Le silex est d'abord taillé dans la tête
Les silex
Comment ne pas imaginer que l’homme préhistorique ait eu très tôt la notion du temps ? Une pratique très ancienne laisse penser que les premiers hommes ont eu, sinon un véritable sens du temps, du moins celui de l’un de ses éléments essentiels, le futur. Les premiers outils de pierre datent d’environ deux millions d’années. Ils furent fabriqués par des êtres qui commençaient à peine à envisager le statut d’hommes. Pourtant, pour tailler une pierre, il faut disposer de la conscience du temps, car c’est se projeter dans l’avenir : avant même la première frappe sur le caillou, il faut imaginer ce que sera cette pierre taillée, a quoi elle servira. Fabriquer un outil ou une arme, c est avoir en tête non seulement l’image de cette arme terminée, mais son usage, le départ en chasse, la poursuite du gibier, sa mort. Les silex sont longs à fabriquer, il fallait en disposer bien avant la chasse. Il fallait aussi les stocker, les entretenir, car ils pouvaient servir plusieurs fois. Ils furent, pendant des centaines de milliers d’années, des éléments essentiels de la vie des hommes
de la préhistoire.
Ces outils sont nés d’une interaction entre le cerveau et la main, qui a fini par donner aux deux une agilité nouvelle, et a suscité probablement la première forme de pensée réfléchie des hominiens. On a pensé, autrefois, que 1 homme était devenu intelligent du jour où il avait imaginé de tailler un silex. On a tendance à croire, aujourd’hui, qu il a existe une combinatoire entre l’hominien et l’outil : ce dernier, bien qu’il soit né d’une imagination créatrice, prélude d’une intelligence, va favoriser l’émergence et le développement de cette intelligence. Cette interaction du cerveau et de la main est liee au temps, et forme une abstraction dont les animaux sont incapables : lorsqu’ils fabriquent un outil, ce qui leur arrive parfois, c’est pour un usage immédiat, ils le jettent lorsqu’ils 1 ont utilise. Des singes taillent une baguette de bois pour capturer des termites, ou cherchent un bâton pour atteindre le régime de bananes suspendu au plafond de leur cage. Mais l’outil utilisé sera vite oublié et ne sera jamais repris. Alors que l’invention capitale de l’outil de pierre, conçu d’abord en pensée et réutilisable, va avoir des conséquences considérables : c’est elle qui va lancer l’humanité sur le chemin de la culture et de la civilisation. Fabriquer, c’est penser.
La création d’outils et d’armes de pierre est également associée à un autre élément essentiel pour l’avenir de l’homme, et lié au temps, c’est le progrès. Car la notion de progrès va de pair avec l’idée d’un futur meilleur. On songe nécessairement à l’avenir en inventant. Lorsqu’on regarde la longue suite d’outils et d’armes de silex fabriqués pendant deux millions d’années, force est de constater qu’ils sont de plus en plus perfectionnés, de plus en plus fins, de plus en plus efficaces, de plus en plus beaux. Des préhistoriens ont appris à tailler des pierres comme le faisaient les premiers hommes, Mais on ne sait toujours pas reproduire les grandes lames de silex longues de soixante cm retrouvées en Ile-de-France. Le constat est clair : il y a eu, au fil des temps, un progrès évident. André Leroi-Gourhan l’a mesuré en comparant la longueur de tranchant utile obtenue par kilo de silex utilisé : elle passe de quarante centimètres il y a deux millions d’années à deux mètres il y a trois cent mille ans.
La disposition d’outils et d’armes va donner aux hommes préhistoriques une sécurité nouvelle vis-à-vis de leurs ennemis, car les silex taillés vont pouvoir s’opposer aux griffes et aux dents acérées des prédateurs. Cette sécurité laissera aux hommes davantage de temps pour penser. L’apparition d’une pensée réfléchie, associée à l’outil, est liée à l’acquisition du langage articulé. Ce langage va jouer un rôle essentiel dans les rapports de l’homme préhistorique et du temps, car il permet d’évoquer autre chose que l’instant présent : il va devenir possible de parler du passé et de l’avenir, de se souvenir ensfallu des millions de générations pour qu’un acquit inédit ait quelque chance d’être transmis par les moyens lents de révolution biologique. La capacité d’apprentissage, une fois accise et installée dans le patrimoine de l’homme, va, comme d’autres éléments de la culture, appartenir désormais à l’ensemble de l’humanité et ne cessera plus de se développer. Nous naissons désormais avec le besoin d’apprendre et de créer.
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