Modélisation des écoulements
En hydrologie, comme probablement dans toutes les sciences, le recours aux modèles est une sorte d’aboutissement logique de toute étude. Ce sont, en effet, des outils devenus indispensables à la recherche comme à la gestion des eaux courantes par les possibilités qu’ils offrent, par exemple, d’estimer des débits à partir des pluies (et éventuellement d’autres variables) pour des périodes ou des bassins privés d’observations hydrométriques. La modélisation permet, surtout, par la fabrication de représentations abstraites des phénomènes (ou ensembles de processus) régis par des lois physiques, et à partir d’hypothèses substituées aux lois expérimentales exactes, de faire des essais (simulations) destinés à mieux comprendre le fonctionnement hydrologique d’un bassin versant (ou d’un quelconque hydrosytème) ou de prévoir son comportement quand il sera soumis à telle ou telle modification d’une ou plusieurs variables internes ou extérieures et accidentelles, une intervention humaine, par exemple.
Les modèles hydrologiques, des plus pragmatiques aux plus théoriques, sont très nombreux et, de principe comme de structure, très différents ; pour schématiser, on peut les rassembler en trois groupes : les modèles à base physique, les modèles statistiques, et les modèles conceptuels qui nous intéresseront davantage ici. Par ailleurs, les modèles peuvent être «globaux», ce qui signifie que les relations pluies-débits sont calculées à l’échelle du bassin tout entier, ou « distribués », c’est-à-dire que le bassin est divisé en un ensemble de parcelles « homogènes » pour lesquelles on calcule à chaque fois la fonction de production (la quantité d’eau disponible pour l’écoulement de crue) et de transfert (les vitesses de concentration de cette eau).
Les modèles empiriques
En France, l’hydrologie s’est d’abord développée à partir des besoins d’EDF pour l’hydro-électricité. Pour ces équipements, la connaissance des débits, dans leur variabilité annuelle comme interannuelle, était indispensable. Puisqu’on disposait de séries de données pluviométriques assez longues, il est vite apparu envisageable de pallier la faible durée des mesures hydrologiques par l’estimation de relations statistiques entre pluies et débits. Ces modèles fournissent des restitutions convenables, et ont été d’une grande utilité pour le but poursuivi. Mais ils ne se basent sur aucune hypothèse de fonctionnement hydrologique, et ne conviennent pas à l’analyse des processus ; ils peuvent pourtant être utilisés avec succès pour la reconstitution de données manquantes, comme pour la prévision des écoulements à court terme.
Les modèles à base physique
Ce sont les plus ambitieux. Ils visent à exprimer, selon des lois physiques, chacune des phases du cycle de l’eau. Mais la complexité des processus physiques qui gouvernent la relation pluies-débits est si grande que beaucoup d’hydrologues pensent qu’une telle démarche est illusoire. De plus, cette complexité même fait qu’il est incontournable de remplacer la multitude de données par des données moyennes, qui perdent alors toute réalité physique, ce qui conduit ces modèles à ressembler fortement aux modèles conceptuels, tout en étant à la fois plus complexes à manier et plus gourmands en données.
Les modèles conceptuels
Ces modèles s’approchent de la réalité des fonctionnements hydrologiques, sans pour autant prétendre le faire d’aussi près que les modèles physiques. Ils sont basés, comme leur nom l’indique, sur une représentation conceptuelle du cycle de l’eau : à ce titre, ils peuvent être un outil d’analyse du fonctionnement hydrologique et présentent un intérêt certain dans ce domaine.
Le principe de ces modèles est presque toujours le même : la pluie alimente différents réservoirs dont la vidange assure évaporation et écoulement. Le nombre de réservoirs, le nombre de paramètres d ajustement peut varier considérablement d’un modèle à l’autre.
L’ambiguïté de ce type de modèle est la suivante : d’une part, la schématisation du cycle de l’eau correspond globalement à ce qui se passe dans la réalité, du moins en climats tempérés pour les modèles à deux réservoirs. Il est alors tentant de considérer le premier réservoir comme le réservoir « sol » et le second comme un réservoir de type « nappe » ; mais, d’autre part, les valeurs des différents paramètres d’ajustement des modèles sont dans la majorité des cas « optimisés », ce qui leur tait perdre tout sens physique. Dans ces conditions, il est compréhensible que certains auteurs de modèles soient farouchement opposés à l’appellation «sol» du premier réservoir, comme à l’appellation « nappe » du second, puisque ces appellations donnent un sens physique à ce qui n’est en réalité que paramètres des modèles.
L’utilisation de ce type de modèle est un moyen souvent employé pour déceler des modifications dans les relations pluies-débits, ce qui permet d’estimer les conséquences d’interventions humaines dans le bassin versant, comme, par exemple, des changements d’usage des sols, un boisement ou la croissance de l’urbanisation. Pourtant, si cet usage du modèle est indéniablement très intéressant, il doit être manié avec précaution: un modèle ne prouve jamais rien. Il ne fait jamais que formaliser les hypothèses qui lui ont été fournies.
Conclusion
Si la démarche de modélisation est incontournable et très riche, il ne faut pourtant pas en être dupe : les modèles fonctionnent, généralement bien, et obtiennent des résultats. Ce n’est pas pour autant que ces résultats ont une signification quelconque du point de vue du fonctionnement physique des bassins versants. Il est vrai que ce n’est pas l’objectif pour beaucoup d’entre eux, et qu’alors cette remarque ne leur est pas opposable.
Mais il est vrai aussi qu’on peut avoir une vue plus optimiste de la question, et reprendre la conclusion de Kauark-Leite : « La démarche des modèles conceptuelle- ment réalistes qui renonce à décrire finement le fonctionnement complexe du cycle de l’eau, nous semble une voie intéressante à poursuivre. En essayant de trouver des généralisations à partir d’une analyse « géographique » de la complexité, elle peut fournir un cadre fécond pour guider la recherche expérimentale en hydrologie. Un danger demeure toutefois dans cette approche. Il s’agit de vouloir faire coller la nature à la représentation faite par le modélisateur, représentation qui, ne l’oublions pas, reste conceptuelle. Le modèle doit être surtout un outil d’aide au chercheur pour raisonner sur un phénomène. »
Vidéo : Modélisation des écoulements
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Modélisation des écoulements