Les familles radioactives
Nous venons donc de voir que, par émission a, le thorium naturel se transforme en radium 228 que les chercheurs des années 1900 appelaient « mésothorium 1 » -, et que ce dernier, par émission p donne naissance à 22889A, le « mésothorium 2 ». Ensuite, l’aventure se poursuit. L’actinium 228 étant, lui aussi, un émetteur p, il redonnera naissance à un noyau de thorium, les deux désintégrations p successives ayant compensé exactement la perte initiale de deux charges. Mais il s’agit maintenant du thorium 228, ou « radiothorium », plus léger de quatre unités de masse que le thorium naturel. Trois émissions a successives donneront ensuite naissance au radium 224 ou « thorium X »,
puis au radon 220 (le thoron) et au polonium 216 (le thorium A). La situation se complique alors parce que ce dernier est à la fois émetteur a et p. Il donne donc naissance à deux descendants dont les désintégrations aboutiront à un isotope unique, le 212Bi ou thorium C Le même processus mènera de ce bismuth 212 au plomb 208. Ce dernier n’étant pas radioactif, la chaîne de désintégrations s’arrête ici.
On remarquera qu’avec 86 protons, le thoron est un isotope du radon. C’est donc un gaz rare, et il constitue l’émanation qui s’échappe spontanément de toutes les sources de thorium, emportant sa radioactivité dans l’air ambiant. Très vite, il se désintègre à son tour, donnant naissance au thorium A, qui est un isotope du polonium, un solide, le fameux « dépôt actif » étudié par les Curie et par Rutherford et Soddy.
On voit donc que la désintégration radioactive du thorium initie une véritable chaîne mettant en jeu des isotopes radioactifs de 9 éléments allant du thorium au thallium. Ces isotopes se désintègrent, c’est-à-dire se transforment les uns dans les autres, avec des périodes de demi-vie différentes, ce qui fait qu’à partir d’un échantillon de thorium, va se constituer un mélange comprenant tous ces constituants de la « famille radioactive » du thorium. Si l’on part de thorium 232 pur, du radium 228 est d’abord engendré par la désintégration de cet isotope. Le nombre d’atomes de cet élément-fils s’accroît avec le temps, mais en même temps sa radioactivité augmente, ce qui contribue à faire baisser sa quantité dans l’échantillon considéré, et à produire un nouveau corps, l’actinium 228. Le nombre d’atomes de radium 228 cesse d’augmenter lorsque sa radioactivité est égale à celle du thorium 232. En effet le nombre d’atomes de radium se désintégrant par seconde est alors égal au nombre d’atomes issus de la radioactivité du thorium pendant le même intervalle de temps. On dit qu’un tel mélange est en « équilibre séculaire ». Après un temps suffisamment long, l’ensemble des descendants du thorium atteint ainsi cet équilibre qui caractérise les minerais trouvés dans la nature. L’activité de chacun des descendants du thorium est alors égale à celle leur chef de file. C’est cet imbroglio que les chercheurs ont dû démêler dans les années 1900, et l’on reste médusé devant la vitesse à laquelle ces recherches ont progressé, compte tenu des moyens techniques et des connaissances de l’époque.