La radioactivité : Datation et marquage
Datation et marquage
La science elle-même a été et reste un des fidèles clients de la radioactivité. Après en avoir étudié les propriétés, les chercheurs ont mis la radioactivité au travail en utilisant deux de ses particularités : la décroissance régulière dans le temps de l’activité d’une source radioactive, et l’extrême sensibilité de détection des rayons a, fi et y. Pour le premier usage, on utilise une collection de noyaux radioactifs comme horloge de précision. En effet, la population d’un isotope radioactif donné est divisée exactement par deux à chaque échéance de la période de cet isotope. Le dosage de la population radioactive restante aujourd’hui permet par exemple de calculer l’âge des roches, sur des milliards d’années. C’est la radioactivité naturelle de l’échantillon lui-même qui fournit les informations souhaitées. Les techniques de datation jouent sur l’existence d’isotopes de périodes différentes et d’isotopes stables des éléments dans un même échantillon pour calculer, à partir des diverses abondances, l’âge de l’échantillon.
La méthode de datation la plus connue est celle du carbone 14. Elle donne sa meilleure précision pour les durées qui intéressent l’archéologie, soit de mille à quarante mille ans environ. Cette méthode part du fait que l’air que nous respirons contient du carbone, et notamment une proportion très faible de l’isotope radioactif carbone 14. La désintégration du carbone 14 est compensée par le rayonnement cosmique qui en renouvelle constamment le stock. La mort d’un organisme vivant arrête les échanges avec l’atmosphère, et le carbone 14 piégé dans cet organisme ne peut pas être réalimenté en carbone 14 «frais». Il décroît, avec une période de 5 730 ans. La mesure de la proportion restante de carbone 14 par rapport au carbone 12 permet de remonter jusqu’à la date de mort de l’organisme. On peut ainsi dater des os, du charbon, du bois, des fibres de tissu, et en général les éléments organiques qui ont survécu à l’usure du temps.
L’autre façon de tirer parti de la radioactivité est d’utiliser les isotopes radioactifs comme traceurs ou marqueurs. Pour cela, on synthétise une molécule en tout point identique à la molécule dont on veut suivre l’évolution dans un système biologique. On prend soin toutefois de remplacer un ou plusieurs des atomes de la molécule par des isotopes particuliers, choisis soit parmi les isotopes radioactifs pour leur faculté d’émettre un rayonnement caractéristique, soit parmi les isotopes stables les moins fréquents de l’atome substitué. On fabrique ainsi au niveau de la molécule un marquage spécifique qui permet de l’identifier parmi ses semblables, de même que l’on bague un oiseau pour étudier la migration de son espèce ou que l’on déverse des liquides colorants puissants dans un cours d’eau souterrain pour en identifier les résurgences. Les marqueurs radioactifs* les plus fréquents sont le tritium et le carbone 14, et les marqueurs stables les plus utilisés sont le deutérium, le carbone 13 et l’oxygène 18. Comme l’on sait détecter le rayonnement à des concentrations un million de fois inférieures à celles qui pourraient avoir des effets radiobiologiques, les méthodes de traçage et de marquage radioactifs sont utilisées en toute innocuité.
On peut même tirer profit de rejets très caractéristiques d’installations nucléaires pour étudier la circulation de courants marins ou les transferts le long des. chaînes de l’écosystème. De telles études sont précieuses, puisqu’elles préfigurent in situ et à un niveau totalement inoffensif des situations accidentelles potentielles dont on veut prévoir avec précision l’évolution éventuelle. C’est une caractéristique importante de la radioactivité par rapport aux autres risques écologiques : on mesure ce qui se passe bien avant que ce ne soit inquiétant pour la santé des populations.
Étrangement, les rares détriments liés à l’usage scientifique de la radioactivité ont plutôt été perçus comme des points positifs. Les maladies et les décès prématurés des pionniers, brûlés dans leur corps en cherchant à apprivoiser la radioactivité, ont souvent été versés à leur actif et pris comme témoignage de leur esprit de sacrifice. Avant que ne soient établies les bonnes pratiques de manipulation de la radioactivité, celles-ci ont été enfreintes par les chercheurs des premières décennies. On en mesure encore aujourd’hui les traces. Au moment où la France faisait entrer les cendres de Pierre et Marie Curie au Panthéon, leurs anciens laboratoires de Nogent-sur-Marne posaient un problème de salubrité publique. Une école maternelle avait été construite sur les lieux, et les émanations de radon provenant des déchets enfouis dans le sol atteignaient des niveaux auxquels il n’était pas souhaitable d’exposer régulièrement de jeunes enfants. Il est heureusement assez facile de faire chuter les doses en ventilant correctement les locaux, puisqu’il s’agit d’un gaz radioactif
Les principes de protection
Les imprudences des premières années de manipula¬tion de la radioacdvité en médecine et dans les sciences ont vite mené à la prise de conscience des effets aigus, comme les dermites et les anémies. Les effets aléatoires à long terme des faibles doses ont bien entendu mis longtemps à se dégager, et ce n’est que depuis l’usage de l’énergie nucléaire en temps de guerre que l’on a commencé à prendre la pleine mesure de ces effets. Il existe depuis 1928 une instance internationale, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), qui émet des recommandations de protection. Tant que l’on ne s’occupait que d’effets aigus, la stratégie de protection était simple à énoncer : si l’irradiation reçue restait en dessous du seuil de déclenchement des effets systématiques, le dommage était supposé nul. On sait aujourd’hui qu’il existe aussi un risque aléatoire à long terme, que l’on ne sait pas éliminer complètement. Il faut donc le minimiser et trouver un équilibre entre les bénéfices attendus et les risques pris. La solution que retiennent les instances internationales de radioprotection tient en trois principes : justifier, optimiser et limiter.
Le principe de justification veut que l’on n’adopte une pratique qui accroît les doses de radioactivité que si le bénéfice pour les individus exposés ou pour la société dépasse les détriments causés. L’évaluation du détriment inclut les effets proprement dits des rayonnements, ainsi que les considérations économiques et sociales. Un exemple de ces questions est la prévention systématique de la tuberculose par radiographie du thorax. Des voix commencent à s’interroger sur l’équilibre entre le risque de tuberculose, qui a beaucoup chuté dans les pays riches, et les risques induits globalement par les détections systématiques.
La pratique étant acceptée, le principe d’optimisation veut que l’on obtienne le bénéfice recherché en diminuant le détriment autant que possible. C’est l’esprit que résume l’acronyme anglo-saxon ALARA (As Low As Reasonably Achievable). Le mot «raisonnablement» rappelle qu’il faut prendre en compte les fac-teurs sociaux et économiques dans la recherche de l’optimum. Il ne serait en effet pas raisonnable de surprotéger une activité humaine, quelle qu’elle soit, en engageant des dépenses importantes qui seraient mieux utilisées à renforcer la sécurité d’un autre domaine sous-protégé. Ce principe d’équilibre et de mesure, familier à tous les experts et techniciens de la protection, est probablement celui que le grand public a le plus de mal à percevoir. Chacun ne perçoit bien que le risque qui le concerne directement et peut même ignorer un risque important, qui ne touche que des populations lointaines. Au contraire, l’approche globale du technicien pèche par le caractère aveugle des statistiques, qui ne peuvent prendre en compte le drame humain individuel. De nombreux efforts sont faits pour affiner et rationaliser l’application du prin¬cipe d’optimisation, mais celui-ci contiendra toujours une part de subjectivité.
Le troisième principe impose la limitation des doses individuelles. Il a pour fonction d’introduire des règles objectives, fixant des doses limites à ne pas dépasser pour chaque individu, en fonction du travail qu’il exerce. On veut ainsi empêcher la prise de risques inacceptables. Ces doses «garde-fous» sont volontairement calculées avec des facteurs de sécurité élevés et en se fixant pour critère que l’industrie nucléaire doit être parmi les activités professionnelles les plus sûres de toutes. Le principe d’optimisation s’applique ensuite pour réduire les doses autant que faire se peut. Dans les pays à haut niveau technique, il est courant que les doses reçues par les travailleurs permanents soient de dix à cent fois inférieures aux limites régle¬mentaires. Dans les cas d’accident, le principe de limitation ne peut pas et ne doit pas s’appliquer, car on recherche alors des interventions qui diminueront la dose globale. La limitation individuelle peut parfois être en contradiction avec l’optimisation globale. Ce dilemme fait partie intégrante du métier de sauveteur, qui doit protéger tout à la fois les autres et lui-même. Les années qui viennent verront probablement l’émergence d’un quatrième principe, veillant à la qualité du système de radioprotection. C’est en effet un apanage de pays riches que de disposer des moyens d’appliquer l’ensemble des recommandations de la CIPR. Celles-ci assurent une protection d’excellente qualité, mais parfois hors de prix pour des pays dont l’économie est faible ou fragilisée. La modification des attitudes et des comportements en matière de protection, que l’on appelle la culture de sûreté, serait un premier pas important vers la maîtrise des risques et leur diminution.
Vidéo : La radioactivité : Datation et marquage
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