Structures sociales dans les sociétés animales: L'établissement de la dominance
les rapports de dominance et de hiérarchie, contribuent, pour l’essentiel, à la constitution de l’organisation et des structures des sociétés. Au sein d’un groupe, les mécanismes de dominance entre individus régissent la vie sociale et créent des hiérarchies. Quand deux membres adultes d’une même espèce se rencontrent, ils se comportent conformément à leur statut dans le groupe et à ¡a hiérarchie qui s’est préalablement établie entre chacun d’eux et le groupe.
Si cette rencontre est la première et s’ils sont étrangers l’un à autre, ils entrent souvent en compétition qui s’exprime par un affrontement rituel, caractéristique de l’espèce.
La rencontre peut dégénérer en combat véritable d’une violence très variable. A l’issue de ce duel, inévitablement, l’un des protagonistes est victorieux, l’autre s’incline. Ce simple fait s’avérera déterminant pour leurs rapports sociaux à venir, car, le plus souvent, leurs nouvelles rencontres rééditeront le rapport de forces établi lors du contact initial : l’individu victorieux effraiera toujours autre ; le vaincu, lui, ne pourra que s’enfuir rapidement ou adopter une attitude de soumission.
Au fil du temps, les signaux destinés à maintenir cette dominance deviendront plus ténus, suffisant toutefois à préserver le statu quo. Cette modalité de résolution des combats est très importante dans la vie d’une société en ce qu’elle conduit à des formes de comportement relativement pacifiques, et donc à une coexistence sociale en définitive assez calme. Les vrais combats, dangereux pour la vie des protagonistes, sont assez rares dans le monde animal, sauf en cas de compétition pour un élément vital, tel la nourriture.
le Peck-order:
En 1922, la Norvégienne T. Schjelderup-Ebbe, lors d’une étude portant sur les poulets domestiques, introduisit pour la première fois le concept d’ordre dans des combats de type hiérarchique entre animaux ainsi sa dominance sur le vaincu. A chaque nouvelle rencontre, le poulet dominant pourra se permettre de donner un coup de bec à l’autre, sans risquer d’en recevoir un à son tour. En général, le poulet vaincu cherche d’ailleurs à éviter toute rencontre et se soumet à l’animal dominant. Parfois, plusieurs rencontres sont nécessaires pour que cette dominance se décide franchement et définitivement. En revanche, une fois établie, elle persiste longtemps. Ce sont toujours les mêmes animaux qui donnent les coups de bec, qui mangent et qui copulent avant les autres (d’où la justification du terme peck-order : ordre des coups de bec ou du becquetage}. On désigne l’animal dominant sous le nom d’alpha, le second est bêta, puis gamma, etc. Au bas de la hiérarchie, se trouve l’animal oméga. Celui-ci ne mange que lorsque tout le monde est repu. Il a beaucoup de difficulté à s’accoupler, car, le plus souvent, les femelles le refusent et il est houspillé par tous les oiseaux qui lui sont supérieurs dans la hiérarchie.
Un mécanisme inné:
De très nombreux chercheurs, tels les Américains N.E. Collias ou W. C. Allee de l’université de Chicago, confirmèrent ces premiers résultats et en précisèrent les diverses modalités.
Des poussins élevés en couveuse, qui n’ont donc jamais vu d’adultes de leur espèce, se battent dès la septième semaine et établissent vite une hiérarchie. Le comportement d’établissement des dominances est donc inné. Mais si la tendance est bien innée, l’expérience individuelle, sorte d’apprentissage social, est indispensable pour en apprendre les modalités.
En général, le peck-order s’établit à l’âge de 7 à 8 semaines chez les mâles et de 9 semaines chez les femelles.
Le rôle de l’émotivité:
Pourquoi la dominance sociale s’établit-elle au profit de tel individu par rapport à tel autre ? Un animal peut être un peu plus grand ou un peu plus fort physiquement que son congénère et posséder, de ce fait, quelque avantage dans la première bataille. Pourtant, l’observation montre que le plus avantagé dans ses performances physiques n’est pas nécessairement le gagnant.
L émotivité de l’animal est souvent déterminante: un individu craintif sera rapidement effrayé, perdant ainsi ses capacités de résistance et d’affirmation. La petite enfance joue un rôle important sur cette émotivité et induit donc, le cas échéant, des perturbations dans la vie sociale à l’âge adulte.
En fonction de leur comportement émotif, certains poussins peuvent se montrer plus persévérants, plus effrontés ou plus habiles iorès un coup de bec reçu de leurs concurrents ; il est possible que cette capacité leur assure un avantage définitif. La force ne garantit donc pas toujours le triomphe.
L’état de santé:
Les conditions physiologiques sont tout aussi déterminantes : la bonne santé générale de l’individu, son éventuel état de fatigue, le taux d’hormone sexuelle dans son sang et, bien sûr, la phase du cycle sexuel.
Les hormones sexuelles:
Un coq de rang inférieur auquel on injecte de la testostérone (hormone mâle] monte brusquement dans la hiérarchie. Inversement, des oiseaux de rang supérieurs, une fois castrés, tombent au rang d oméga. Des résultats de ce type, qui sont constatés chez de nombreuses espèces, comme les canaris ou les colombes, expliquent aussi le changement de rang social lors du vieillissement.
Un effet à double sens:
Inversement, on a constaté que la hiérarchie entraîne, elle aussi, des modifications physiologiques.
Il semblerait que les poules situées au bas de l’échelle sociale pondent moins que celles du haut qui sont en général plus agressives. Mais ce résultat n’est visible que si les poules résident ensemble. Lorsqu’on les isole, la ponte devient sensiblement identique.
Les rapports entre les sexes:
Quand des mâles et des femelles vivent ensemble en groupe, généralement les mâles dominent, mais parfois ce sont les femelles. Chez certaines perruches (Melopsitaccus), les mâles n’exercent leur dominance que pendant la saison de reproduction; le reste du temps, les femelles ont, au contraire, toutes les prérogatives.
Les degrés de la hiérarchie:
Entre l’animal alpha et l’animal oméga, on trouve tous les intermédiaires. Le nombre de rangs dans la hiérarchie peut être très grand : certains travaux ont décelé jusqu’à 96 rangs chez les poules!
La reconnaissance:
Ce qui pose évidemment la question de savoir comment chaque poulet peut reconnaître un si grand nombre de congénères. En effet, toute
hiérarchie animale dépend en grande partie de la capacité des animaux à se reconnaître entre eux : si les poulets ne pouvaient se reconnaître, les coups de bec seraient lancés au hasard et non dans l’ordre bien organisé que l’on observe habituellement. Or, même si la hiérarchie ne s’instaure que beaucoup plus tard, dès l’âge de 3 semaines les poulets semblent se reconnaître.
Le plumage de la tête:
De nombreuses observations suggèrent que la reconnaissance est basée avant tout sur l’aspect des plumes de la tête. Ainsi, un oiseau de rang inférieur n’évite pas son supérieur tant que celui-ci n’a pas levé la tête, peu visible autrement. Des modifications superficielles des plumes de la tête et du cou (A.L. Guhl, 1953) provoquent de grands troubles : des poules qu’on a « transformées » de la sorte deviennent méconnaissables pour leurs compagnes. Elles sont alors attaquées comme s’il s’agissait d’étrangères.
La crête est également importante dans cette reconnaissance.
Le rôle de la mémoire:
La mémoire est aussi un facteur limitant et donc déterminant dans la hiérarchie. Si l’on enlève des poules appartenant à un groupe bien hiérarchisé, elles se souviennent de leurs anciennes compagnes durant six semaines. Passé ce délai, elles les considèrent comme des étrangères. Si l’on prélève des poules dans un groupe donné et qu’on les place successivement dans plusieurs autres groupes également bien hiérarchisés, elles occuperont un rang différent dans la hiérarchie de chaque groupe d’accueil. Si on laisse les poules «non résidentes» environ une heure chaque jour dans chaque groupe d’accueil, elles seront toujours très bien reconnues et elles- mêmes ne se tromperont jamais sur leur rang.
La fréquence des rencontres entre les poulets au sein du groupe renforce naturellement cette mémoire, et le nombre d’oiseaux en présence, autant que la taille de l’enclos où sont élevés les poulets, influencent grandement le maintien des réactions de dominance. La hiérarchie a aussi très vite été mise en évidence chez les canaris (H.H. Shœmaker, 1939).
Un mécanisme alternatif:
La hiérarchie ne suit pas toujours ce cours linéaire (on a, en effet, parlé de hiérarchies linéaires chez les poules). Elle est souvent plus complexe. Ainsi, il est possible d’observer des triangles: alpha attaque bien bêta, et bêta attaque bien gamma, mais gamma a le dessus sur alpha Ces hiérarchies anormales, et parfois complexes, surviennent lors d’un brusque changement de situation : distribution de nourriture qui interrompt un combat, rencontre de deux groupes où tous les individus ne font pas connaissance ensemble… Chez beaucoup d’espèces d’oiseaux, la dominance est alternative :
un animal n’est dominant que pendant un certain temps, puis cède la place ensuite, comme chez les pics, les perroquets, les pigeons ou les colombes.