La sélection naturelle et le maintien du polymorphisme : Cas des valeurs sélectives constantes
C’est le cas classique de l’anémie à hématies falciformes ou drépanocytose ou encore sicklémie. La forme mutée de l’hémoglobine, qui est notée S, est caractérisée par la substitution d’un acide aminé acide glutamique hydrophile par une valine hydrophobe sur la chaîne . En conséquence les molécules d’hémoglobine cristallisent à l’état oxygéné et les hématies présentent alors une forme en faucille ce qui entraîne un blocage des capillaires. L’allèle est létal à l’état homozygote dès l’enfance, les sujets atteints ne dépassant généralement pas l’âge de 5 ans. Son maintien à fréquence élevée dans certaines populations (45% d’hétérozygotes localement) s’explique par une meilleure résistance au paludisme. On observe en effet une assez bonne concordance entre les zones où sévit le paludisme et celles où l’on rencontre l’anémie à hématies falciformes. Les sujets sicklémiques hébergent de plus généralement moins de parasites que les sujets non sicklémiques.
Le paludisme est une maladie causée par un protozoaire, Plasmodium falciparum, qui possède deux hôtes : l’homme et l’anophèle (moustique). Le passage d’un hôte à l’autre se fait par piqûre de moustique. Chez l’homme, le parasite se multiplie dans les cellules du foie dans un premier temps puis dans les hématies. La résistance conférée par l’allèle S serait due à une destruction plus rapide des hématies contenant un mélange des deux hémoglobines ce qui empêche le parasite d’y terminer son cycle ou à l’absence chez le parasite d’un équipement enzymatique lui permettant de métaboliser l’hémoglobine S. Ce polymorphisme est un exemple de surdominance où les hétérozygotes sont avantagés. Simple et pédagogique, il est cependant tout à fait exceptionnel et il ne faut pas trop généraliser à partir de son étude. Les cas de vigueur hybride, ou hétérosis, sont en effet plus souvent dus à l’addition des effets bénéfiques des gènes hérités de chacun des deux parents qu’à une surdominance.
Cet exemple pose aussi un autre problème d’ordre génétique. Les deux homozygotes se reproduisent mal et ils abaissent la capacité de la population à se reproduire. Le généticien Haldane a montré que le remplacement d’allèles anciens par des allèles nouveaux sous l’effet de la sélection naturelle pouvait faire baisser leurs effectifs jusqu’à les menacer d’extinction. Ce coût de la sélection empêche donc d’invoquer l’avantage de l’hétérozygote pour expliquer le maintien d’un nombre aussi important d’allèles mutés.
De façon générale, il est très difficile de mettre en évidence une sélection naturelle s’exerçant sur un locus particulier. En général, on a recours pour ces études à une analyse des protéines et en particulier des enzymes. Mais quand un polymorphisme enzymatique est mis en évidence par électrophorèse, il est difficile de donner une fonction exacte aux enzymes et d’attribuer un avantage sélectif à certains génotypes plutôt qu’à d’autres. Il faudrait pour cela mesurer leur survie et leur fertilité et ce travail est colossal. De plus, il y a souvent plusieurs facteurs sélectifs en cause et il est très difficile de les déterminer. Ces études se limitent souvent à montrer que plus des populations sont éloignées géographiquement, ou plus le flux de gènes entre elles est faible, plus elles diffèrent. Un piètre résultat pour une technique aussi sophistiquée. Par contre, les analyses enzymatiques se prêtent bien à la mise en évidence d’isolement reproducteur. C’est le cas entre les souris Mus musculus et Mus spretus dans le midi de la France .