Géopolitique du pétrole et des prix de l'énergie : le troisième choc pétrolier
Étant donné que le pétrole représente 35 % de la consommation mondiale d’énergie, les prix du pétrole jouent un rôle de premier plan ans la détermination du prix des énergies. Les prix du gaz suivent à 3eu près ceux du pétrole. La fixation du prix du charbon est plus indépendante. Ce qui s’est passé sur les marchés mondiaux du pétrole depuis 1998 nous aide à mieux comprendre la situation actuelle et future.
En 1998, après une longue période d’instabilité, les prix du pétrole brut ont atteint leur plus bas niveau depuis 1971 en dollars constants : 10 $ par baril. Ce niveau n’était pas acceptable pour les grands pays exportateurs de pétrole (ni pour les producteurs des États-Unis produisant à un coût marginal élevé). À ces prix-là, les pays exportateurs ne pouvaient pas équilibrer leurs budgets et financer leurs dépenses publiques. En 1999, les pays de l’OPEP se sont réunis et ont décidé de réduire la production, en se donnant comme objectif de maintenir les prix du pétrole dans une fourchette de variation dont la limite supérieure serait 28 $ le baril et la limite inférieure 22 $. Les variations de prix devaient être contrôlées par des ajustements périodiques des quotas nationaux de production.
Cette plage de variation était considérée comme « un juste prix » : ni trop bas, afin de répondre aux besoins financiers des pays exportateurs (et garantir un minimum de profit aux producteurs dont le coût d’extraction est élevé), ni trop haut pour éviter des effets trop négatifs sur l’économie mondiale qui avait gravement souffert après le second choc pétrolier (1979-1980). L’OPEP a réussi à maintenir une stabilité des prix entre 1999 et le début de 2004 , même au cours de l’année 2003, qui a été l’une des pires années de l’histoire pétrolière marquée par trois événements politiques indépendants :
— Au Venezuela, le conflit entre le président Chavez et la compagnie pétrolière d’État PDVSA, à propos de l’argent du pétrole, a donné lieu à une longue grève qui a paralysé la production et les exportations de pétrole.
— Au Nigeria l’agitation sociale et ethnique dans le delta du Niger (un différend sur les revenus du pétrole) a réduit la production et les exportations.
— Enfin, en mars 2003, le Président Bush a décidé d’envahir l’Irak. La production de pétrole a été durement touchée.
Malgré ces événements, les prix du pétrole n’ont pas grimpé à 100 $ ou 200 $, parce que les pays de l’OPEP (hors Venezuela, Nigeria et Irak) ont été en mesure de mettre sur le marché les « barils manquants ». Ils avaient à cette époque une capacité de production excédentaire considérable, qui a constitué le facteur clé pour « contrôler » les prix du pétrole.
En 2004, la situation change radicalement. La demande de pétrole explose, entraînée par une croissance économique mondiale solide et exceptionnellement forte en Chine. Le rôle de la Chine au cours de l’année 2004 doit être toutefois relativisé : elle a importé près de 3 millions de barils par jour, tandis que les Etats-Unis, stimulés par une forte croissance économique, en importaient environ 13 millions. Le problème était alors double : la production au Venezuela, en Irak et au Nigeria n’avait pas retrouvé ses niveaux antérieurs et la capacité de réserve des autres pays de l’OPEP avait disparue. Depuis 2004, l’OPEP a perdu son pouvoir de maintenir un plafond aux prix du pétrole. C’est ce qui explique la très forte sensibilité du prix du pétrole à tout événement politique ou météorologique perturbant l’équilibre entre l’offre et la demande. La tendance à la hausse des prix s’est prolongée jusqu’au 11 juillet 2008, date à laquelle le prix du pétrole a culminé à 147 $ par baril. Le prix s’est ensuite effondré autour de 40 $ à la fin 2008. Deux facteurs se conjuguent pour expliquer cet effondrement soudain : la demande est d’abord touchée par un prix très élevé ; elle est ensuite détruite en partie par l’une des crises économiques les plus graves de l’histoire. Ceci pourrait avoir comme effet d’accentuer la volatilité des prix par la conjugaison de facteurs économiques, climatiques et géopolitiques (Chevalier 2010).
L’évolution des prix du gaz naturel suit de près ceux du pétrole avec un certain décalage dans le temps. Deux raisons expliquent cette corrélation. Tout d’abord, le gaz naturel et le fioul sont souvent en concurrence sur le marché du chauffage ; une grande différence de prix n’est pas tenable longtemps. Ensuite, l’approvisionnement en gaz naturel est souvent régi par des accords contractuels spécifiques. En Europe et en Asie, la plus grande partie des importations de gaz est achetée par le biais de contrats à long terme. Ces contrats ne sont pas publics, mais chacun d’eux contient une clause de prix avec une formule d’indexation. La plupart des formules établissent un lien automatique entre les prix du gaz et ceux des produits pétroliers. Parfois, on observe de courts décrochages dans l’évolution parallèle des prix du pétrole et du gaz. Ils s’expliquent par des déséquilibres temporaires entre l’offre et la demande, en raison de températures saisonnières inhabituelles ou de capacités de stockage momentanément inadéquates.
La montée en flèche de la demande de charbon en 2004 a été en partie tirée par la hausse des prix du gaz et de pétrole, rendant le charbon plus compétitif pour la production d’électricité. Le scénario de référence de l’AIE montre que 81 % de l’augmentation de la demande de charbon jusqu’en 2030, proviendra de la production d’électricité. Les prix du charbon devraient normalement être limités par le coût de production marginal dans les mines. La plage des coûts de production varie de 20 $ par tonne (Venezuela, Indonésie) à 50 $ (États-Unis) (IEA, 2006). En fait, les grands producteurs ciblent un prix qui donne au charbon un léger avantage compétitif par rapport au gaz naturel. Les prix du charbon ont augmenté de manière significative depuis 2003. En moyenne, les prix FOB sont restés à 30 dollars par tonne de 1986 à octobre 2003, 50 $ entre novembre 2003 et janvier 2007 et le prix à terme est passé à 55 $ entre avril 2007 et décembre 2009. Les nouvelles contraintes environnementales imposées pour l’utilisation du charbon pourraient aboutir à limiter son prix.
Manifestement, les prix de l’énergie sont fortement interconnectés, le prix du pétrole brut jouant un rôle de premier plan. Les prix élevés du pétrole au moment du deuxième choc pétrolier ont fortement perturbé l’économie mondiale. Depuis 2004, et jusqu’en 2008 la hausse progressive mais substantielle des prix du pétrole n’a eu qu’un impact limité sur les tendances de croissance économique dans les principaux pays. La crise économique survenue fin 2008 est issue de la crise financière, pas de l’augmentation des prix du pétrole.
L’économie mondiale interconnectée est vulnérable. Les ressources énergétiques existent, mais une croissance économique trop forte ou une crise économique paralysant les grands acteurs, les tensions géopolitiques et les retards dans les investissements peuvent conduire à la pénurie et à des interruptions d’approvisionnement. Les intérêts nationaux et le nationalisme des ressources vont le plus souvent à l’encontre de l’objectif mondial commun de l’édification d’un avenir énergétique durable. La mondialisation tend à aggraver les inégalités sociales et à entretenir les tensions géopolitiques. Pour être viable, le capitalisme mondial, dont une partie échappe à toute réglementation, a besoin d’un renforcement de la régulation, en particulier pour les questions liées au changement climatique, à la sécurité des approvisionnements énergétiques et au système financier. Toutefois, les actions sont limitées par l’inertie et les rigidités des systèmes en place. Un certain nombre d’éléments tendent à indiquer que les prix de l’énergie seront plus élevés et plus volatils que par le passé.