Quand les électrons s'en vont…
Les détecteurs gazeux
L’ionisation se caractérise par la libération d’un électron, avec formation d’un ion positif. C’est la présence de ces particules chargées issues de l’ionisation de l’air qui provoque la décharge des électroscopes. Ce phénomène avait été remarqué par Henri Becquerel dès 1896, et exploité peu après par Pierre et Marie Curie pour mesurer quantitativement la radioactivité dans une chambre d’ionisation, dont le principe est de collecter les électrons et les ions sur deux électrodes en regard l’une de l’autre.
Le dispositif inventé par Jacques et Pierre Curie mesurait directement le courant d’électrons produit par la détection d’un grand nombre de particules ionisantes. Les versions plus modernes, comme celles qu’utilisèrent plus tard Irène et Frédéric Joliot, étaient munies d’un préamplificateur et d’un amplificateur, ce qui leur permettait de détecter des impulsions de courant, chacune d’elles correspondant au passage d’une seule particule.
Suivre une particule à la trace
Les électrons issus de l’ionisation primaire d’un milieu matériel traversé par une particule énergétique ont généralement des vitesses assez faibles. Cependant certains d’entre eux sont capables de produire à leur tour des ionisations, dites secondaires. Ils ont été appelés « électrons delta ». La particule primaire et les électrons secondaires produisent également des déplacements d’atomes le long de leur trajectoire. Une particule ionisante traversant un milieu ralentisseur solide laisse ainsi une véritable trace de son passage. Cette trace, est qualifiée de « latente » et est visible au microscope électronique lorsqu’elle a été produite dans certains milieux détecteurs. Elle peut parfois être révélée chimiquement.
C’est ainsi que les rayons X de Röntgen, puis les rayons uraniques de Becquerel furent identifiés par leur action sur la plaque photographique. Plus tard, les émulsions photographiques furent largement exploitées par les physiciens nucléaires, et en particulier par ceux qui étudiaient les rayons cosmiques, envoyant dans des ballons-sondes des empilements d’émulsions dans lesquels ils pouvaient suivre les traces des particules qui les avaient traversées. Dans le domaine de la radioprotection, des films argentiques sont encore utilisés actuellement pour la surveillance permanente des doses reçues par les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants.
Certains minéraux solides comme le mica et les verres peuvent conserver à l’état latent pendant des siècles la trace du passage de certaines particules ionisantes qui les ont traversées, et en particulier des produits de fission de l’uranium qu’ils contiennent en très petite quantité. Ces traces peuvent être rendues visibles au microscope en les révélant au moyen d’attaques acides (acide fluorhydrique) ou basiques (soude ou potasse concentrée). Un grand nombre de matériaux organiques constituent aussi de précieux détecteurs de traces. Il s’agit, par exemple, du nitrate de cellulose, de certains polycarbonates ou encore du chlorure de vinyle. Ils sont commercialisés sous des noms divers comme le lexan, l’hostaphan ou le makrofol. Leur sensibilité aux différents types de rayonnements varie selon leur composition chimique, et l’on possède ainsi tout un arsenal de détecteurs relativement bon marché et fonctionnant sans le recours à l’électronique. Selon la structure du milieu, et selon l’incidence du rayonnement, les traces révélées peuvent apparaître comme des cercles, des ellipses, des bâtonnets ou des cônes. Comme les films photographiques, certains d’entre eux sont utilisés en radioprotection.
Brouillard, bulles et étincelles
C’est aussi le phénomène d’ionisation qui est à l’origine de la formation de germes dans la chambre à brouillard142 et dans la chambre à bulles. Autour de ces germes apparaissent de fines gouttelettes de liquide dans la première, et des chapelets de bulles dans la seconde. Ce sont des traces éphémères qui doivent être pérennisées par la prise immédiate d’une photographie. Ces deux chambres, qui firent fureur la première jusqu’aux années 1950 et la seconde dans les années 1960-1970 matérialisaient ainsi les trajectoires de particules.
Les chambres à bulles ne pouvaient fonctionner qu’à faible cadence, en raison du temps nécessaire à la récupération du liquide, qui se chiffrait en minutes. Les chambres à étincelles, dont le taux de répétition était plus élevé, les remplacèrent pour la recherche en physique des particules dans les années 1970. Ces détecteurs sont constitués de plaques métalliques parallèles. Entre deux plaques consécutives on établit une très haute différence de potentiel, et l’ensemble de la chambre est rempli d’un mélange de néon et d’argon. Lorsqu’une particule ionisante traverse la chambre, une série d’étincelles jaillit entre les électrodes, ce qui matérialise son passage par une traînée lumineuse. Plus rapides que les chambres à bulles, les premières chambres à étincelles furent, comme ces dernières, associées à des appareils photographiques. Cependant, elles furent supplantées, très peu de temps après leur mise en fonctionnement, par les détecteurs multifils, encore plus rapides, inventés par le physicien français Georges Charpak.
De Geiger à Charpak ou les détecteurs multifils
L’idée de ces détecteurs était de combiner la détection de la particule, comme le fait un compteur Geiger et la localisation de sa trajectoire, comme le faisait la chambre de Wilson ou la chambre à bulles. Pour atteindre cet objectif, Georges Charpak, propose de remplacer le fil unique du compteur Geiger par une série de fils parallèles les uns aux autres, et situés dans le même plan. En partant du principe que des électrons vont être formés par le passage de la particule dans un espace concernant deux ou trois fils consécutifs, on peut s’attendre à ce que le signal se partage sur ces deux ou trois fils, voire davantage en raison d’une possible diffusion de ces charges durant leur collection. Mais le physicien a minutieusement étudié le fonctionnement des compteurs proportionnels. Il sait que l’impulsion électrique délivrée par le fil central de ces détecteurs ne provient que pour une infime partie des électrons collectés. La plus grande part de cette impulsion est due à un effet d’influence électrostatique. Lors du développement de l’avalanche, qui est maximal tout près du fil collecteur, des ions positifs sont formés en grand nombre, et c’est le départ massif de tous ces ions qui engendre, par influence, la quasi-totalité de l’impulsion électrique. Partant de ce principe, la localisation peut s’opérer de façon beaucoup plus nette. Et c’est ce qui se produit.
En effet, généralement l’un des fils du plan est le plus proche de la trajectoire. 0 sera plus particulièrement concerné par l’arrivée d’électrons, donc par le développement de l’avalanche. Les ions positifs, qui créent une impulsion négative en s’éloignant de lui, s’approchent de tous les autres fils et créent sur chacun d’eux une impulsion positive. De tous les fils du plan, un seul produit donc une impulsion négative et tous les autres engendrent une impulsion positive. Si les fils sont parallèles à l’axe Oy, une telle mesure donne l’abscisse x du point M où la trajectoire de la particule a coupé le plan de fils. Un second détecteur, dont les fils sont orientés perpendiculairement à ceux du premier donnera son ordonnée y, et, en empilant plusieurs couches de tels détecteurs, on accédera à plusieurs points de cette trajectoire. Le succès est total. Les détecteurs de Charpak vont se développer et envahir toutes les expériences de physique des particules, d’autant plus que leur découverte coïncide avec le boom de l’électronique, et qu’ils se prêtent très bien à un traitement informatisé, chaque fil étant relié à une chaîne électronique. À ce titre, Georges Charpak recevra le prix Nobel de physique en 1992.
Vidéo : Quand les électrons s’en vont…
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