La compétition : La niche écologique et le modèle d'équilibre dynamique
La niche écologique et le modèle d’équilibre dynamique
La variabilité génétique présentée dans le chapitre précédent assure la formation d’individus dont le pool génique est particulier. Cet ensemble, s’il permet un développement embryonnaire viable, est alors exposé à un certain nombre de contraintes « environnementales » dont nous allons étudier ici la nature et les conséquences évolutives.
Simberloff et Wilson (1970 cités par Blondel 1986) ont détruit la faune d’Arthropodes de certains îlots de Floride avec du methylbromide. Ils ont ensuite suivi la recolonisation de ces îlots par les Arthropodes . Ils ont alors constaté que les îlots retrouvaient avec le temps un peuplement d’Arthropodes semblable à celui d’avant l’expérience. Ainsi, les plus éloignés du continent, qui étaient les plus pauvres avant l’expérience, retrouvaient un nombre d’espèces plus faible que les plus proches du continent, qui étaient les plus riches en espèces, et qui retrouvaient pour leur part un nombre d’espèces élevé. Si les espèces rencontrées après recolonisation pouvaient être différentes de celles rencontrées avant l’expérience, les structures trophiques finales étaient identiques à celles observées avant destruction de la faune. Cependant, tous les îlots passaient par un stade caractérisé par un nombre d’espèces supérieur à celui observé avant l’expérience. Ceci suggère que le nombre d’espèces est un caractère du milieu étudié mais que par contre la nature des espèces qui l’occupent résulte du hasard et des aléas de la colonisation. Le stade plus riche en espèces que le stade initial, observé temporairement, correspond à un stade de déséquilibre. Certaines espèces arrivant ensemble et ayant les mêmes exigences écologiques cohabitent tant que l’une n’élimine pas l’autre par compétition. Une fois atteint le niveau d’équilibre où toutes les niches sont occupées, le milieu est fermé et plus aucune espèce ne peut s’installer à moins qu’une autre ne s’éteigne.
Cette expérience est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle montre que l’espace des ressources pris au sens large peut être divisé en un certain nombre d’unités discrètes qui n’accueille chacune qu’une espèce. On peut donc caractériser une espèce par son mode d’utilisation du milieu, c’est-à-dire par sa niche écologique. On peut définir la niche écologique par l’ensemble des besoins requis par une espèce pour survivre dans son biotope et des actions réalisées pour les satisfaire . Afin d’exploiter sa niche, un être vivant nécessite diverses adaptations (morphologiques, comportementales, physiologiques). Par exemple, la girafe, possède un long cou lui permettant d’atteindre les feuilles des arbres dont elle se nourrit et un système régulateur sanguin à la base du cerveau qui évite les variations de pression que subirait cet organe lorsque l’animal baisse sa tête au niveau du sol pour boire. Ces caractères, et d’autres que nous ne détaillerons pas, lui permettent d’utiliser une niche écologique qui est d’être un mangeur de feuilles des arbres de la savane arborée africaine. La niche écologique doit donc être considérée comme un espace à n dimensions qui comporte la nature de la nourriture recherchée, le site et la période (du jour mais aussi de l’année) où cette nourriture est recherchée, les exigences de l’espèce pour sa reproduction… Ainsi, l’Épervier {Accipiter nisus) et l’Autour {Accipiter gentilis), deux rapaces forestiers (même milieu) omithophages (mangeurs d’oiseaux) occupent des niches distinctes car leurs tailles sont différentes et le premier capture en conséquence des espèces de plus petite taille que le second. Le dimorphisme sexuel observé chez ces deux oiseaux (les femelles sont plus grandes que les mâles) élargit la niche écologique par rapport au cas où les deux sexes auraient la même taille car les proies capturées par les femelles sont plus grandes que celles capturées par le mâle. Les niches écologiques du Hibou grand duc (Bubo bubo) et de PAigle royal {Aquila chrysaetos) diffèrent car le premier chasse la nuit et l’autre le jour. Par contre, leurs niches se chevauchent car tous deux installent leurs nids sur des falaises. L’amplitude de la niche d’une espèce dépend des interactions de cette espèce avec les autres espèces du peuplement. On peut donc distinguer une niche fondamentale, qui est la niche potentielle d’une espèce, et une niche réalisée qui est la niche qu’elle occupe réellement dans la nature. Le concept de niche a été souvent critiqué, en particulier car son aspect multidimensionnel rend son exploration difficile. Mais c’est un caractère très pratique et on trouve ailleurs en science des concepts difficiles à définir et pourtant largement utilisés (l’énergie par exemple).
Cette expérience conforte également un modèle appelé modèle d’équilibre dynamique. Un certain nombre de travaux ont cherché à comparer le nombre d’espèces présentes dans différents milieux en fonction de leur surface. On comprend facilement que le nombre d’espèces rencontrées s’accroisse avec la surface étudiée. En effet, plus la surface considérée augmente, plus la diversité des biotopes est susceptible d’augmenter et plus des espèces nécessitant des domaines vitaux étendus peuvent s’implanter. Il convient cependant de bien distinguer ce qui est explicable par un accroissement de la sur¬face en augmentant les domaines vitaux et la diversité, de ce qui peut éventuellement relever de caractères propres à certaines îles (structure de la végétation, présence de certains prédateurs…). Dans le cas des oiseaux il ne faut pas prendre en compte les espèces marines et se limiter aux seules espèces terrestres.
Concernant le cas de la Corse, J. Blondel a tenté de déterminer pourquoi certaines espèces sont absentes de cette île (Blondel 1985, 1986). L’avifaune corse compte 37% d’espèces d’oiseaux nicheuses en moins qu’une zone continentale française de même superficie. Si l’on peut retenir pour certaines de ces espèces l’absence de biotopes favorables ou une situation hors de la distribution géographique normale de l’espèce, il reste 42 espèces pour lesquelles aucune explication satisfaisante ne peut être avancée. En se référant à la théorie de Mac Arthur et Wilson (1967), Blondel suggère que c’est la compétition interspécifique qui est responsable de ces absences. En effet, d’après ce modèle étayé par diverses études il semble que les îles, présentant une diversité plus faible de ressources et de biotopes, hébergent un nombre plus faible d’espèces qui élargissent leur niche écologique. Dans cette optique, aucune espèce ne peut s’implanter sur une île si une autre espèce ne s’éteint pas. La compétition joue alors un grand rôle dans la structuration de ces communautés. Dans le modèle de Mac Arthur et Wilson, la probabilité d’extinction des espèces serait dépendante de la surface de l’île et la probabilité de colonisation par une nouvelle espèce de sa distance au continent. Ces deux événements sont en partie voire totalement stochastiques. Ceci constitue la base du modèle de « l’équilibre dynamique ». Ce modèle se trouve totalement confirmé par l’expérience de Simberloff et Wilson si après que le nombre d’espèces s’est stabilisé on constate au cours des années un renouvellement régulier des faunes régi par la probabilité d’extinction et la probabilité de colonisation.
Cependant, l’élargissement de niche constaté en Corse ne concerne que les espèces forestières non spécifiquement méditerranéennes, les oiseaux de maquis ne s’implantant pas dans les milieux forestiers. La compétition ne suffit donc peut-être pas à expliquer les élargissements de niche constatés (Martin 1992).
Vidéo: La compétition : La niche écologique et le modèle d’équilibre dynamique
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