La rente pétrolière et le sur plus pétrolier mondial
Les pays exportateurs de pétrole sont souvent assimilés à des États rentiers, dans la mesure où leurs économies sont fortement dépendantes de ces flux de revenus externes générés par l’industrie pétrolière. Avant d’analyser l’impact de ces recettes sur les économies, il est nécessaire de revenir sur le concept théorique de la rente et d’analyser les différents types de rentes spécifiques à l’industrie pétrolière.
Les théories de la rente économique
La théorie de la rente est généralement associée à Ricardo (1821), qui considérait la rente comme un don du ciel, compte tenu de la rareté et de la qualité différentielle de la terre. Le concept de la rente foncière fait référence à l’hétérogénéité des terres cultivées. La rente foncière est pour Ricardo, « la somme que le fermier devrait payer au propriétaire pour le droit d’explorer les facultés primitives et indestructibles du sol ». La rente ne résulte pas d’une activité productive, mais découle des droits de propriété limitant l’accès à la terre ou à des gisements miniers. La culture de la terre la moins fertile disposant des :goûts de production les plus élevés génère une rente différentielle jour les terres les plus fertiles.
Dans un article publié en 1931, Hotelling démontre que dans le secteur minier, en plus du coût de production, les firmes doivent supporter un coût d’opportunité. Ce coût représente la valeur actualisée nette lu profit marginal à chaque moment de la période d’extraction, pour me exploitation optimale 6 d’une ressource épuisable. Par conséquent, me firme décidera de produire seulement si le prix de marché est sufisamment élevé pour couvrir le coût d’opportunité (soit la Valeur Actualisée Nette) (Otto etal., 2006).
Il s’agit d’un arbitrage entre l ‘extraction et la vente de la ressource aujourd’hui, contre la perte future du revenu qui aurait pu être tiré de la ressource si elle n’avait pas été extraite. Ce coût d’opportunité identifié par Hotelling est souvent désigné comme la rente d’Hotelling ou la rente de rareté. Le prix des ressources naturelles produites doit donc être supérieur à leur coût marginal et comporter une rente de rareté (Faucheux et Noël, 1995).
Hugon (2006) assimile la rente à l’obtention de revenus sans contribution à la production de biens et services supplémentaires. Une économie rentière peut se reproduire sans accumulation. « La rente peut être prélevée sur les produits du sol et du sous-sol (rente agricole, minière et pétrolière) ; elle résulte également de l’extérieur (aide, prélèvements sur les relations extérieures). » La rente peut être issue de positions de monopole et de pouvoir, permettant des transferts de revenus d’une classe à une autre (telles que les rentes de situation des bureaucrates ou des firmes). Enfin, la rente peut être un flux de revenus provoqué artificiellement par l’Etat au bénéfice d’agents privés ou publics individuels les plus élevés, ce qui entraîne l’apparition d’une rente différentielle pour les autres producteurs.
Les rentes minières représentent la majeure partie des rentes différentielles. Il s’agit de la différence entre les coûts d’extraction dans deux gisements différents nécessaires à un marché de consommation donné. Hormis ces rentes minières, les rentes différentielles peuvent être liées aux caractéristiques de la ressource naturelle. Les rentes différentielles peuvent également être des rentes de qualité, de position et de technologie (Chevalier, 1973) :
— Une rente de qualité, liée à la composition physico-chimique du pétrole brut extrait (sa densité, son degré de gravité API 7 et sa teneur en soufre).
— Une rente de position, déterminée par le coût de transport. La proximité du marché de consommation confère une rente de position au gisement.
— Une rente technologique qui s’explique par l’hétérogénéité de l’appareil productif aux niveaux du transport, raffinage et distribution.
Le graphique ci-dessous représente la rente minière totale mondiale de plusieurs matières premières, selon des données de la Banque Mondiale.
Les prix du pétrole ont atteint 43 dollars en 2004, 69 dollars en 2006 et 97 dollars en 2008 (en dollars constants 2009), soit une augmentation de 126 % entre 2004 et 2008. Cette hausse a un impact direct sur le montant des rentes générées par cette industrie. La rente minière s’est élevée à 823 milliards de dollars en 2004 et 2245 milliards de dollars en 2008. Ces montants dépassent largement les rentes de gaz et de charbon qui ont atteint respectivement 943 milliards de dollars et 627 milliards de dollars en 2008. La somme des rentes minières générées par l’ensemble des autres ressources naturelles a représenté 452 milliards de dollars.
Cette rente élevée dans l’industrie pétrolière provient d’une part, iu fait que le coût de production est particulièrement faible par rapport au prix et d’autre part, de l’ampleur de la différence entre le coût de production le plus bas et le coût le plus élevé. La grande diversité des coûts permet la formation d’une rente différentielle pour les compagnies qui exploitent les meilleurs gisements. Dans certains cas au Moyen-Orient, les rentes minières représentent souvent 3 à 5 fois les coûts de production. Dans le cas de gisements gaziers similaires, les rentes peuvent varier de 33 % à 100 % des coûts de production (Bauquis, 2005).
Hormis la rente différentielle, l’industrie pétrolière revêt également une rente de monopole qui apparaît lorsque la production de la ressource est restreinte de manière artificielle. Cette rente recouvre ‘.’excédent du taux de profit réalisé dans l’industrie pétrolière sur le :aux de profit réalisé dans les autres industries. Deux facteurs majeurs sont à l’origine de l’apparition de ces rentes de monopole sur le marché pétrolier : les barrières à l’entrée et la propriété de non substituabilité de certains produits pétroliers.
Les rentes de monopole sont d’abord perçues par les pays producteurs, plus précisément par les membres de l’OPEP, dans la mesure où ils disposent des coûts de production les plus faibles. Grâce à leur capacité de production résiduelle, ces pays bénéficient d’un pouvoir de marché qui leur permet de percevoir une rente de monopole, en maintenant artificiellement les prix au-dessus d’un prix plancher. Après l’effondrement des prix en 1998, les pays membres de l’OPEP, plus particulièrement l’Arabie Saoudite, ont décidé de réduire leur production et de maintenir le prix du baril à « un prix politique », entre 22 et 28 dollars. Cette fourchette de prix a même résisté aux événements géopolitiques de 2003 qui ont profondément ébranlé la production pétrolière avec le déclenchement de la crise politique au Venezuela, les troubles sociaux au Nigeria et la guerre en Irak. Durant cette année, l’Arabie Saoudite, avec l’aide du Koweït et des Emirats, ont été en mesure de compenser les barils manquants. La production saoudienne est alors passée de 9 à 10,2 millions de barils par jour entre 2002 et 2003.
Entre 2004 et 2008, la capacité de production résiduelle de l’OPEP a été relativement faible (entre 1 et 2 millions de barils par jour). Durant cette période, l’OPEP, plus particulièrement l’Arabie Saoudite, ne disposait plus de la capacité de production nécessaire pour infléchir la hausse des cours. Depuis la crise financière mondiale et la chute des cours en 2009, la capacité de production résiduelle de l’OPEP a retrouvé les niveaux élevés de 2001 (entre 5 et 6 millions de barils par jour) 8.
Il est important de souligner que l’industrie pétrolière fonctionne à l’inverse de la logique Ricardienne, dans la mesure où les pays producteurs à faibles coûts (les pays membres de l’OPEP) restreignent leur production, de manière structurelle et conjoncturelle, pour maintenir les prix à un niveau plus élevé que celui qui aurait découlé dans un marché parfait.
Les gouvernements des pays consommateurs prélèvent également une rente de monopole, par le biais de la taxation domestique de la demande finale de produits pétroliers (essence et diesel). L’ampleur de la rente dépend de l’élasticité prix de la demande ainsi que des possibilités de substitution des carburants (biocarburants). Ces taxes représentent plus de 50 % du prix du baril composite dans certains pays européens.
La somme de toutes ces rentes (rentes différentielles et rentes de monopole) représente ainsi le surplus pétrolier mondial. Ce surplus peut être également défini comme la différence entre le prix de valorisation d’une tonne de brut (toutes taxes comprises), vendue aux consommateurs sous forme de produits raffinés, et le coût moyen total supporté pour extraire, transporter, raffiner et distribuer cette même tonne de brut. Selon nos estimations9, en 2004, le chiffre d’affaires pétrolier mondial s’est élevé à 2 525 milliards de dollars, avec des coûts totaux (pour la production, le transport, le raffinage et la distribution) de l’ordre de 545 milliards de dollars. Le surplus pétrolier mondial a atteint 1 980 milliards de dollars, avec 59 % perçu par les pays consommateurs par le biais de la taxation des produits pétroliers. 35 % pour les gouvernements des pays producteurs grâce aux prélèvements fiscaux au cours du processus de production et enfin, 7 % est réservé aux compagnies pétrolières opérant tout au long de la chaîne (à travers leurs marges industrielles).
L’analyse de la répartition du surplus pétrolier révèle que le pétrole est une énergie éminemment politique. Près de 93 % du surplus généré par la production et par le commerce de produits pétroliers est principalement contrôlé par des gouvernements et non par des acteurs javés. La rente des pays producteurs de pétrole leur confère certes un pouvoir financier considérable et une position stratégique forte sur la lente internationale. Cette rente demeure toutefois une source de vulnérabilité, dans la mesure où ces économies sont totalement tributai- » de ces ressources et sont soumises à la volatilité du marché pétrolier.
Vidéo: La rente pétrolière et le sur plus pétrolier mondial
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