Pierre et Marie Curie :Des nouveaux éléments
Des nouveaux éléments
La découverte de Becquerel resta assez méconnue, au moins dans un premier temps. Hormis un petit cercle de savants, personne ne s’intéressait aux « rayons uraniques ». En effet, ceux-ci ne semblaient rien apporter de sensationnel par rapport aux rayons X qui restaient la vedette incontestée. Mais le problème allait rebondir grâce à l’entrée en scène de deux nouveaux acteurs, Pierre Curie et Marie Curie. La renommée de ces deux chercheurs, qui persiste un siècle plus tard, atteste de l’importance de leurs découvertes, de leur portée scientifique et de leur impact sur le grand public.
Marie Sklodowska était Polonaise. Elle était venue de Varsovie pour poursuivre ses études à Paris parce qu’en Pologne les femmes ne pouvaient pas accéder à l’Universi- té. Elle passa avec succès une licence de sciences à la Sorbonne, et rencontra Pierre Curie. Ce dernier, professeur à l’École de physique et de chimie industrielles de Paris, était un chercheur confirmé, déjà célèbre dans le milieu scientifique pour ses travaux sur la symétrie des cristaux, le magnétisme et la piézo-électricité.
Pierre et Marie Curie se marièrent en 1895. Leur première fille, Irène, naquit en 1897. Aussitôt après cette naissance, Marie rechercha un sujet de thèse. Sur les conseils de Pierre, elle choisit d’étudier ces « rayons uraniques », récemment découverts par Henri Becquerel.
Ce qui passionne Marie Curie, c’est le mystère posé par l’origine de ces rayonnements. En particulier, une question lancinante la préoccupe : d’où l’uranium tire-t-il l’énergie nécessaire à leur émission ? Prenant le problème à bras le corps, elle va entreprendre une étude systématique du phénomène, en essayant de répondre d’abord à une autre question, plus simple : d’autres corps que l’uranium et ses composés sont- ils susceptibles d’émettre des rayonnements analogues à ceux que Becquerel a observés ?
Pour cette étude expérimentale, Marie Curie a besoin d’un matériel performant. La plaque photographique est d’utilisation laborieuse et ne donne pratiquement que des résultats qualitatifs, l’électroscope réagit aux rayonnements, mais est relativement peu sensible, et il est également difficile d’en tirer des résultats quantitatifs. Pierre Curie et son frère Jacques, également physicien, vont apporter à Marie un soutien décisif en fabriquant, pour ces recherches, un appareillage spécifique permettant de déterminer avec précision l’intensité des rayonnements.
Partant du principe que les rayons uraniques provoquent la décharge d’un élec- troscope, les frères Curie en déduisent qu’ils auront le même effet sur un condensateur, et s’attachent à mesurer le courant correspondant. Le dispositif qu’ils imaginent est très ingénieux.
Un condensateur plan est situé à l’intérieur d’une enceinte fermée, appelée chambre d’ionisation, et une polarisation d’une centaine de volts est appliquée entre ses deux armatures. L’échantillon à étudier est placé sur le plateau inférieur. Les rayonnements traversant l’espace inter-armatures ionisent le gaz, c’est-à-dire qu’ils arrachent des électrons aux atomes, faisant apparaître des charges négatives (électrons) et des charges positives (ions). Les électrons sont attirés et captés par l’électrode positive (anode), et les ions positifs par la cathode, ce qui fait apparaître un courant électrique entre les bornes du condensateur.
II faut remarquer qu’en 1897, l’électron venait juste d’être identifié par Joseph John Thomson, et que la structure des atomes et des ions était encore inconnue. Cependant, il suffisait à Pierre et Marie Curie, pour mener leurs expériences, de savoir que les rayonnements traversant l’espace situé entre les plateaux induisaient un courant électrique, et de vérifier que l’intensité de ce courant était proportionnelle à la masse d’uranium contenue dans leur échantillon pour disposer d’une mesure quantitative de l’intensité des rayonnements. Encore fallait-il déterminer avec précision la valeur de ces courants électriques. Pierre et Jacques Curie ont recours à un électromètre à quadrants, appareil qui leur est très familier depuis leurs études sur les cristaux. Cet instrument très sensible comporte une électrode suspendue à un fil de torsion qui
dévie lorsque l’électromètre est soumis à un courant électrique. Cette déviation est mise en évidence grâce à un petit miroir porté par le fil de torsion. Éclairé par une lampe, ce miroir projette un spot sur une règle graduée. Les deux physiciens augmentent encore la précision de mesure en en faisant une méthode de zéro. Pour cela, ils décident de compenser en permanence le courant provenant de la chambre d’ionisation par un autre courant qui provient d’un quartz piézoélectrique.
Pierre et Jacques Curie sont des spécialistes de la piézoélectricité, cette propriété qu’ont certains cristaux de produire des charges électriques lorsqu’on exerce sur eux une force de pression. Ils réalisent donc une « balance à quartz ». Dans un tel dispositif, des poids, posés sur un plateau, compriment le cristal de quartz, et les deux physiciens savent que le courant produit est proportionnel au poids dont est chargé le plateau. La mesure de rayonnement est ainsi ramenée à une pesée, et Marie Curie dispose désormais d’une méthode physique extrêmement rigoureuse pour comparer quantitativement les intensités des rayonnements traversant la chambre d’ionisation
Ainsi, bien que Marie entreprenne ces recherches dans des conditions matérielles médiocres – le hangar mal chauffé de l’École de physique et de chimie est entré dans la légende -, elle est dotée d’un outil exceptionnel. Son premier travail est de passer en revue un grand nombre de métaux et de composés pour rechercher ceux qui sont « actifs » pour la production de rayonnements. Elle découvre ainsi, à peu près en même temps que l’Allemand Schmidt, que l’uranium n’est pas le seul émetteur possible. Le thorium possède aussi cette étonnante propriété. Mais plus surprenant encore, elle s’aperçoit que, selon ses propres mots, « certains minéraux contenant de l’uranium, la pechblende et la chalcolite, sont plus actifs que l’uranium pur ». Cela signifie qu’une masse donnée de ces minéraux émet plus de rayonnements que la même quantité d’uranium pur. Pour éclaircir ce nouveau mystère, Marie Curie, qui est aussi une fine chimiste, réalise la synthèse de la chalcolite, qui est un phosphate de cuivre et d’uranyle, à partir de ses éléments, et cette substance reconstituée artificiellement est beaucoup moins active que la chalcolite naturelle. Une conclusion s’impose : en plus de l’uranium qui entre dans sa composition, cette dernière contient une substance active inconnue. Abandonnant ses propres recherches, Pierre Curie décide à ce moment de joindre ses efforts à ceux de Marie . Ils mettent au point une recherche combinant séparations chimiques et mesures physiques. La chambre d’ionisation fonctionne à plein rendement. À partir d’un échantillon de pechblende, les deux chercheurs effectuent des séparations chimiques classiques, en mesurant l’intensité des rayonnements émis par les différentes fractions issues de ces séparations. Ils constatent que « l’activité », c’est-à-dire l’aptitude à émettre des rayonnements se concentre peu à peu dans certaines d’entre elles. Et le 18 juillet 1898, les deux savants annoncent qu’ils croient avoir extrait de la pechblende, « un métal non encore signalé, voisin du bismuth », qu’ils se proposent d’appeler « polonium », si cette découverte se confirme. Elle se confirmera. Et, fait remarquable, c’est la première fois que la présence d’un nouvel élément chimique se manifeste uniquement par les rayonnements qu’il émet. Les quantités de polonium concernées sont tellement infimes que leur masse ne peut être mesurée. Elles sont impondérables, au sens littéral du terme. Marie Curie a ainsi posé les bases d’une science nouvelle, qui s’appellera plus tard la radiochimie.
Cette nouvelle découverte ne sera pas, comme celle des rayons uraniques par Becquerel, un événement confidentiel. Au contraire, elle vaudra à ses auteurs une notoriété sans égale. Comme nous le verrons plus loin, celle-ci sera due notamment aux propriétés extraordinaires, presque miraculeuses, du radium.
Ainsi, en trois années, trois découvertes majeures auront été accomplies – quatre si l’on distingue celle du polonium de celle du radium. Devant cette véritable cascade, il est légitime de s’interroger sur le rôle joué par le hasard dans l’aboutissement plus ou moins heureux des travaux de recherche scientifique.
Vidéo : Pierre et Marie Curie : de nouveaux éléments
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