La mémoire du temps passé : Le temps du divan
Le rappel, à l’aide de la mémoire, de souvenirs enfouis, dans le but de retrouver un équilibre psychique troublé par des interdits, des blocages, est l’une des bases de la technique psychanalytique, mise au point par le psychiatre autrichien Sigmund Freud. Elle fait appel à la fois à l’évocation de ces souvenirs par le patient, que le psychanalyste encourage à parler librement, et à l’interprétation de ses rêves, afin de sonder son inconscient. Pour la première fois en matière de thérapeutique, il ne s’agit plus de s’occuper des troubles provoqués par des éléments contemporains de la maladie, microbes ou virus, mais d’analyser des éléments au contraire très anciens, enfouis dans la mémoire.
Freud ne s’est pas beaucoup intéressé au temps, car son centre d’intérêt était l’inconscient, dans lequel le temps n’a pas de place. « Les processus de l’inconscient sont intemporels, écrit- il. Ils ne sont pas modifiés par le temps qui passe, ils n’ont aucun rapport avec le temps. La relation au temps est liée au système conscient. » La dimension du temps, dit-il encore, ne nous est accessible qu’en fonction des actes de conscience. Elle est discontinue. Il refuse l’idée d’un temps humain dont on pourrait tendre le fil de l’origine à la fin. Pourtant, la psychanalyse oblige le patient à faire un retour en arrière vers ses souvenirs enfouis, pour revenir le plus près possible du temps primordial, celui de la naissance. Un processus qui est très comparable à celui des sociétés d’avant la civilisation qui, comme nous le verrons, cherchaient, au travers des mythes de fondation, à revenir près du temps primordial, celui de la création du monde et de l’homme.
L’inconscient ignore le temps, mais le conscient ignore que l’inconscient ignore le temps, note, avec son humour paradoxal, le psychanalyste André Green, pour qui penser le temps est aussi rebelle à la réflexion que penser l’être. Il résume bien la cure psychanalytique en évoquant « les moments de retour intempestif du passé, réminiscences et reviviscences, où le patient se sent à la fois propulsé hors de la scène de son vécu ordinaire, et comme happé en arrière par le retour en lui d’un temps qu’il croyait définitivement relégué dans un passé où les lambeaux du souvenir vivotaient, inoffensifs ou nostalgiques. Voilà qu’ils se révèlent capables de surprenantes résurrections et se saisissent de lui. » Et encore : « Interroger le sens de la temporalité, c’est d’abord prendre acte de la flèche du temps, c’est-à-dire soumettre le sujet à la force impérieuse qui le pousse de l’avant vers l’après […] vers la mort comme son horizon absolu. »