La mort fatale mais nécessaire
Si nous ne savons pas quand l’homme a commencé a donner un sens à la notion de temps, en acquérant ces notions de passé et de futur, et en ne se contenant plus de ne vivre que dans le présent, comme les animaux, tout semble donc montrer que cela remonte à des époques très anciennes. On peut faire l’hypothèse que ces notions ont été étroitement liées à l’apparition de la conscience de soi, laquelle est probablement apparue très tôt, et qui a été nécessairement associée au sentiment de la mort. La mort est la seule échéance certaine pour tout être vivant, elle est aussi fatale que la naissance, mais l’homme est probablement le seul qui en ait pris conscience. Et cela est vraisemblablement lié au fait qu’il est l’unique être vivant à avoir compris qu’il existe un passé et un avenir, lequel ne peut qu’aboutir à la mort. Cette dernière fut donc vite une source d’angoisse, mais éveilla en même temps des sentiments nouveaux dans l’esprit des hommes. Penser le temps, c’est aussi penser le début et la fin du temps, c’est-à-dire d’abord sa propre mort, puis celle du monde. C’est probablement ce qui a donné à l’homme son angoisse existentielle. L’idée de la mort contient en germe la notion des mythes et des religions, et ce n’est pas un hasard si certains croyants voient dans la mort un élément constructeur, positif, celui d’une autre vie.
L’animal mort n’est que de la nourriture. Il n’existe plus en tant qu’être, pour ceux qui restent vivants, il est devenu une chose. On a observé cependant quelques comportements de respect, de regret pour un enfant mort, mais rares, chez des chimpanzés et des éléphants. C’est la même indifférence qui fait que, dans le monde animal, les malades, les infirmes, les blessés, sont abandonnés ou tués. À une époque sans doute très ancienne, les hommes ont, eux, acquis cette notion nouvelle, qui va avoir des résonances universelles : que la mort fait partie de la vie, qu’elle en est un élément indissociable.
Cela a eu une conséquence capitale, celle de ne plus considérer le mort comme une chose, mais comme un être, certes différent puisque parti dans un autre monde, mais dont il faut tenir compte, car il peut agir sur le vivant. La mort n’est plus une disparition totale, mais un changement d’état. Ne plus être vivant ne signifie plus ne pas avoir été vivant. L’individu, en abandonnant sa forme humaine pour une forme plus subtile, ne disparaît pas pour autant. Il devient autre, mais il continue à exister, à la fois dans le souvenir des survivants et comme une sorte de fantôme qui les suit dans leur vie quotidienne. Il devient un ancêtre et, comme tel, va désormais jouir de privilèges importants. Le défunt fait toujours partie du groupe, il y joue encore un rôle. Il est lié au temps de la société où il a vécu, à son avenir. Il est souvent craint, on lui doit le respect, voire la vénération. Tout au moins reste-t-il dans le souvenir commun, symbolisé par une sépulture, parfois même un monument. La mort d’un être affectera nécessairement la communauté, désormais. La mort va apparaître comme une espérance dirigée vers le futur.