Les architectes des formes: le slip naturel
Revenons à des histoires d’ordre et de désordre vues du côté des anarchistes. Dans le film de Tati, Mon oncle, il y a une scène hilarante où « mon oncle » (M. Hulot) casse les branches qui poussent le long des espaliers de la maison de son beau-frère. C’est au cours d’un cocktail mémorable, où la voisine est prise pour une marchande de tapis par la maîtresse de maison. Ayant cassé un certain nombre de branches, « mon oncle » revient la nuit pour en casser d’autres, de façon à redonner à l’ensemble un aspect symétrique. Il y a en quelque sorte un vrai architecte, celui qui a construit le décor et la maison géométrique qui semblent tant plaire à la sœur et au beau-frère de Hulot. À cet architecte répond un autre plus facétieux (Hulot) qui met la pagaille dans les plantations. Un peu honteux il finit nuitamment par leur redonner, après de nombreuses approximations, un aspect présentable. Si donc l’atome est l’architecte pompier du flocon de neige (on peut le trouver un peu raide sur les bords), qui est le M. Hulot qui essaie tant bien que mal de redonner un peu d’ordre aux organes ou aux végétaux ? Il y a en fait plusieurs complices, qui travaillent au même ouvrage. Tout d’abord, il y a le « maillot de bain ». Pour un peu, c’est M. Hulot, mais en vacances. Cet effet maillot de bain tient au caractère entoilé des tissus vivants. Ce qui impose la régularité des branchements végétaux ou animaux, c’est le caractère fibré des intersections, qui induit des forces poussant à la symétrie. Les branchements sont caractérisés par la présence d’anneaux qui font le tour des branches et les enserrent à la manière d’un slip, d’un string, d’un maillot de bain.
Pour reconnaître le maillot, il faut regarder l’intersection comme la limite entre un tronc et deux jambes. On reconnaît alors facilement une structure en slip du tissu vivant. Comme serrée par l’élasthane d’un maillot de compétition, la structure même de chaque tuyau est stabilisée, alignée, raccordée aux autres par la mécanique du tissu. Il faut noter que, en réalité, la toile du vivant est fibrée dans deux directions, c’est vrai des végétaux comme des animaux, et même de bestioles moins fréquentées, comme les éponges. On s’explique donc que les branches naturelles aient des formes de tuyaux assez raides, avec des raccords faisant des angles précis.
Il en va ainsi dans les végétaux, dont les nervures sont rigides et droites (la fibre de bois étant très solide), il en va de même des branches des organes et des vaisseaux, quoique avec un peu plus de souplesse. Ainsi l’ordre cristallographique des atomes induit des angles précis dans les cristaux, et l’ordre orientationnel des cellules induit des angles précis dans les tissus vivants.
On ne s’étonne pas alors que les reins cultivés in vitro, en boîte de Pétri, mais sans leurs fibres, aient une forme aléatoire, branchant un peu , à gauche, alors que le rein naturel présente des branches assez régulières. C’est une des explications de la « stéréotypie », observée en biologie-médecine. Les branchements dichotomiques sont rapidement rearrangés, stabilisés pour atteindre une forme bien régulière, comme là trachée des poumons de la gravure de Gray.
On trouve des phénomènes similaires dans les vaisseaux sanguins, dont la tuyauterie est arrangée aux angles par les fibres, mais aussi, sous l’effet de 1 écoulement, qui joue un rôle régularisateur. L’explication que nous venons de donner semble naturelle, pour une intersection de trois tuyaux, mais comment faire le parallèle avec le flocon de neige, puisque les branches du flocon de neige se forment par croissance d une pointe ?