La radioactivité par fission spontanée
Ainsi après l’Angleterre avec le neutron de Chadwick, l’Italie, avec l’interaction faible de Fermi, le Japon, avec l’interaction forte de Yukawa, la France, avec la radioactivité artificielle des Joliot, c’était l’Allemagne d’Hahn et Strassmann qui clôturait cette décennie prodigieuse avec la découverte de la fission.
Pratiquement toutes les grandes nations avaient signé une percée dans ce domaine bouillonnant de la recherche nucléaire. Deux d’entre elles manquaient cependant à l’appel, et non des moindres, les États-Unis et l’Union Soviétique. Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, les Américains n’allaient pas tarder à reprendre la
main, et de quelle façon ! Quant aux Soviétiques, ils n’attendraient pas plus d’une année pour se distinguer par une découverte, moins spectaculaire certes que celle de la fission – et moins riche d’applications – mais néanmoins très intéressante du point de vue de la physique fondamentale, et en particulier de la radioactivité.
En effet, dès 1940, Georgi N. Flerov et Konstantin Petrzhak découvrent que les atomes d’uranium 238, dont le principal mode de décroissance radioactive est l’émission d’une particule a – on le savait depuis Becquerel – peuvent aussi se désintégrer par un processus de fission spontanée, c’est-à-dire par une fission qui survient sans aucun apport d’énergie extérieure. La probabilité d’un tel événement est très faible, puisqu’elle ne représente que 0,00005 % des cas. Mais le fait est certain. Alors que la grande majorité des noyaux d’uranium « choisit » de disparaître en émettant une particule a, par le processus qu’avait imaginé Gamow, cette toute petite minorité « opte » pour la rupture en deux fragments de masse moyenne.
La fission spontanée constitue donc un nouveau mode de radioactivité, obéissant aux mêmes lois que les autres, en particulier à la loi de décroissance exponentielle. Elle se distingue pourtant des trois modes classiques (a, p, y) par le fait que la transformation radioactive ne se ramène plus à l’émission d’une faible partie du noyau, mais se traduit par la séparation de deux morceaux de taille comparable, accompagnés de quelques neutrons.
De plus, contrairement aux radioactivités a, p et y, la fission spontanée ne conduit pas toujours aux mêmes produits finaux. Comme dans la fission provoquée, ces fragments sont distribués en fonction de leur numéro atomique Z et de leur masse atomique A selon une certaine loi, toujours la même lorsque le noyau de départ – ici 238U – est fixé. Cependant, pour un seul événement de fission spontanée, on ne peut prévoir à l’avance quels seront les deux fragments émis. Ici, comme dans le choix du prochain noyau qui fissionnera, c’est le règne du hasard.
Cette nouvelle radioactivité possède cependant un point commun avec ses sœurs. Comme elles, elle correspond au passage spontané d’un noyau ayant une certaine masse à un ensemble de noyaux et particules dont la somme des masses était plus faible.
L’histoire de la fission semblait nous avoir entraînés loin de notre préoccupation principale, la radioactivité. La découverte des deux physiciens soviétiques nous a ramenés, d’un seul coup, au cœur de notre sujet. Les applications énergétiques de la fission, qui feront l’objet du prochain chapitre, ne nous en tiendront pas éloignés beaucoup plus longtemps.