Le temps des cailloux : Le temps de la complexité
Le temps de la complexité
Il existe un lien étroit entre le temps qui s’écoule et la mise en place d’une complexité croissante dans l’univers. Lorsque les premiers atomes se forment, au sein du chaos initial enfin refroidi, il leur devient possible de s’associer entre eux, pour former des molécules et créer tous les éléments de la matière, celle-là même qui existe aujourd’hui dans tout l’univers, celle du monde inerte et celle du vivant. C’est ainsi que vont naître les étoiles, lesquelles se grouperont en galaxies, en nébuleuses. Notre Voie lactée, celle que nous voyons en regardant le ciel constellé d’étoiles, est une petite galaxie, banale, parmi des milliards et des milliards d’autres. Mais elle est importante, car c’est la nôtre.
Cette complexité va croître avec le temps qui passe, comme on le vérifie avec l’histoire de la Terre. D’abord une boule chaude, agitée de tremblements furieux, elle se calme et se forme en mers, en océans, puis en continents. Tout cela a pris beaucoup de millénaires, mais s’est déroulé suivant des lois physiques que nous connaissons bien, désormais, et qui traduisent une organisation de plus en plus ordonnée. Les éléments chimiques qui existent sur notre globe, comme ils existent partout – puisque c’est la même matière qui se trouve dans l’ensemble de l’univers – vont se réunir un milliard d’années après la naissance de la Terre, d’une façon originale, pour créer les premiers êtres vivants, qui ne représentent peut-être qu’une complexité accrue par rapport à la matière inerte. La matière semble dotée, en effet, de ce pouvoir étrange, et encore inexpliqué, de s’auto-organiser au fil des temps, pour produire d’elle- même des structures d’une complexité sans cesse plus poussée.
Il en sera de même pour l’organisation du vivant : formé uniquement, pendant très longtemps, d’une masse d’êtres faits d’une seule cellule, une nouvelle saute de complexité fera apparaître, il y a environ un milliard d’années, les premiers organismes composés d’un assemblage de ces cellules, lesquels vont pouvoir se compliquer, inventer de nouveaux moyens de fonctionner et de se reproduire, en inventant, par exemple, la sexualité, formidable coup de pouce à la diversité du vivant. L’une des caractéristiques essentielles des systèmes complexes est qu’ils sont, comme l’est indubitablement le vivant, adaptatifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent se modifier en fonction des variations de l’environnement. Un autre caractère essentiel, lié au temps, est que ces systèmes complexes ont nécessairement une histoire, ils proviennent toujours de l’évolution de systèmes plus simples qui les ont précédés, et dont il reste obligatoirement quelque chose dans leur structure et dans leur comportement. Plus on s’élève dans la hiérarchie du système nerveux, dit le biologiste Jean-Pierre Changeux, plus l’auto-organisation, et donc la capacité de créer, se manifeste.
La sexualité sera le point de départ vers ce qui aboutira, trois milliards d’années plus tard, à l’apparition des hommes, et de leur exceptionnel cerveau, lequel représente, pour l’instant, la forme la plus évoluée de la complexité vivante. Mais, comme le dit Claude Lévi-Strauss – qui affirme à tort à la fin de Tristes Tropiques que l’univers et le vivant sont passés de l’ordre au désordre, alors que c’est le contraire qui s’est produit – le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui. Comme on l’a vu, il est impossible d’imaginer que l’espèce humaine puisse avoir un destin différent de celui de toutes les autres espèces qui l’ont précédé et qui ont disparu, depuis cinq cents millions d’années. Nous ne représentons qu’un minuscule clin d’œil dans l’immensité du temps du vivant. La mort du Soleil, clairement programmée, pourrait signer la fin de l’homme – s’il se faisait qu’il existât encore des hommes et des femmes sur la Terre dans cinq milliards d’années.