L'eau profonde: la réserve hydrologique
Cette partie de chapitre est consacrée à la zone saturée, évoquée plus haut sous le terme de zone de saturation . L’eau du sous-sol représente 0,6 % des quelque 1350 1015 m3 d’eau de ce que l’on nomme l’hydrosphère, soit l’ensemble des eaux de la planète Terre. C’est pourtant la quasi-totalité (97 %) des réserves liquides d’eau douce de la planète, le quart si l’on tient compte des glaces polaires. En termes de flux, environ le tiers des eaux continentales qui retournent à l’océan provient de la réserve hydrologique (Castany, 1982) ; ce chiffre varie fortement selon les régions en fonction du climat et de la géologie, et il atteint probablement plus des 2/3 en climat océanique.
Pour comprendre comment fonctionne cette réserve hydrologique, nous allons préciser quelques notions d’hydrogéologie afin d’approcher les réserves souterraines à travers la dynamique saisonnière et le bilan des flux.
Notions d’hydrogéologie : aquifères et nappes
L’hydrogéologie est l’approche scientifique des eaux souterraines. Parce qu’elle s’intéresse à une partie du cycle de l’eau, elle requiert en fait des connaissances non seulement en géologie et en hydraulique, mais également en climatologie et en hydrologie de surface. Un premier aspect est abordé ici avec quelques termes de vocabulaire spécifique, définitions et notions de base.
Aquifère
Un milieu souterrain saturé dont l’eau peut s’écouler librement est dit aquifère (du latin, «qui porte l’eau»). Un aquifère se détermine selon trois critères:
– C’est un domaine rocheux, géométriquement défini, localisé dans des couches géologiques sédimentaires, dans des altérations, ou encore des formations superficielles. C’est un réservoir caractérisé non seulement par sa structure interne mais également par la nature de ses limites géologiques.
– Il possède une certaine porosité efficace, ou macroporosité, permettant l’écoulement gravitaire de l’eau : il est perméable. Une roche de porosité totale élevée mais dépourvue de porosité efficace, comme l’argile, n’est pas un aquifère.
– Il est continu : les vides, à l’intérieur du réservoir, communiquent entre eux. Les roches meubles poreuses et les roches compactes à microfissures nombreuses ou fortement fracturées sont des milieux continus ; les roches compactes karstiques ou pourvues de grandes fissures peu nombreuses sont des milieux discontinus. Ce ne sont donc pas des aquifères stricto sensu.
Des aquifères se trouvent donc dans les formations superficielles allochtones (allu- vions, colluvions, limons éoliens…) ou volcaniques (cendres…), dans les formations géologiques sédimentaires meubles (sables siliceux, argiles et marnes…) et dans les manteaux d’altération recouvrant des roches cohérentes, perméables ou non.
Le volume d’eau contenu dans la zone saturée d’un aquifere est appelé nappe. On distingue nappes libres et nappes captives, en fonction de leur degré de confinement.
Nappe libre
Une nappe est dite libre si la limite supérieure de la zone saturée, appelée surface de la nappe et parfois toit de la nappe, peut varier librement au sein de la formation hydrogéologique, en fonction des apports, l’infiltration notamment, et des écoulements (on parle du «battement» de la nappe pour désigner ces variations de niveau). Une nappe phréatique (du grec «phrear», puitf) est une nappe libre assez proche de la surface pour être facilement accessible aux activités humaines.
La limite supérieure de la zone saturée dans le sol se situe sensiblement au-dessus du niveau de l’eau qui s’établit dans un puits non sollicité : le niveau de l’eau dans le puits marque la surface libre de la nappe libre (eau gravitaire), à partir de laquelle se développe, dans le sol, la frange capillaire. Au niveau de la surface libre d’une nappe libre, par définition, la pression de l’eau est nulle (c’est-à-dire que la pression y est égale à la pression atmosphérique) ; au-dessus de la surface libre, dans la frange capillaire où l’eau est soumise aux forces de tension superficielle, la pression décroît, devient une succion (ou pression négative, donc inférieure à la pression atmosphérique, ce qui explique la remontée de l’eau) ; au-dessous, au contraire, la pression de l’eau croît linéairement avec la profondeur (la pression de l’eau en un point, ou pression hydrostatique, est exprimée par la hauteur de la colonne d’eau au-dessus de ce point).
Charge hydraulique et piézométrie
De par son altitude (compte tenu de la force de la pesanteur), de par la pression à laquelle elle est soumise et de par le mouvement qui l’anime, l’eau est en capacité de fournir un travail ou énergie : la charge hydraulique est une mesure de cette énergie potentielle de l’eau. En un point d’un volume d’eau, cette charge hydraulique (ou simplement charge) se compose de l’altitude du point (en mètres) et de la hauteur de la colonne d’eau au-dessus de ce point exprimant la pression de l’eau (ou pression hydrostatique, en mètres aussi), qui se note h. Si le liquide est en mouvement ü s y ajoute un terme de pression dynamique (c’est-à-dire d’énergie cinetique, en fait 1 «élan») mais, dans les nappes, en pratique, ce terme est négligeable du fait des vitesses d écoulement faibles.
On peut facilement matérialiser la charge en un point d un volume d eau en y plaçant l’embout d’un tuyau dont l’autre extrémité dépasse de la surface de 1 eau: 1 altitude à la laquelle remonte et se stabilise le niveau de l’eau dans le tuyau donne la charge hydraulique en ce point . Dans un volume d‘eau au repos (c est- à-dire soumis seulement à la gravité), elle est identique en tout point et elle est donnee par le niveau de la surface de l’eau. Si le volume d’eau est animé d’un déplacement, a charge diminue dans le sens de l’écoulement (Théorème de Bernoulli).
Dans le cas des nappes, la charge hydraulique se confond avec l’altitude de la surface libre observée dans les puits : c’est la cotepiézométrique, nommée ainsi parce qu un puits est en fait un piézomètre (il « mesure la pression» de l’eau) ; dans le cas de piezo- mètres constitués d’un tube à parois étanches, la hauteur de la colonne d eau donne la pression de l’eau régnant précisément au pied du tube .
La surface piézométrique est l’ensemble des cotes piézométnques d une nappe a un instant donné. Dans une nappe au repos, la charge hydraulique est constante et la surface piézométrique est horizontale. Dans une nappe en mouvement, l’abaissement de la charge hydraulique dans le sens de l’écoulement incline la surface piézométrique dans le même sens: la carte piézométrique est une représentation cartographique en plan de celle-ci, à l’aide de lignes d’égale altitude (des courbes de niveau piézométriques, d’équidistance 1 m, 5 m ou 10 m selon l’échelle) appelées hydroisohypses (prononcer « hydro-isohypse ») ou encore lignes équipotentlelles. Les lignes équipotentielles sont la partie visible en plan des surfaces composées de tous les points ayant la même charge au sein de la nappe. Ces surfaces équipotentielles sont perpendiculaires aux directions d’écoulement et donc, en général, pratiquement verticales.
Entre deux points de la nappe, dans le sens de l’écoulement, la variation de la charge hydraulique (Ah) est appelée perte en charge ; le gradient hydraulique ou gradient de charge est la perte de charge par unité de longueur (Ah/L). Le gradient hydraulique est un nombre sans dimension qui, en pratique, correspond à la pente (i) de la surface piézométrique.
Nappe captive
Lorsqu’un aquifère se trouve sous couverture d’un niveau à porosité efficace très réduite ou nulle, le niveau de la nappe ne peut battre qu’entre la formation géologique sous-jacente à l’aquifère, appelée le substratum (ou aussi le mur) et son toit (sa limite supérieure étanche). La nappe est dite captive si la charge hydraulique de l’eau (ou cote piézométrique) est supérieure à la cote du toit de la nappe : la totalité de la puissance de l’aquifère (puissance est le terme précis pour évoquer l’épaisseur de l’aquifère) est alors saturée et l’eau contenue est comprimée à une pression supérieure à la pression atmosphérique. Quand on fore un puits pour atteindre ce type d’aquifère, l’eau remonte brusquement dans l’ouvrage au moment où l’on crève le toit imperméable. La pression peut même être suffisante pour faire jaillir l’eau au-dessus de la surface du sol, si la cote piézométrique est supérieure à la cote topographique : le forage est alors dit artésien, en référence aux puits exploitant la nappe de la craie dans l’Artois et la nappe captive artésienne; c’est l’artésianisme.
Le volume des nappes
Le volume d’une nappe (qu’on ne doit pas confondre avec le volume de l’aquifère) est la quantité totale d’eau qui pourrait être extraite par écoulement gravitaire ou pompage de l’aquifère. On peut évaluer le volume d’une nappe en multipliant le volume saturé d’un aquifère par la porosité efficace .
Lorsqu’on pompe dans une nappe libre, le prélèvement provoque la baisse du niveau piézométrique et l’on déduit directement de cette baisse et du volume prélevé ce que l’on nomme le coefficient d’emmagasinement (sans dimension, noté S). En nappe libre, ce coefficient d’emmagasinement correspond donc à la porosité efficace, dont les valeurs sont le plus souvent comprises entre 10″2 et 101.
En aquifère captif, rien de tel ne se produit : les prélèvements n’engendrent pas une baisse locale des niveaux piézométriques, du fait que ceux-ci sont commandés par les altitudes de la zone d’alimentation (à condition qu’ils restent supérieurs au toit de la nappe, sinon l’aquifère, dénoyé, redevient libre). La baisse de la piézométrie (baisse de pression) dans l’aquifère captif se traduit par une détente des terrains et de l’eau et, partant, par la libération d’un certain volume d’eau par volume d’aqui- fère : le coefficient d’emmagasinement en aquifère captif, qui exprime cette productivité de décompression, est ainsi 1000 à 10000 fois inférieur à la porosité efficace (S de l’ordre de 10′4 à 10′6). L’exploitation trop importante d’un aquifère captif peut causer, du fait de la baisse de pression qu’elle entraîne, des tassements importants, provoquant un affaissement de la surface du sol : c’est, par exemple, ce qui explique en partie la «montée des eaux» à Venise, ou encore l’enfoncement de villes comme Mexico.
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