Les carottes ne sont pas des sphères: dessine-moi un oignon
Pourquoi les oignons ne sont-ils pas sphériques ?
J’ignore si les biologistes, les botanistes en particulier, se sont jamais posé cette question. La forme générale des legumes n est pas tellement un sujet de recherche pour les botanistes. Les botanistes s’intéressent plutôt à des problèmes de lutte contre différentes vermines, à des problèmes de rendement des cultures, ou de résistances au froid, aux pesticides et herbicides, etc. Ce n’est que depuis peu qu ils se sont intéressé à la question de la morphogenèse des plantes, dans le but d’augmenter la fructification, par exemple. Si on pouvait remplacer un certain nombre de branches portant des feuilles par des branches portant des fruits (grain, épi…), on augmenterait évidemment les rendements Pour cela, il faut bien comprendre ce qui distingue la formation d une feuille de la formation d’une fleur puis d’un fruit (grain, épi…). Encore faut-il ajouter que cet intérêt passe essentiellement par le truchement de la génétique, et qu’il concerne surtout des chercheurs étrangers, si les quelques collègues français, de l’INRA en particulier, qui étudient cette question veulent bien me pardonner. Pour me couvrir, je citerai simplement un rapport récent de Une Académie des sciences, qui considérait qu’il n’y avait en France pas plus de cinq personnes s’intéressant sérieusement à la question de la morphogenèse des plantes. J’aimerais bien rencontrer les quatre autres. J ai décrit ci-dessus la façon dont Haüy a eu l’idée de l’organisation des atomes dans les cristaux. Avec la même maladiesse, il n aurait pu découvrir l’organisation des légumes. Laissons tomber un légume, que se passe-t-il ? Rien. Il fait flop par terre, et puis c’est tout. Recommençons avec un fruit, au pire il éclatera un peu, et du jus s’en écoulera. La matière vivante ne se casse pas en tombant. À la rigueur, un os de jambe se cassera, mais là, justement on revient à quelque chose de cristallisé, de solide, et cela fait toute la différence. Le tissu vivant, visiblement, est un peu mou, relativement souple, et il absorbe volontiers les chocs. On en comprend la raison ; il n’est pas souhaitable pour un être vivant, de se décomposer en petits morceaux à la moindre chute, fussent ces morceaux des modèles îéduits du tout. Ce n est pas ainsi que les êtres vivants se reproduisent. D’ailleurs, n’y pensons même pas : s’il fallait se jeter contre un mur et produire des débris pour se reproduire, la vie aurait beaucoup moins d’intérêt. Le tissu vivant a quelque chose de gélatineux, au sens propre. Il est composé pour les trois quarts d’eau, et les trois quarts du quart restant sont composés d’une gélatine plus ou moins raide. La gélatine du commerce est extraite, pour être exact, des animaux (peau de bœuf, cartilage), ou de certaines algues (depuis l’affaire de la vache folle on cherche à remplacer la gélatine d’origine animale par la gélatine d’origine végétale). L’autre nom de la gélatine, c est le collagène, qu’on retrouve dans toutes sortes de préparations cosmétiques, dans des bonbons, etc. Quand ce n’est pas de la gélatine (collagène), c’est du bois (cellulose, lignine), de 1 ongle (kératine) ou de la carapace d’insecte ou de crustacé (chitine). Ces molécules sont très pioches les unes des autres. Par exemple, la chitine des caiapaces de crabes est très proche de la cellulose du bois, rien d’étonnant à ce qu’on ne mange ni l’un ni l’autre. J’ai expliqué ci-dessus que les cristaux ne sont pas des sphères car les forces de tension qui agissent sur le contour dépendent de l’orientation. La force qui pousse sur le contour par l’intérieur rencontre une résistance qui dépend de l’orientation. Est-ce qu’un mécanisme du même genre pourrait expliquer la forme des oignons, des citrons et autres contours non sphériques en botanique ? Dans les solides cristallins, on trouve des atomes alignés au cordeau, les uns derrière les autres. Rien de tel en botanique. En botanique, l’ordre est un ordre de fibres, attachées les unes aux autres, et formant des anneaux, des boucles, des faisceaux de fibres, comme les anneaux des arbres. Quelle est la caractéristique des légumes ? Ils sont filandreux. On applaudit quand une préparation culinaire parvient à ramollir les fibres et à faire disparaître sous la dent cet aspect des végétaux qui provoque en général une sensation désagréable. Les légumes aussi ont des anneaux, ou bien carrément des couches empilées les unes sur les autres comme des peaux d’oignons, c’est particulièrement vrai des oignons, aurait dit M. de La Palice. Un ordre du même genre est apparent dans les abdomens des insectes, et dans les défenses de toutes sortes d’animaux, comme les dards des arthropodes. Si l’on regarde l’antenne d’un homard, qu’on ne saurait se payer, à la vitrine d’un magasin de luxe, on constatera que cette antenne est faite d’un empilement de disques, qui se rétrécissent régulièrement pour finir en pointe. Un ordre de ce type existe dans certains paniers en osier, ou dans des ronds en raphia, utilisés comme sous-plats ou dessous de bouteille, et qui sont attachés en anneau. À la différence du chapeau du chapitre précédent, il n’est point besoin de couture ici. On roule les cordelettes en cercle, et on les attache les unes aux autres, j’ai fait moi-même un disque en raphia de ce genre, il y a longtemps, pour une fête des mères, bien avant de m’intéresser à ces questions. Or, c’est un fait d’expérience courante qu’un rond en raphia ou un panier est plus raide vers le centre que vers le bord. En fait, dans toutes ces structures faites de fibres et d’anneaux, les fibres convergent vers le « pôle », où les anneaux se rétrécissent. Chacun connaît la distribution en méridien et parallèles des cartes de la Terre, c’est une distribution du même genre qu’adoptent lesfibres dans les fruits et légumes : on le voit immédiatement quand on tranche un oignon (travaux pratiques). Il y a des fibres qui convergent vers les pôles (méridiens), et des fibres attachées dans la direction azimutale, à « latitude » constante (parallèles à l’équateur, si on veut). Ça crève les yeux. Quand on dessine des lignes sur une carte, on ne prétend pas changer la face du monde, c’est juste un dessin. Mais si l’on couche des fibres suivant des méridiens et des parallèles, il y a fort à parier qu’on va changer la face du monde. Pourquoi ? parce que la force de traction de la surface, la petite main (ou la grosse main) dont nous avons parlé plus haut, qui tient ensemble les « choses » dont la surface est constituée, va dépendre du tracé des fibres, puisque ce sont elles qui tiennent (les légumes, en 1 occurrence). Quand on se rapproche du pôle, les fibres sont plus concentrées (effet de convergence des méridiens), et elles sont attachées de façon plus serrée (effet de rétrécissement des parallèles) : résultat, plus on s’approche du pôle, plus c’est raide. À la limite, au bout du bout, c est infiniment raide, car les fibres sont infiniment concentrées, les anneaux très serrés. C’est également probablement pour cette raison que les fruits, les légumes, et les plantes en général sont plus raides vers le « noyau », vers le centre (cf. les carottes, les ananas), dans une région que souvent l’on ne mange pas : c’est trop dur. En tout état de cause, si je veux dessiner la forme d’un oignon, d’un navet, d’un citron, il faut tracer la distribution des petites mains sur la surface, c’est-à-dire, dans le cas des fibres, la concentration en fibres, puis former la construction de la forme. J’ai dit que le ballon de baudruche n’était pas sphérique, car au bout le caoutchouc est plus épais ; les navets ne sont pas sphériques, car au bout les fibres sont plus concentrées. Dans les deux cas, c’est un effet de raidissement : caoutchouc plus épais dans un cas, tissu plus filandreux dans l’autre. Et je vous dessine donc un navet. Cela nous amène à la premièr
e borne ou pierre de touche de notre étude des formes. La différence essentielle entre les formes animées et les formes inanimées peut se résumer à ceci : un cristal d’atomes forme des structures géométriques « cuboïdales », « pyramidales», etc., régulières dans toutes leurs directions, avec des plans et des coins reliant les plans. Un cristal de fibres forme, lui, des structures en fuseau, en navet, en citron, en échalote ou tout ce qu’on voudra, avec des pôles où convergent les fibres On peut représenter tout cela dans un dessin que je souhaite le plus clair possible ; on ne pourrait retenir que cela : des petites boules empilées font des formes cuboidales ; des petites fibres alignées font des formes en fuseau.
Vidéo: Les carottes ne sont pas des sphères: dessine-moi un oignon
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