Les localisations cérébrales de l'antiquité à l'imagerie moderne : Le XVIIIe siècle
La conception ventriculaire du siège de l’âme devait connaître un dernier renfort avec Soemmering (1755-1830). En 1796, dans un ouvrage dédié à Kant, il soutient que l’organe de la pensée est représenté par le liquide des ventricules cérébraux. Il se pose néanmoins le problème du rôle joué par les structures solides du cerveau pour assurer qu’elles représentent des outils à la disposition de la « force » présente dans le liquide. Kant refusa d’accepter le postulat que sa pensée puisse être prisonnière d’une quelconque région délimitée du cerveau.
Après avoir été comparé à un système hydraulique, le système nerveux fut au XVIIIe siècle assimilé à une horloge pleine de poulies, de roues dentées, grâce auxquelles l’esprit tire sur les membres comme un montreur de marionnettes. Les circonvolutions cérébrales sont alors dessinées avec attention par les anatomistes sans qu’il leur soit attribuées de fonctions particulières.
En France, la médecine proprement dite était au XVIIIe siècle une des plus rétrogrades du monde ; à la Faculté de Médecine de Paris, l’esprit de Guy Patin régnait en maître, alors que la chirurgie française tenue à l’écart par la Faculté était la première du monde. Grâce à l’appui de Louis XV, Maréschal, premier chirurgien du roi (1638-1736) et La Peyronie (1678- 1747), son successeur, créèrent en 1731 l’Académie de Chirurgie. Les chirurgiens feront un travail considérable sur l’anatomie et la physiologie du système nerveux se rapportant aux localisations cérébrales. Leur préoccupation était pratique : trouver les signes cliniques qui indiqueraient le siège des lésions dans les plaies de la tête.
Saucerotte (1741-1814) établit par des expériences nombreuses chez le chien que toute compression ou lésion cérébrale entraîne des paralysies du côté opposé du corps ; il s’ensuivit l’idée que les voies motrices se croisent. En 1710, Pourtour du Petry (1674-1741), plus connu pour avoir été le premier à détecter une action du système nerveux sympathique sur la tonicité des vaisseaux, démontra la décussation du faisceau pyramidal. D’autres localisations importantes s’inscrivent à l’actif de Saucerotte : la paralysie faciale expérimentale, des paralysies oculaires, les complications neurologiques dues aux compressions par épanchement sanguin, le rôle du cervelet dans la posture.
Chopart (1743-1759) déclara que l’esprit des chirurgiens était peu soucieux de contingences métaphysiques et préoccupé par les problèmes concrets de la clinique : « Je ne cherche point le siège de l’âme, je désire seulement connaître le corps dont la lésion détruit l’usage de nos sens. »
Ces découvertes contribuèrent à l’avancement de la neurologie. Elles sont restées ignorées par les physiologistes et par la plupart des historiensde la médecine de sorte qu’au XIXe siècle on a cru faire œuvre originale en découvrant des faits que les chirurgiens avaient déjà décrits.