétacés chassent eux aussi en groupe. Chez les odontocètes (les cétacés à dents, dauphins et autres), il existe même une relation entre la taille du groupe et la stratégie de chasse. Ainsi, les espèces qui vivent près des rivages et qui se nourrissent de petites proies isolées chassent seules ou en petits groupes alors que les espèces de haute mer, comme le marsouin commun (Phoceona Phocoem), constituent des troupes importantes qui leur permettent de détecter et de cerner de grands bancs de poissons (un banc représente une masse compacte de nourriture) ou de venir à bout de très grosses proies comme les baleines à fanons.
Les dauphins tursiops forment, quant à eux, des groupes de taille différente selon les ressources alimentaires convoitées qui varient avec la saison.
Les loups. Les loups forment des petits groupes pour leurs chasses successives et se relaient pour poursuivre leur proie. Leurs tactiques de chasse sont différentes selon le type et la taille de la proie poursuivie. Ils paraissent très vite discerner s’il s’agit d’une proie importante et vigoureuse qui peut s’avérer dangereuse ou d’un individu, âgé et blessé. Ils abandonnent généralement assez vite dans le premier cas. Il a même été suggéré (L.D. Mech, 1970) qu’ils pourraient reconnaître l’état physiologique de la proie à la trace. Il semble même qu’une sorte de «plan» soit élaboré par les loups. Ainsi certains d’entre eux coupent la retraite de la proie et d’autres interviennent pour relayer leurs congénères épuisés en se plaçant en avant même de la trajectoire de la proie.
Les hyènes. Les hyènes tachetées, formant des groupes pouvant comprendre jusqu’à trente individus, chassent ensemble et coordonnent parfaitement leurs activités individuelles.
Les insectes. Chez les insectes sociaux, comme les fourmis, la chasse en groupe est déterminante pour la survie de l’espèce : les magnans, par exemple, forment des colonies comprenant jusqu’à 25 millions d’individus, qui leur permettent d’encercler une proie en coordonnant leurs activités.
Deux exemples développés :
Un très haut degré d’intégration est permis entre individus comme on peut l’observer dans les bancs de poissons et les bandes d’oiseaux, ces groupements ne présentant pas encore tous les attributs d’une véritable société.
Les poissons :
Notion de banc. Selon Evelyn Shaw (1970) de Stanford, sur 20 000 espèces de poissons, plus de 10 000 se réunissent en bancs au moins une fois pendant une période de leur vie.
Dans chaque espèce, les individus nagent, les uns par rapport aux autres, à une certaine distance et avec un angle privilégié. Néanmoins, cela ne les empêche pas de se séparer ou de nager à des allures variables.
Deux ou trois poissons nageant ensemble constituent, semble-t-il, déjà un banc. Celui-ci peut parfois comprendre plusieurs milliers ou millions d’individus. Selon Brian Partridge (1982), lorsque deux individus nagent ensemble, l’un dirige alors que l’autre suit en ajustant sa vitesse et sa direction par rapport à celle du meneur. En aucun cas, ce dernier n’influence le meneur mais dès qu’un troisième poisson est rajouté, il n’existe plus de leader et chacun ajuste sa vitesse et sa direction à celles de tous les poissons. C’est donc, peut-on dire, tout le banc qui devient le meneur de groupe et chaque individu suit l’ensemble. C’est aussi ce qui fait dire à Partridge que l’on peut parler de banc dès qu’il y a plus de deux poissons.
Protection contre les prédateurs. Le principal avantage évolutif d’un banc est de protéger les individus des prédateurs.
La probabilité qu’un prédateur trouve dans l’océan un individu isolé est légèrement inférieure à celle qu’il trouve un banc de 1000 poissons. Mais, une fois repéré, l’individu isolé voit ses risques d’être mangé multipliés par mille par rapport à un congénère vivant dans le banc susnommé. Le banc procure également d’autres avantages. Dans les eaux de Trinidad, Benoni Seghers (cité par Brian Partridge, 1982) a observé que même lorsque les prédateurs (mérous, barracudas) étaient très nombreux, les guppies continuaient à constituer des bancs alors que le fait de s’isoler aurait pu leur conférer un avantage. Ce n’est donc pas uniquement pour échapper au regard des prédateurs que les poissons s’associent en bancs. Il semble pourtant qu’une fois découvert, le banc favorise la survie pour un individu donné. Un banc est d’ailleurs d’autant plus dense et plus polarisé qu’il subit l’attaque d’un prédateur. Selon Albert E. Parr (1927), l’un des premiers chercheurs à avoir étudié les bancs de poissons, dans les milieux où ne se trouvent ni obstacles ni abris, comme la haute mer, les bancs se forment par des poissons qui se cachent les uns derrière les autres. Il n’est pas exclu non plus que le prédateur perçoive le banc de poissons de petite taille comme un animal grand et effrayant.
La structure en banc est un avantage pour chacun de ses membres parce qu’il trouble les prédateurs et diminue leurs chances d’attraper leur proie quand ils l’ont déjà localisée.
Tactiques de fuite et de chasse. Dans les cas extrêmes, les bancs de poissons peuvent développer des stratégies et des tactiques de fuite. Ils peuvent, par exemple, se séparer en deux groupes. Lorsqu’un barracuda, prédateur fréquent des petits poissons d’eaux tropicales, menace, les proies s’écartent, laissent un vide devant lui et se rejoignent ensuite derrière lui1. Si le barracuda se retourne, le banc répète la manœuvre en distançant finalement le prédateur, ce qu’il n’aurait pu faire sans cette tactique du banc écarté, les barracudas étant de très rapides nageurs. En fonction du type d’attaque du barracuda, d’autres stratégies peuvent être utilisées : dans le cas d’une attaque rapide, chaque individu fuit le centre du banc et se retourne à l’extérieur (mouvement ressemblant à l’éclatement d’une bombe). Les battements de queue des petits poissons sont à peu près simultanés dans tout le banc et il semble que les individus « savent » où ils iront et surtout où iront leurs congénères en cas d’attaque. Il n’y a jamais de collisions entre eux et on a donc émis l’hypothèse d’une sorte de plan de fuite préétabli.
Les barracudas, les thons et d’autres prédateurs peuvent aussi constituer des bancs qui augmentent la zone de chasse prospectée. Lorsqu’ils demeurent à la distance maximale de visibilité dans l’eau, la zone prospectée est optimale. B. Partridge (1982) a observé que certains poissons prédateurs chassaient même en coopération, comme les thons géants à ailerons bleus (400 kg, plus de trois mètres de long) qui s’organisent en bancs de structure régulière. Habituellement regroupés en bancs de 50, les thons se divisent en groupes plus petits (10 à 20 individus) au moment de la chasse. Ils forment alors une figure qu’il leur serait impossible de réaliser autrement, dont la forme parabolique et concave en avant constitue un avantage essentiel pour la chasse.
Les oiseaux :
La recherche de nourriture. Chez les oiseaux, le groupement en bandes favorise la prise alimentaire. Lorsqu’ils se nourrissent en groupes, ils trouvent plus à manger que chacun ne pourrait en trouver isolément. En effet, ils se stimulent entre eux et un individu isolé attire fréquemment les autres membres de la bande vers des sources abondantes qu’il a pu découvrir.
Pour les oiseaux granivores, la principale difficulté n’est pas dans l’abondance des graines mais dans leur découverte : être en groupe est un avantage car les chances de trouver de la nourriture sont augmentées ; plus ils sont nombreux, plus la bande pourra trouver la bonne source d’approvisionnement. Lorsque un premier individu fait sa découverte, les autres ont vite fait de le rejoindre. Dans la plupart des cas, l’intérêt de la découverte de la nourriture est suffisant à lui tout seul pour justifier le regroupement en bandes. Mais souvent aussi, il s’y ajoute un fait plus subtile : les individus de la bande vont pouvoir apprendre une méthode de leurs congénères en les observant. C’est le cas des mésanges qui apprennent les unes des autres quels types d’endroits sont plus susceptibles de fournir de la nourriture. Dans certaines espèces, les individus finissent souvent par se spécialiser dans une catégorie de nourriture plutôt que dans une autre parce qu’à la suite de la découverte de l’un des membres, elle s’est avérée plus profitable. On a aussi remarqué que dans les endroits où il y a peu de prédateurs, on rencontre très peu de bandes de petits oiseaux; c’est le cas à Hawaii.
Tactiques de chasse. C’est, entre autres, le cas des oiseaux qui se nourrissent d’insectes dont les moyens de défense sont des mouvements rapides. Certains individus déplaceront, lèveront puis rabattront alors les proies qui seront consommées par les autres membres de la bande. Dans les forêts tropicales, on a même observé des bandes de plusieurs espèces mangeuses d’insectes réunies vraisemblablement dans ce but.
Quelquefois la chasse ou la pêche sont pratiquées en bande comme chez les pélicans ou les cormorans à aigrettes qui lèvent en groupes leurs proies ou rassemblent des bancs de poissons en les empêchant ainsi de fuir.
Migrations. Les migrations, on l’a vu, s’effectuent dans la plupart des cas en très grandes bandes. Souvent même, des oiseaux qui vivent toute l’année de façon plus ou moins solitaire, se regroupent au moment de la migration. On pense qu’au niveau de la direction à suivre, le déplacement en bande est un avantage car l’ensemble des membres sera obligatoirement plus précis dans le cap à adopter qu’un individu isolé qui pourrait marquer quelques imprécisions (les individus un peu déviants sont attirés vers le centre).
Les rigueurs du climat. Ce haut degré d’intégration conféré par le groupement est encore fort confortable contre certaines rigueurs du climat.
En plein cœur de l’hiver antarctique, les manchots empereurs, par exemple, s’entassent pour faire incuber ensemble leurs œufs au centre du groupe. La chaleur générale est ainsi bien mieux conservée et économisée : c’est le type même du comportement thermorégulateur social.
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