Serpents aveugles
Bien que relativement mal connus, les serpents de ce groupe sont désignés par plusieurs noms vernaculaires qui mettent en valeur l’atrophie plus ou moins importante de leurs yeux (serpents aveugles), ou leur taille généralement très modeste (serpents minutes). Ce dernier terme est à l’origine d’une confusion préjudiciable à l’inoffensif reptile. Minute, qui signifie menu, devient, pour les amateurs de sensationnel, la minute qu’il reste à vivre à l’infortuné mordu par le serpent. La légende est parfois enjolivée de détails techniques : l’animal, en raison de sa taille réduite, étant tout à fait incapable de percer un épiderme humain, certains persistent à croire que le dangereux et rusé reptile cherchera à inoculer son venin en plantant ses crochets dans la peau qui relie la base des doigts de la main. L’examen, même superficiel, d’un serpent aveugle (ou serpent minute) confirme bien sûr l’impossibilité physique d’un tel comportement.
Typhlopidés et leptotyphlopidés
Ces deux familles composent les scolécophidiens. Le corps est uniformément couvert d’écailles cycloïdes lisses et imbriquées, ne montrant pas, comme les autres serpents, de plaques ventrales élargies. La tête de ces serpents fouisseurs est massive, cunéiforme, sans cou bien marqué ; elle est garnie de plaques écailleuses dont la conformation est utilisée pour déterminer les espèces. Les yeux, devenus inutiles, sont vestigiels, à peine visibles ou tout à fait cachés sous les plaques céphaliques. La bouche, petite, est située en position ventrale. La queue est courte, terminée par une épine écailleuse tournée vers le bas. Au premier abord, il est souvent difficile de distinguer tête et queue. La coloration est généralement uniforme, sans dessin (patron) caractéristique. Chez presque toutes les espèces, on trouve des vestiges de la ceinture pelvienne – caractère rappelant l’origine tétrapode des serpents.
Comme c’est la règle chez les animaux spécialisés, les scolécophidiens montrent à la fois des caractères primitifs et des caractères évolués, et leur position systématique est controversée.
L’analogie entre les deux familles s’arrête là ; il se peut que les ressemblances morphologiques soient le résultat d’un phénomène de convergence, les écologies respectives étant elles-mêmes semblables. Pour certains, les typhlopidés seraient plutôt les descendants de lézards devenus fouisseurs et aveugles. Les crânes sont bien distincts ; la denture, chez les deux familles, montre une différence fondamentale : les typhlopidés ont des dents sur le maxillaire (mâchoire supérieure), mais pas sur la mandibule; les leptotyphlopidés, inversement, n’ont des dents que sur le dentaire (mandibule). Précisons encore qu’aucun de ces serpents ne possède de crochets venimeux.
Un combat sans merci contre les fourmis et les termites
La longueur des typhlopidés (200 espèces) varie de 10 à, exceptionnellement, 80 centimètres; ils se rencontrent dans toutes les régions tropicales et subtropicales, atteignant le sud-est de l’Europe. Les leptotyphlopidés, longs de 10 à 35 centimètres, sont limités à l’Amérique et à l’Afrique, débordant vers le Sud- Ouest asiatique jusqu’au Pakistan. Ces serpents fouisseurs forent le sol meuble pour y chercher leur nourriture, tout en trouvant là un milieu à température et hygrométrie stables et, de surcroît, une protection contre d’éventuels prédateurs. Leur alimentation se compose de petits invertébrés, vers et insectes, avec leurs œufs et leurs larves. Certains typhlopi¬dés hantent spécialement les fourmilières, tandis que les leptotyphlopidés sont particulièrement inféodés aux termitières ; ils mordent les termites à l’abdomen, puis en sucent le contenu. Les femelles des serpents aveugles pondent de trois à huit œufs très allongés, mais certaines espèces sont ovovivipares, gardant les embryons en elles jusqu’à la naissance.