Socialité et environnement dans le monde animal
Il semble plus simple d’établir un lien entre vie sociale et environnement, comme beaucoup l’ont fait dans les années soixante. L’étude des primates, sur le terrain, a conduit à émettre l’hypothèse que toute organisation sociale se résume à l’adaptation au type d’environnement fréquenté par le groupe concerné. Des anthropologues -I. DeVore et S.L. Washburn (1961), notamment – imaginaient même pouvoir reconstituer la structure des groupes humains primitifs soumis à la pression sélective d’un environnement de savane en étudiant les sociétés actuelles de primates dans ce même environnement.
On opposait surtout les primates de milieux terrestres ouverts et ceux des milieux forestiers. Au plan évolutif, l’hypothèse était que lorsque les espèces forestières se déplacent et changent d’habitat pour des milieux découverts (terrestres), on note une augmentation progressive de la taille de leurs groupes et la mise en place de structures d’organisation plus rigides. Selon ces chercheurs, dans ces contextes écologiques, la dominance-hiérarchie et le dimorphisme sexuel seraient plus marqués. Les ressources alimentaires, autant que les prédateurs, jouent ainsi le rôle de régulateurs sociaux.
Plus tard, d’autres auteurs, comme J.H. Crook et J.S. Gartlan (1966) tentèrent à nouveau de faire correspondre des niveaux d’adaptation à un habitat donné (forêt, savane boisée, savane herbeuse, zone aride) avec des types de structure sociale chez les primates. Des structures sociales furent mises en évidence ; nombre de précisions et de méthodes apportées, mais il ne put être prouvé de façon définitive qu’il existait réellement une corrélation entre l’organisation sociale et l’adaptation à un milieu donné.
Ces toutes dernières années, on a d’ailleurs remarqué que très peu d’espèces de primates sont totalement inféodées à un seul type de nourriture, qu’il s’agisse d’insectes, de fruits ou de feuilles.
Il n’en reste pas moins que l’écologie et les structures sociales interagissent et produisent la grande variété de systèmes sociaux connue, notamment chez les primates ; mais tous les facteurs doivent être soigneusement quantifiés, et, sur le terrain, cela ne s’avère pas si facile. Quelques règles en ont cependant découlé (H. Janson, 1987).
D’un point de vue adaptatif, il est bien évident qu’un individu qui cesse de bénéficier des avantages d’une vie sociale quittera le groupe et adoptera un mode de vie solitaire. C’est d’ailleurs ce qui se passe, normalement, chez bon de nombre de mammifères, tels les musaraignes, les chats, les belettes ou les fouines qui vivent socialement le début de leur vie, en portées nombreuses, puis deviennent solitaires à l’âge adulte.
En effet, certaines conditions, que nous retrouverons en abordant les avantages de la vie sociale, incitent toujours les membres de quelques espèces à vivre socialement. De nombreux auteurs ont tenté de relier clairement les formes prises par l’organisation sociale d’un mammifère à son écologie. Ils ont relevé trois facteurs bien précis : le régime alimentaire, le climat et le terrain occupé.
Le régime alimentaire:
Lorsque la nourriture est très dispersée mais que chaque produit est relativement riche en substances nutritives, l’espèce tend à être solitaire. C’est le cas des petits mammifères primitifs, de beaucoup de marsupiaux, de carnivores placentaires ainsi que de petits omnivores et de rongeurs herbivores.
Quand la nourriture se rencontre non pas en masse compacte mais éparpillée de façon aléatoire dans l’espace et le temps, il peut devenir avantageux pour l’individu de rechercher sa nourriture en groupe. Parfois, des espèces apparentées déploient des stratégies différentes pour se nourrir et des organisations sociales en relation avec ces stratégies. M. Bekoff (1977 et 1978) l’a montré, notamment chez les canidés africains : seul ou en couple, le chacal africain (Canis adustus) chasse des petits mammifères et se nourrit d’oeufs d’oiseaux, d’insectes, de charognes et de quelques matières végétales. Le chacal à chabraque (Canis mesomelas) chasse souvent en meute de 5 à 7 individus, ce qui lui permet, contrairement au précédent, de s’attaquer à des proies de bonne taille: petites antilopes ou agneaux. Quant au chacal doré (Canis aureus), il peut chasser isolément, en couple, ou encore en meute avec femelles et petits. Son type de chasse varie en conséquence : isolément, il se contente de petits mammifères, alors qu’en meute, il peut tuer des gazelles de Thompson adultes. Un chien sauvage d’Afrique tropicale, le lycaon pictus, chasse en groupes, très organisés, de 2 à 30 individus qui peuvent maîtriser d’énormes proies (buffalos, zèbres, gnous).
Chez les cétacés, il existe des relations de même type : ainsi, les odontocètes vérifient également la relation entre taille du groupe et stratégie de chasse. En effet, les espèces de rivage chassent en groupes très restreints, ou même isolément, et se nourrissent de petites proies isolées, alors que celles de pleine mer, comme le marsouin commun (Phocoena phocoena), forment de grandes troupes qui peuvent détecter d’importants bancs de poissons. Les orques chassent en parfaite coopération, encerclant les bancs de phoques ou de dauphins, et prennent leur tour pour se précipiter sur la nourriture.
La relation entre l’organisation sociale et le régime alimentaire a également été bien étudiée chez les antilopes africaines et les kangourous.
Le climat:
Il peut jouer un rôle important, dans la mesure où une courte saison de pâturage et une maturation lente tendent à favoriser des associations familiales plus durables, comme chez les marmottes. Les animaux zoologiquement voisins mais vivant dans des régions de plaine sont plus souvent solitaires.
Le terrain:
Il joue un rôle sur les structures sociales, mais on ne peut en tirer de règles générales. Dans le cas des primates, par exemple, les tentatives pour relier leurs structures sociales à leur écologie n’ont pas permis de dégager une explication générale.
Si donc, la composante écologique de la socialité continue à être étudiée avec rigueur et à donner les résultats les plus intéressants, il n’en demeure pas moins que le phénomène social, si largement répandu parmi les espèces, ne pourra être défini à partir de cette seule donnée écologique, même si les espèces véritablement solitaires sont peu courantes.
La socialité va se définir avant tout par certains paramètres que l’on pourra reconnaître chez presque tous les groupes sociaux, mais sous une immense diversité de formes, bien entendu. Il arrive cependant que tous ces paramètres ne soient pas présents simultanément.
Le plus important d’entre eux, nous l’avons vu, est cette pulsion qui amène les individus les uns auprès des autres : l’inter-attraction ou attraction mutuelle. En effet, lorsque les individus sont réunis, le groupement modifie toutes leurs propriétés morphologiques, physiologiques ou comportementales : c’est l’effet de groupe.
Par ailleurs, au sein des groupements les plus structurés, on observe un ordre hiérarchique.
Quant au phénomène de territoire, ou bien il fonctionne en faveur de tout un groupe, ou bien il sert de régulateur au phénomène social.
Le facteur communication est, lui, toujours présent: chaque individu est émetteur de signaux pour un autre individu, qui devient récepteur et réciproquement. En fait, il n’existe pas de société sans communication.