Stratégie énergétique et nationalisme énergétique à la russe
Stratégie énergétique
En 2003, le Parlement russe adopte une nouvelle stratégie énergétique. Le document prend en compte le nouveau contexte économique – croissance vigoureuse et accroissement des prix du pétrole – et formule les grandes lignes du développement du secteur jusqu’en 2020. Deux scénarios basés sur ces variables sont présentés avec des prévisions en terme de production, de consommation et d’exportations pour chaque branche de l’industrie. La stratégie souligne que le complexe énergétique constitue la base du développement économique et l’instrument de la politique intérieure et extérieure. La mise en place d’un « marché énergétique civilisé » est reconnue comme étant essentielle pour former un marché énergétique compétitif, où l’Etat assure des fonctions de régulateur. « La stratégie énergétique, c’est en premier lieu une idéologie, et en deuxième lieu des chiffres », souligne ainsi le ministre russe de l’industrie et de l’Energie, Viktor Khristenko 24.
La stratégie met en effet l’accent sur le rôle central de l’Etat pour l’exploitation efficace des richesses naturelles du pays, grâce à la régulation des prix, la politique fiscale et les politiques d’investissement, ainsi que le cadre légal. L’Etat doit promouvoir les compagnies nationales qui servent avant tout les intérêts nationaux : « la compétition globale actuelle pour le contrôle des réserves d’hydrocarbures montre que les compagnies d’État et celles qui ont le soutien de celui-ci ont un avantage considérable pour l’obtention de positions dominantes sur les marchés internationaux » 25. Un des traits saillants du secteur énergétique russe en ce début de vingt-et-unième siècle est l’émergence d’opérateurs pétroliers et gaziers à dimension internationale dans lesquels l’Etat détient une majorité de contrôle (Gazprom, Rosneft).
En plus de la présence grandissante de l’État dans le secteur, le gouvernement impose des conditions plus strictes pour l’accès aux ressources du pays : la législation sur le sous-sol a été modifiée à plusieurs reprises afin de garantir au gouvernement fédéral la seule autorité d’attribuer les permis de forage et d’exploitation. De plus, l’adoption d’une liste de « champs stratégiques » en 2007 garantit maintenant le contrôle de l’État sur les plus grands gisements pétroliers et gaziers, tels que Chtokman dans la mer des Barents. Gazprom et Rosneft, toutes deux contrôlées par le Kremlin, sont par ailleurs souvent privilégiées dans l’attribution des permis d’exploitation.
En Occident, les développements récents du type Sakhaline 26 sont généralement interprétés comme des nouveaux cas de « nationalisme énergétique ». Ce terme désigne en réalité l’accès de plus en plus restreint des multinationales aux ressources naturelles dans plusieurs pays en développement. Il s’accompagne généralement du poids et de l’influence grandissante des compagnies d’Etat, ces dernières contrôlant la majorité des réserves pétro-gazières mondiales 27. Cependant l’utilisation de ce terme dans le contexte russe requiert quelques précisions. Historiquement, l’industrie pétro-gazière a toujours été considérée comme un secteur clé de l’économie et bénéficié ainsi d’une attention spéciale du gouvernement. En ce sens, la période anarchique de la présidence Eltsine est une aberration. Il faut également rappeler que durant les années Eltsine, les institutions se sont affaiblies et considérablement corrompues, alors que l’essentiel du pouvoir se concentrait entre les mains du président28.
Que pensent les Russes sur le sujet ? Selon un sondage conduit entre 2005-2008 par le VTsIOM, le centre de recherche sur l’opinion. 51 % des interrogés souhaitaient une révision des privatisations 56 % se prononçaient en faveur du renforcement de l’Etat, 45 % soutenaient l’idée d’une nationalisation de l’industrie pétrolière et gazière. Enfin, 66 % des Russes interrogés pensaient que le capital étranger ne devrait pas être admis dans le secteur énergétique.
Délabrement plus élevés que dans la plupart des autres pays producteurs. Globalement, les conditions géographiques et géologiques se compliquent : la production d’hydrocarbures future proviendra de gisements de plus en plus difficiles à exploiter. Par conséquent, les coûts de développement devraient fortement augmenter au cours des deux prochaines décennies.
Dans le secteur gazier, plus des deux tiers de la production proviennent de trois champs géants : Yambourg, Ourengoï, Medveje. Tous trois sont entrés dans leur phase de déclin. L’un des enjeux majeurs est de développer de nouvelles provinces gazières, notamment dans la Péninsule de Yamal et la zone arctique. Le champ de Chtokman, l’un des plus importants du monde, soulève des difficultés spécifiques : ce champ offshore est situé à 600 kilomètres du port le plus proche (Mourmansk) et se trouve à 300 mètres de profondeur dans la mer des Barents. De plus, les icebergs, fréquents en ces latitudes septentrionales, représentent une sérieuse menace pour les plates-formes d’exploitation. Ce projet sera très certainement l’un des plus difficiles et des plus coûteux. Son développement est planifié en partenariat avec Total (France) et StatoilHydro (Norvège).
Dans le secteur pétrolier, la production de Sibérie occidentale a atteint son pic. L’accroissement dynamique de la production entre 2000 et 2006 provient principalement des gisements mis en exploitation à la fin de l’ère soviétique ou bien des gisements qui étaient restés inexploités. Un tel rythme d’accroissement n’est donc pas soutenable. Pour maintenir le niveau de production actuel, des capacités nouvelles et de nouveaux champs doivent être développés. Selon la stratégie énergétique russe, les nouveaux gisements de Sibérie orientale (Vankor) et de l’Extrême Orient (Sakhaline) devraient jouer un rôle grandissant au cours de la prochaine décennie. Mais ceci implique une expansion radicale des activités de prospection et le développement de nouvelles infrastructures de transport dans le désert sibérien. Les coûts de développement devraient fortement augmenter : ces nouveaux gisements sont généralement plus petits et plus dispersés, requérant ainsi des investissements considérables.
Par ailleurs, de grandes incertitudes entourent les réserves de pétrole russe. Selon le Oil and Gaz Journal 2007, les réserves prouvées s’élèvent à 60 milliards de barils (8,2 milliards de tonnes), tandis que l’AIE (2002) estime ces réserves à 146 milliards de barils (19,9 milliards de tonnes). En réalité, seule une fraction de cet immense territoire – s’étalant sur 17 millions de mètres carrés a été explorée. « Pour explorer et développer les riches gisements de la Sibérie est aussi difficile que d’explorer l’espace. Ici, tout est unique et immense », écrivait dans les années 1960 Mikhaïl Lavrentiev, le fondateur de la branche sibérienne de l’académie des sciences. Selon le géologue Andreï Trofimouk, seul un quart du sous-sol du pays est bien connu. On sait encore peu de choses sur la Sibérie orientale et le plateau arctique, où l’exploration vient à peine de commencer. Les activités d’exploration avaient été suspendues et le forage d’explortion considérablement réduit pendant les années 1990, après que l’Etat ait cessé de les financer. De plus, les réserves pétrolières sont considérées comme des biens stratégiques, et donc classées « secra: d’État » depuis 2003 30.
Le ministère russe de l’Energie estime que 90 milliards de dollar? d’investissements sont requis dans l’exploration d’ici 2015. Cependant, les sommes investies par les compagnies pétro-gazières restez’ bien en dessous de ce chiffre. Des politiques d’incitation (par exempt à l’aide d’un système de taxation plus flexible) devraient encourager les compagnies à développer l’exploration et l’exploitation des gisements difficiles. L’enjeu est de taille en Sibérie orientale, qui recès d’énormes richesses.
La crise économique qui frappe la Russie depuis l’automne 200* soulève de nouvelles incertitudes quant à la capacité financière des acteurs à assurer les investissements nécessaires. Déjà fortemeir endettée, Gazprom doit compter avec une baisse de ses revenus issus des exportations. La crise des liquidités qui affecte durement l’économie russe depuis le début de l’année 2009 remet également en caus? l’échelonnement des programmes d’investissement.
La problématique des investissements en Russie dépasse également les aspects purement financiers. Le manque de main-d’œuvre qualifiée (techniciens spécialisés, ingénieurs, chercheurs) est un obstacrf supplémentaire au développement d’une branche qui mobilise des hautes technologies. Le déclin démographique est aussi un facteur à prendre en compte. Enfin, les capacités limitées du secteur de la construction et manufacturier pour fournir les équipements nécessaires mais également l’inflation des coûts (matériel et difficulté des nouveaux gisements) et la corruption systémique constituent de sérieux handicaps pour le développement futur du secteur énergétique.
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