La variabilité des lits fluviaux
Les styles géomorphologiques![La variabilité des lits fluviaux](https://cdn.savoir.fr/wp-content/uploads/2012/03/La-variabilit%C3%A9-des-lits-fluviaux.jpg)
Les lits mobiles présentent une morphologie très diversifiée, chenaux rectilignes ou sinueux, uniques ou multiples. Ils ont fait 1 objet d une classification basée sur la combinaison de deux paramètres, la sinuosité et le nombre de chenaux composant le lit mineur. Les rivières à lit unique rectiligne sont distinguées des rivières à méandres (lit unique sinueux) par un indice de sinuosité (rapport de la longueur du chenal entre deux points sur la longueur en ligne droite entre ces mêmes points) fixé arbitrairement à 1,5. Les rivières en tresses sont formées de plusieurs chenaux dont la multiplicité est appréhendée à partir d’un indice de tressage (somme de la longueur des chenaux rapportée à la longueur du tronçon étudié). Une infinité de situations intermédiaires est observée dans la nature. Schumm a proposé un schéma synthétique illustrant l’idée d’un continuum géomorphologique entre ces styles fluviaux dont l’évolution est associée à une série de variables qualitatives .
Comme on peut le constater, l’évolution des styles fluviaux reflète des variations de niveaux d’énergie des cours d’eau (puissance) et d’instabilité des lits (bancs, chenaux…). Le tressage définit par exemple des cours d’eau de haute énergie, associés à une grande mobilité du lit. Néanmoins, l’ajustement régulier de la morphologie de détail du chenal n’affecte pas le style fluvial. C’est la notion d’équilibre dynamique du cours d’eau, oscillant dans ses variations morphologiques autour d’un état moyen qui se perpétue.
Les débits les plus efficaces pour le façonnement du lit fluvial sont qualifiés de débits dominants ou morphogènes. Sur les rivières de plaine, ils correspondent approximativement au débit à pleins bords, valeur du débit précédant le débordement par-des- sus les berges, dont la récurrence est d’ordre annuel (crue annuelle). Si les grandes crues ont un potentiel très supérieur, elles présentent un caractère épisodique (faible récurrence) qui limite considérablement leur portée en termes de bilan moyen annuel.
A l’échelle du bassin versant, le continuum géomorphologique s’exprime librement, par la succession amont-aval, des styles fluviaux selon un gradient d’énergie décroissant avec la pente. Il permet de distinguer quatre grands types de cours d’eau , les torrents, les cours d’eau en tresses, les cours d’eau à méandres, les rivières à lit peu mobile qu’elles soient à chenal rectiligne ou à chenaux multiples (Gilvear et Bravard, 1993). Cette continuité n’est pas toujours respectée. Un affluent délivrant une charge plus grossière que le cours d’eau principal peut engendrer plus en aval un changement de style fluvial adapté aux nouvelles conditions de débit et de charge sédimentaire. C’est le cas par exemple de l’Ain, qui a imprimé au Rhône un style fluvial à tresses en aval de sa confluence, alors que le fleuve présente plus en amont un style rectiligne associé au transport dominant d’une charge en suspension.
Le torrent est un petit organisme fluvial spécifique des régions de montagne. Il s’inscrit dans des bassins versants de petite taille, sous la forme d’un chenal relativement stable très influencé par la dynamique des versants très proches. Il présente une morphologie et une dynamique spécifiques qui le distinguent aisément des cours d’eau à caractère montagnard. Les pentes sont fortes et le profil en long relativement accidenté en marches d’escalier. Les ruptures de pente sont fréquentes, en raison de la proximité du substrat rocheux ou de l’existence de blocs décamétriques encombrant le lit.
Les lits torrentiels sont caractérisés par la présence d’une charge sédimentaire hétérogène s’expliquant par la proximité des versants. Les blocs rocheux peu mobilisables stabilisent le profil en long en constituant des niveaux de base locaux. Ils sont recouverts ou contournés par une charge sédimentaire abondante et directement mobilisable en période de crues. Cette charge s’étale sous la forme de plages d’atter- rissement où s’opèrent les processus de stockage-déstockage des sédiments. On parle de secteurs de respiration du torrent qui ajuste son énergie par le transfert ou le dépôt des alluvions.
L’autre spécificité du torrent est de répondre à une hydrologie très contrastée, avec des écoulements faibles ou inexistants en période de rétention nivale et des crues brusques et importantes lors du redoux printanier et des orages estivaux. De ce fait, le mode de transport généralement observé est le charriage de cette charge de fond grossière et abondante.
Les laves torrentielles constituent un autre mode de transport épisodique qui affecte certains torrents. C’est un mélange d’eau et de sédiments (50 à 80% du volume total) qui détermine un fluide de forte densité (1,5 à 2,4 g/cm3) dévalant rapidement les pentes. La densité du mélange confère à la lave une capacité de transport considérable, pouvant déplacer des blocs rocheux d’ordre métrique. C’est un phénomène imprévisible et irrégulier déclenché par de violents orages. En aval, la jonction avec la vallée s’opère par une forte diminution des pentes amenant le dépôt de la charge sédimentaire sous l’aspect d’un cône de déjection en forme d’éventail.
Le tressage s’observe sur des cours d’eau de rang moyen et supérieur. Il est l’expression d’une dynamique à « haute énergie » engendrée par un régime hydrologique contrasté, d’importants pics de crue favorisant des transferts massifs de sédiments. Ce style fluvial suppose encore l’existence d’une charge solide abondante et de granulo- métrie plutôt grossière. C’est pourquoi les cours d’eau à tresses apparaissent dans des régions très productives en matériaux issus de l’érosion mécanique, tels les hautes latitudes, les zones arides ou les secteurs de montagne et de piémont. Le transfert de la charge nécessite généralement des pentes fortes, d’autant plus élevées que la taille des particules à évacuer est importante.
Les cours d’eau tressés sont caractérisés par des chenaux larges, peu sinueux et de faible profondeur. Ils enserrent des bancs sableux et caillouteux très mobiles. L’instabilité latérale est importante en raison de la faible cohésion des alluvions. Cette zone de très forte instabilité, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de largeur, constitue la bande active de la rivière. C’est la zone de remobilisation et de transit de la charge de fond, illustrés par la migration des bancs vers l’aval. En retrait de cette zone de forte activité dynamique, des bancs latéraux ou des niveaux de très basse terrasse peuvent échapper à l’action immédiate des courants de crue. Les dépôts fins d’inondation les exhaussent et la ripisylve (forêt riveraine) s’y installe. Ce sont les marges végétalisées, plus durables, mais qui ne sont pas à l’abri des remaniements.
Le style fluvial à méandres apparaît comme le modèle géomorphologique le plus répandu. Il est généralement associé à des milieux de moindre énergie que les précédents et s’épanouit dans les sections aval des bassins versants aux reliefs moins prononcés. Il recouvre une grande diversité de formes que l’on regroupe en deux catégories : les méandres encaissés, contrôlés par la structure et incisés dans un substratum cohérent (plateau), et les méandres libres qui divaguent sans contrainte majeure à la surface de la plaine alluviale.
Le méandrage correspond à une forme de dissipation de lenergie du cours d’eau, qui s’exprime par un allongement du tracé conduisant à une diminution de la pente. Il se caractérise par la migration latérale d’un chenal unique et dissymétrique. Les flux principaux se fixent contre la berge concave et l’érodent tout en surcreusant le fond du chenal. Le ralentissement des écoulements, conjugué à l’action de courants transversaux, provoque le dépôt de la charge de fond sur la berge interne du chenal et construit le banc de convexité. Les mouilles se disposent ainsi le long des concavités, en alternance avec les seuils qui occupent les zones intermédiaires d’inflexion, dans le prolongement des bancs de convexité.
Le débit détermine le gabarit du cours d’eau (largeur/profondeur) et la charge sédimentaire en transit, comprise comme le rapport de la charge de fond sur la charge solide totale, détermine l’importance de la sinuosité. A débit égal, une faible fourniture en sédiments grossiers favorisera une forte sinuosité (faible longueur d’onde) et réciproquement.
Les trains de méandres, associant plusieurs sinuosités, migrent latéralement et en direction de l’aval. Des recoupements de boucles se produisent régulièrement lors des crues morphogènes selon des processus commandés par le niveau d’énergie du cours d’eau. Les bras morts’issus des recoupements sont parfois conservés à la surface de la plaine alluviale. Ils offrent une gamme très diversifiée de formes héritées, ennoyés par l’eau de la nappe phréatique, et plus ou moins comblés par les limons d’inondation.
L’anastomose est un style fluvial qui présente une morphologie proche du tressage, mais elle indique une dynamique très différente l’associant à des environnements de faible énergie et d’alluvionnement fin. Le cours d’eau est divisé en plusieurs branches sinueuses et étroites enserrant des îles végétalisées. Les pentes sont faibles et la charge sédimentaire plutôt fine favorise la stabilité des formes, contrastant avec la mobilité d’un cours d’eau en tresses. Ce style fluvial s’observe dans différents contextes morphoclimatiques, en milieu tropical humide, mais aussi en milieu tempéré océanique (Bravard et Petit, 1997).
Les plaines alluviales
Occupant les fonds de vallée, les plaines alluviales correspondent à l’espace construit par le cours d’eau, à l’échelle des temps géologiques. Elles se développent lorsque les vallées s’élargissent, au débouché des secteurs de montagne, et s’épanouissent à l’aval des bassins versants. Ce sont des zones d’accumulation des sédiments que l’on appréhende sur le long terme. Le cours d’eau puise régulièrement dans ce stock sédimentaire au gré de sa dynamique.
Ce processus permanent d’érosion-accumulation assure, sur les cours d’eau de plaine, une certaine continuité dans l’alimentation de la charge solide qui tranche avec l’irrégularité des transferts de charge telle qu’on peut l’observer dans les secteurs montagnards. Les sédiments piégés dans les fonds de vallée ont un temps de résidence (avant remise en mouvement) élevé pouvant atteindre plusieurs millénaires.
Une plaine alluviale recouvre classiquement deux unités géomorphologiques, le lit fluvial (lit mineur) et la plaine d’inondation (lit majeur), qui sont définies par les variations du débit (fig. 50). On a vu que le lit fluvial peut se présenter sous la forme d’un chenal unique bien circonscrit, mais aussi correspondre à l’espace moins précis couvert par plusieurs chenaux entrelacés, dans le cas d’un cours d’eau tressé. La plaine d’inondation, assimilée au lit majeur des hydrologues, délimite l’espace inondé lors des plus forts débits.
La plaine alluviale représente un espace composite qui juxtapose toutes les formes mises en place par le cours d’eau et abandonnées ou partiellement remaniées au gré de sa dynamique. Les inondations modèlent, au-delà des berges, l’espace de la plaine par le dépôt des matières en suspension contenues dans les eaux de débordement. L’épaisseur de la lame d’eau débordante, les vitesses d’écoulement ainsi que la rugosité de surface (végétation, irrégularité topographique) déterminent les modalités de l’alluvionnement. Un gradient transversal décroissant existe depuis la berge, siège des dépôts les plus importants et les plus grossiers vers l’intérieur de la plaine. Ces dépôts participent, sur les cours d’eau à forte charge en suspension, à l’édification des bourrelets de berge.
L’inondation n’est en réalité pas uniforme car la topographie de la plaine est irrégulière. Les débordements de crue ennoient et colmatent d’abord les secteurs déprimés qui correspondent généralement à d’anciennes zones d’écoulement (chenaux déconnectés), pour des valeurs de débit qui peuvent être inférieures au débit à pleins bords. Lors de la décrue, des sédiments fins sont réexportés vers le lit fluvial, de même que de la matière organique ou des micro-organismes vivants produits dans les bras morts ou sur les marges de la plaine.
L’évolution du contexte morphoclimatique peut entraîner l’ajustement du cours d’eau à de nouvelles conditions de débit et de charge sédimentaire. Son style fluvial peut ainsi évoluer, déterminant une métamorphosefluviale. L’empreinte de styles fluviaux successifs et différents (tressage, méandrage) est parfois conservée à la surface de la plaine d’inondation (fig. 51). Elle permet de reconstituer, souvent imparfaitement, l’histoire d’un fond de vallée à l’échelle des temps géologiques.
La plaine d’inondation est parfois bordée par des terrasses fluviátiles. Ce sont d’anciens niveaux de la plaine alluviale préservés en bordure de vallée et perchés à la suite de l’enfoncement du cours d’eau. Ces terrasses, constituées d’alluvions, se présentent sous la forme de replats topographiques à l’abri des inondations historiques. Les terrasses étagées se disposent en marches d’escalier aménagées sur les versants dans le substratum. Chaque nappe alluviale repose ainsi sur le substrat géologique pour constituer une marche. Ces terrasses s’observent à l’échelle de la vallée dont elles illustrent l’histoire, envisagée sur le long terme (un million d’années pour la Seine). On les distingue des terrasses emboitées dont la dissection reste contenue dans la nappe alluviale occupant le fond de vallée. Elles sont représentatives d’une histoire beaucoup plus courte, inscrite généralement dans les limites de l’Holocène (depuis 10000 ans).
Conclusion
La variabilité des formes de lits fluviaux, qui répond à la fois à celles des débits et de la charge sédimentaire, est donc considérable. Exprimée en termes de stabilité ou d’instabilité du lit fluvial, c’est une notion particulièrement importante à prendre en compte dans tout problème d’aménagement, qu’il s’agisse de questions de génie civil ou de lutte contre les inondations.
Vidéo : La variabilité des lits fluviaux
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