La radioactivité artificielle ou la revanche des Joliot : L'expérience cruciale
Pour démontrer la validité de leur hypothèse, Frédéric et Irène doivent en particulier démontrer que le neutron et le positon sont émis simultanément. La chambre de Wilson ne permet pas de l’affirmer, parce que son efficacité de détection est assez faible pour les neutrons et parce que chacune des deux particules peut être émise dans une direction telle qu’elle n’entrera pas dans le détecteur. Pour cela, les deux époux veulent commencer par montrer que, lorsque l’on augmente l’énergie des particules a qui frappent l’aluminium, neutrons et positons apparaissent pour la même énergie, c’est-à-dire, dans le langage des physiciens, que les réactions qui leur donnent naissance ont le même « seuil ». Ils ne peuvent pas augmenter l’énergie des particules a du polonium, bien sûr, mais ils savent la réduire en les ralentissant. En décembre 1933, ils déterminent ainsi le seuil en énergie pour l’émission de neutrons, et en janvier 1934, ils s’attaquent à celui de l’émission de positons.
La source de polonium et la feuille d’aluminium servant à produire les fameux électrons positifs sont séparés par une épaisseur de gaz dont on peut faire varier la pression, ce qui donne une grande souplesse à la variation en énergie des particules atteignant la feuille. Pour compter les positons, les deux chercheurs ont délaissé – provisoirement – la chambre d’ionisation et la chambre de Wilson. Ils préfèrent utiliser le tout nouveau compteur Geiger-Müller qui présente l’avantage d’être insensible aux neutrons. De plus, comme l’électronique a réalisé beaucoup de progrès, liés en particulier au grand succès de la Téléphonie sans fil (TSF), ce compteur peut être relié par un amplificateur à lampes à un « numérateur », qui affiche au fur et à mesure le nombre de particules détectées. C’est un jeune physicien allemand, Wolfgang Gentner, nouvellement arrivé à l’institut du radium, qui y a introduit ce type de compteur, dont la réalisation pratique ne pose pas de problème lorsque l’on connaît les embûches à éviter.
Le décor étant ainsi planté, la pièce va pouvoir commencer. Au théâtre, ce serait un petit chef d’œuvre, puisqu’elle ne comporte qu’un seul acte et un seul acteur !