Le processus de prise de décision en matière d'investissements énergétiques
la couverture des risques
Le processus décisionnel dans l’industrie de l’énergie est beaucoup plus complexe aujourd’hui qu’il n’était avant la mondialisation et la libéralisation. Ce changement s’explique par un environnement lui- même plus complexe, incertain et imprévisible. L’importance cruciale du changement climatique va déclencher la mise en place de politiques environnementales et de règlements plus stricts, mais leur date d’entrée en vigueur reste inconnue. L’incertitude sur la politique climatique accroît le risque lié à l’investissement (IEA, 2007a).
Dans l’industrie de l’énergie, tous les investisseurs n’ont pas la même attitude face au risque. Ainsi les compagnies pétrolières internationales ont l’habitude du risque. L’investissement dans l’exploration est leur premier risque : on n’est jamais sûr de trouver quelque chose. Le risque politique est banal : nationalisation, changement des conditions contractuelles, accidents, sabotage. Leur prime de risque est élevée car le risque se traduit parfois par de très graves accidents comme celui de la plateforme BP dans le golfe de Louisiane en 2010. Le problème est différent pour les entreprises électriques qui, la plupart du temps, ont à gérer une transition entre l’ancien monopole à faible risque et les nouvelles structures concurrentielles à haut risque. Aucune autre industrie n’a connu un changement structurel aussi radical dans un laps de temps aussi court. Une nouvelle culture du risque doit être acquise.
L’approche actuelle de la décision d’investissement dans un environnement à risque consiste à les segmenter, les analyser, et les couvrir. Le but de l’investissement demeure toujours de maximiser les flux de trésorerie attendus (la valeur actuelle nette VAN) mais, ainsi que l’AIE (2007a) le dit élégamment : « Dans le passé, l’investissement était fait quand le revenu actualisé dépassait le coût actualisé. Maintenant, l’investissement n’est réalisé que si le revenu actualisé dépasse le coût actualisé augmenté d’une marge supérieure au bénéfice qu’il y aurait à ne pas faire l’investissement. »
Segmentation des risques
Dans l’industrie de l’énergie, les risques liés à l’investissement peuvent être répartis en quatre grandes catégories : les risques économiques, les risques politiques, les risques juridiques et la force majeure. (IEA, 2003) :
Les risques économiques s’appliquent aux différentes phases du projet : ingénierie, construction (une période clé durant laquelle il n’y a pas de recette), exploitation, entretien, déclassement, démantèlement. Les risques portent sur les performances attendues des technologies et des équipements, les dépenses en capitaux, les dépenses de fonctionnement et le calendrier de construction. L’accident de la plateforme Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe de Louisiane illustre bien cette situation de risque. Du côté de l’opérateur, BP, il s’agit de mesurer, ex ante, les risques que l’on est prêt à prendre (et les coûts y afférents). Du côté de la régulation de la part des autorités publiques, il s’agit de fixer les normes et les standards de sécurité. Les risques de marché sont liés aux incertitudes du marché : évolution des prix des intrants (tels que le pétrole, le charbon, le gaz naturel, l’électricité), évolution des prix des produits vendus (tels que le prix de l’électricité), évolution de la demande et capacité du marché à absorber l’offre.
– Les risques politiques sont liés aux changements politiques qui pourraient se produire dans le pays où l’investissement est réalisé. Ils sont appelés des risques-pays. Pour une entreprise donnée, c’est le risque de lois indésirables ou de mesures gouvernementales qui nuisent aux intérêts de l’entreprise. Parmi les risques politiques, le risque réglementaire prend de plus en plus d’importance. Il concerne les changements qui pourraient être apportés dans la structure et la régulation de l’industrie, mais aussi tout changement dans la réglementation relative à l’environnement. Une fois de plus, nous revenons à des incertitudes liées aux changements climatiques. La séquence diabolique est très bien résumée par l’AIE (2007) : « Les incertitudes sur les émissions de gaz à effet de serre créent des incertitudes dans les réponses politiques à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre. Les incertitudes sur l’impact économique des changements climatiques créent des incertitudes sur la politique d’atténuation qui sera mise en place. Toutes ces incertitudes, combinées avec des incertitudes sur le coût des technologies de réduction des émissions, créent des incertitudes considérables sur les incidences financières pour les entreprises. »
– Les risques juridiques concernent le respect des dispositions contractuelles, les conditions de règlement des différends, les litiges, le partage des responsabilités entre les parties prenantes et l’évaluation des dommages et des indemnités. Le cas de la plateforme BP est un cas d’école dont les composantes juridiques sont extraordinairement complexes.
– La force majeure concerne les événements imprévus tels que guerres, attentats terroristes, tremblements de terre et autres catastrophes naturelles.
La segmentation des risques et leur identification rendent difficile une analyse précise de tous les risques avec l’attribution à chacun d’une probabilité d’occurrence. Le problème principal est donc d’essayer de couvrir chaque risque. Cette couverture est le plus souvent assurée par des arrangements contractuels : un contrat entre l’investisseur et les fournisseurs de matériel pour garantir la performance, entre les investisseurs et les entrepreneurs afin de garantir la qualité et le calendrier du chantier, des contrats d’achat à long terme de gaz ou d’électricité pour couvrir les risques de prix et de volume. Le risque-pays peut être partiellement couvert par les organismes nationaux d’aide à l’exportation ou par des organismes internationaux comme la Banque mondiale, le MIGA (Mutual Investment Garantee Agertcy). Les gouvernements peuvent jouer un rôle, plus informel que formel, car ils sont de plus en plus réticents à prendre des engagements institutionnels (garantie souveraine) compte tenu des incertitudes du futur. L’atténuation des risques implique nécessairement de longues et difficiles négociations entre les parties. C’est un bon exemple de ce que les économistes appellent les coûts de transaction. Toutefois, il reste un certain nombre de risques qui ne peuvent être couverts.