La récapitulation, La foetogénèse et la néoténie
La réflexion portant sur les particularités de la croissance du crâne et du cerveau humain a amené à formuler des hypothèses.
- Une sorte de récapitulation apparente de l’évolution des espèces se produit au cours du développement embryonnaire des organismes les plus évolués. Ernst Heinrich Haeckel, naturaliste et philosophe du XIXe siècle, l’a fait remarquer dès 1 874 : l’ontogénèse est la récapitulation de la phylogénèse. Les liens de parenté de l’Homme avec les Vertébrés sont évidents au stade embryonnaire. Pendant la première partie de la gestation, il est difficile de distinguer un embryon humain d’un autre embryon de Vertébré : Poissons, Reptiles, Batraciens. Ils ont des fentes branchiales qui ressemblent aux ouïes des Poissons, mais qui finiront pas constituer les osselets de l’oreille. Un appendice caudal est visible sur l’embryon humain ; il tombe vers la 8e semaine. Le télencéphale de l’embryon ne recouvre pas encore le cervelet et le tronc cérébral ; la fosse sylvienne est largement ouverte jusqu’à la 25e semaine. L’embryogénèse est similaire, mais la gestation n’a pas la même durée : le poussin 3 semaines, le porc 16 semaines, le Singe macaque 23 semaines, l’Homme 40 semaines. L’ontogénèse récapitule la phylogénèse ; on peut se demander si elle ne la prophétise pas et si l’enfant de l’Homme ne figure pas l’Homme futur ?
- La fœtogénèse, dont on connaît en zoologie plusieurs exemples, notamment chez les Batraciens, correspond à l’acquisition dans certaines conditions écologiques des capacités de reproduction par les formes foetales. Un batracien l’axolote est à la phase fœtale qui précède la métamorphose et la forme adulte ; dans certains lacs mexicains, la forme larvaire ne précède plus l’état adulte, elle le remplace et est devenue héréditaire.
- L’hypothèse néoténique a été formulée par Louis Bolk en 1920. Néoténie signifie littéralement rétention de jeunesse, c’est-à-dire permanence chez l’adulte actif sexuellement de toutes les caractéristiques de l’individu prépubère. Au cours de l’Evolution s’est produit un ralentissement de la vitesse de développement des Mammifères et des Primates et la conservation des caractères juvéniles ; les têtes d’un jeune chimpanzé et d’un enfant d’un an se ressemblent ; le crâne des jeunes chimpanzés ou des jeunes gorilles ressemblent aux Hommes adultes alors que les Singes adultes diffèrent totalement. La liste des caractères communs que nous avons avec les Singes jeunes, et non avec les adultes est impressionnante :
• Notre crâne a une forme ovoïde, le front est bombé, l’arrière est très rond ; le crâne du jeune chimpanzé est aussi globuleux, ovoïde. Notre cerveau se développe plus lentement ; il devient plus gros.
• Notre face est droite de profil ; les mâchoires et les dents ont des dimensions réduites. La face des Singes nouveaux-nés est aussi peu saillante ; leurs dents de lait ressemblent aux dents définitives des Hommes. Les arcades soucilières des jeunes Singes sont plates. Les Singes adultes ont au contraire un museau saillant et des arcades sourcillières marquées.
• Le trou occipital [foramen magnum) de l’embryon de tous les Mammifères est, comme le nôtre, situé à la base du crâne, dirigé vers le bas et repose sur la colonne vertébrale. Chez les Mammifères, pendant le développement embryonnaire, il s’oriente vers l’arrière du crâne, ce qui convient à la vie à quatre pattes puisque la tête se trouve en avant des vertèbres. Au cours de la croissance du Singe, le trou occipital se déplace aussi vers l’arrière.
• La fermeture tardive des sutures crâniennes (fontanelles) est aussi particulière au crâne humain. Le cerveau peut ainsi poursuivre son développement post-natal. Chez les autres Mammifères, au contraire, le crâne est plus vite ossifié ; leur cerveau est complet à la naissance ; c’est le cas du jeune Singe dont la fontanelle se ferme très tôt et le crâne augmente assez peu de volume après la naissance.
• Notre gros orteil est non opposable. Chez la plupart des Primates, bien que lié aux autres comme le nôtre, il s’oppose à eux pour effectuer une préhension.
En conclusion, le chimpanzé jeune est humanoïde ; les traits simiesques (crâne, face) apparaissent avec l’âge. L’homme est un chimpanzé néogothique. L’homme adulte, capable de se reproduire, a des points communs avec le chimpanzé embryonnaire, comme s’il s’était arrêté au stade embryonnaire, alors que le Singe a continué à évoluer.
Si l’évolution du crâne humain est ralentie, celle du bassin humain serait au contraire accélérée en raison de la bipédie apparue plutôt au cours de la croissance chez l’Homme.
La néoténie s’oppose en somme à la théorie de la récapitulation de Huxley : l’ontogénèse est le reflet de la phylogénèse, puisqu’elle suppose une accélération et non un ralentissement comme la néoténie. On ne peut pas nier que le ralentissement soit un des éléments de base de l’évolution humaine. Le Primate se développe plus lentement que les autres Mammifères, les Singes plus lentement, et l’Homme plus encore : gestation plus longue, ossification ralentie, dentition plus tardive, croissance plus longue, maturité sexuelle plus tardive. L’Homme a l’enfance, la jeunesse la plus prolongée qui le rend plus capable d’adaptation. Quand les macaques naissent à vingt-quatre semaines (et non trente-six), les os des membres sont ossifiés dans des proportions que les bébés humains n’atteignent que plusieurs années après la naissance. Chez beaucoup de Mammifères, le cerveau est pour l’essentiel complètement formé quand ils naissent ; chez le nouveau-né humain, il ne représente que le quart de son volume définitif. Il n’atteint qu’à 6 mois celui du nouveau-né chimpanzé, ce qui correspond au temps auquel l’Homme devrait naître si sa gestation représentait la même part du développement et de la longévité des Singes…Philippe Lazar1 insiste sur la question. D’après lui, dans l’espèce humaine, la taille du bassin limite le volume crânien à la naissance. Cette limitation évoque l’aboutissement d’un processus évolutif. Dans cette perspective, la naissance prématurée ne peut que faciliter l’expression d’une tendance à l’accroissement de volume cérébral. La station debout est un des facteurs qui, au cours de la gestation, augmentent singulièrement le risque de naissance prématurée ; elle est interdite à celles qui en sont menacées. On peut donc penser que, au moins à un stade tardif de l’évolution, la station debout a favorisé la croissance cérébrale en évitant, par le biais de la prématurité, la contre-sélection des foetus à volume crânien trop important.
L’examen de la croissance intra-utérine permet, par ailleurs, de mettre en évidence deux droites distinctes d’allométrie entre le diamètre bipariétal et la taille du fœtus humain : la croissance cérébrale relative est nettement ralentie à partir de la 32e semaine d’aménhorrée. Cependant, les enfants naissant avant cette date poursuivent leur croissance cérébrale rapide au- delà de la 32e semaine ; la grande prématurité apparaît ainsi comme un facteur de sur croissance cérébrale.
Les deux arguments viennent l’un et l’autre à l’appui d’un enchaînement causal entre la station debout, la prématurité et le volume cérébral.
Expulsé hors du bassin alors qu’il n’a pas fini sa maturation, le cerveau est plus à l’aise pour augmenter son volume ; il pèse déjà un kilo chez l’enfant de 4 ans. Seul un changement de la morphologie du bassin féminin permettrait un accroissement du cerveau.
Les bébés humains naissent plus tôt qu’ils ne devraient ; ce qui a pour conséquence qu’ils conservent des particularités embryonnaires. Pourquoi la gestation n’a pas été prolongée chez l’Homme dans les mêmes proportions que son développement… ? Il est difficile de penser que cela puisse être afin que le nouveau-né soit plus tôt dans un environnement riche en stimulation, et non plus dans l’obscurité du ventre maternel. Une gestation plus longue aboutirait à un plus grand volume cérébral à la naissance ?
Le jeune chimpanzé plus que l’adulte ressemble à l’Homme et semble le préfigurer, on peut se demander si le fœtus humain n’est pas l’image de Homme futur qui aurait un cerveau plus volumineux : le cerveau du nouveau-né représente 10 % du poids du corps (350 g pour 3,5 kg) alors que celui de l’adulte est égal à 50 % (1,5 pour 70 kg ).