Rayonnements et radioactivité aujourd’hui : Les détecteurs à semi-conducteurs
Du point de vue de la conduction électrique, les corps solides peuvent être classés en trois catégories, les isolants, les conducteurs et les semi–conducteurs.
- Dans les isolants, comme le diamant, par exemple, tous les électrons provenant des atomes qui constituent le cristal sont retenus autour de ces atomes, les plus externes d’entre eux, appelés « électrons de valence », étant engagés dans les liaisons chimiques qui assurent la cohésion de ce cristal. L’application d’un champ électrique ne peut provoquer aucun mouvement d’ensemble de ces électrons, donc aucun courant.
- À l’inverse, dans les conducteurs, comme le cuivre, certains électrons sont en quelque sorte partagés par l’ensemble des atomes constituant le réseau cristallin et peuvent se déplacer librement à l’intérieur de ce réseau. C’est le déplacement collectif et ordonné de ces électrons, dits « de conduction », sous l’action d’un champ électrique, qui constitue le courant électrique.
- Les semi–conducteurs, dont les chefs de file sont le silicium et le germanium, possèdent un comportement intermédiaire entre celui des isolants et celui des conducteurs. En effet, dans un cristal de silicium ultra-pur, par exemple, et à très basse température, les électrons sont tous engagés dans des liaisons, comme dans les isolants. Mais il suffit d’un très faible apport d’énergie pour que certains d’entre eux soient libérés à l’intérieur du cristal, devenant ainsi capables de conduire le courant. De plus, en même temps qu’un électron est ainsi libéré, apparaît un trou au voisinage d’un centre atomique du cristal. Ces trous se comportent comme des charges positives, capables elles aussi de conduire le courant. Ce sont donc des créations de paires « électron-trou » qui se produisent, sous l’effet de l’agitation thermique, lorsque la température du cristal s’élève. Dans la théorie quantique de la conduction électrique dans les solides, le diagramme représentant les énergies des différentes catégories d’électrons fait apparaître des « bandes de valence » et des « bandes de conduction » dont le taux de remplissage et la position relative déterminent le comportement électrique -isolant, conducteur ou semi-conducteur- du matériau considéré.
- À partir des années 1960, ces matériaux ont été la source d’une nouvelle gamme de détecteurs. Ils peuvent en effet être utilisés pour fabriquer des diodes, c’est-à-dire des dispositifs qui ne laissent passer le courant que dans un seul sens. Une telle diode peut être, par exemple, une jonction « métal-semi-conducteur » réalisée en évaporant de l’or sur un cristal de silicium très pur. Lorsque l’on polarise cette jonction dans le sens direct, c’est-à-dire qu’on lui applique une tension telle que le métal soit à un potentiel plus élevé que le silicium, elle laisse passer normalement le courant. En revanche, lorsqu’on la polarise dans le sens inverse, il apparaît une zone « dépeuplée » dans laquelle il n’existe aucun porteur de charge (ni électron, ni trou), et, en principe, aucun courant ne passe. Si maintenant, une particule énergétique traverse la zone dépeuplée, son interaction avec les électrons de ce milieu va provoquer par des phénomènes d’excitation aboutissant à la création de paires électron-trou comme nous l’avons exposé ci-dessus. Électrons et trous pouvant conduire le courant, le passage d’une particule dans la diode se traduira par l’apparition d’une impulsion de courant, tout comme dans une chambre d’ionisation.
Pour la détection de particules chargées de haute énergie, les détecteurs à semi- conducteurs s’avérèrent bien supérieurs aux détecteurs à gaz du point de vue de leur aptitude à capter l’énergie totale des particules dans une épaisseur relativement faible. En ce qui concerne les rayonnements de radioactivité, c’est surtout au plan de la résolution en énergie qu’ils affirmèrent leur suprématie. En effet, la quantité d’énergie nécessaire à la création d’une paire électron-trou dans le silicium (3,6 électron-volt) est environ dix fois plus faible que celle qu’il faut, en moyenne, pour ioniser un atome de gaz. Dix fois plus d’électrons sont ainsi créés dans un détecteur à semi-conducteur, ce qui augmente d’autant l’amplitude du signal électrique en sortie, et surtout diminue de beaucoup les fluctuations statistiques sur le nombre d’électrons libérés, donc la largeur en énergie des pics observés. Pour le polonium 210, par exemple, la largeur à mi-hauteur de la raie a de 5,3 MeV passa de 150 keV dans le cas d’une chambre d’ionisation de performances moyennes à environ 15 keV pour un détecteur à semi-conducteur très moyen ! Même progrès pour la détection des rayonnements gamma. La largeur à mi-hauteur de la raie à 660 keV du césium 137, mesurée dans un bon cristal d’iodure de sodium était d’environ 50 keV. Elle tomba à 2 keV lorsque apparurent les diodes au germanium !
Dans les années 1970, les détecteurs à semi–conducteurs firent ainsi progresser à pas de géants la spectroscopie nucléaire, science qui étudie la structure des noyaux d’après les rayonnements qu’ils émettent. Leur inconvénient majeur resta longtemps leur faible volume, lié aux difficultés inhérentes à la fabrication de gros monocristaux de germanium et de silicium. Cependant de grands progrès furent également effectués dans ce secteur. Puis, l’industrie des semi–conducteurs continuant de s’épanouir, il devint pensable de réaliser, à un prix raisonnable, de véritables mosaïques de ces détecteurs, chacun d’eux fonctionnant individuellement, ce qui accrut considérablement les surfaces utiles. C’est ce qui est fait actuellement, et les physiciens possèdent ainsi des « yeux à facettes » de grandes dimensions capables de localiser avec précision les particules qu’ils détectent. De tels ensembles rivalisent avec les chambres multifils, ou sont combinés avec elles dans les expériences complexes de physique nucléaire et de physique des particules qui caractérisent ce début de xxie siècle.