Les définitions du phénomène social dans les sociétés animales
Un phénomène aux multiples variantes:
il existe dans la biosphère une multitude d’espèces animales : leur nombre dépasse probablement le million et demi, et, selon certains spécialistes, serait bien plus important encore. Beaucoup présentent une phase sociale à un moment quelconque de leur cycle de vie, le phénomène social revêtant des formes extrêmement différentes d’un groupe zoologique à l’autre, mais aussi d’une espèce à l’autre. Certains auteurs vont jusqu’à avancer qu’on dénombre autant de modèles d’organisation sociale que d’espèces grégaires. Fort heureusement, l’existence de similitudes permet de cerner la définition de ce phénomène.
Cependant, aucune théorie universelle de la socialité n’a encore vu le jour. Il est, en effet, très difficile de classer les niveaux de socialité du monde animal puisque tous les degrés intermédiaires entre vie sociale et vie solitaire y sont représentés.
Aux frontières de la socialité:
même espèce ou d’espèces différentes sans qu’il puisse être question de phénomène social. Certaines de ces interactions méritent quelque attention pour bien marquer la frontière du phénomène social.
L’état solitaire:
L’authentique état solitaire se rencontre rarement dans le monde animal et encore ne représente-t-il, dans la plupart des cas, qu’un point situé à l’extrême du spectre très large de la socialité. Ainsi, le rougegorge, solitaire invétéré, est particulièrement jaloux de son territoire où il ne tolère aucun de ses congénères. Mais son état solitaire n’est défini que par le refus des individus de sa propre espèce, puisqu’il accepte parfaitement la présence de tout autre oiseau, même dans une petite cage.
Toutefois, certains animaux manifestent dans de telles situations une véritable répulsion qui peut les mener jusqu’à la phobie et au meurtre (F. Picard, 1933).
Certains solitaires ne le sont qu’en des circonstances bien particulières et redeviennent sociaux dans d’autres. C’est certainement le cas du tigre, qui, dans la nature, ne recherche ses congénères qu’en période de reproduction mais qui, en captivité, par exemple, entretient en permanence avec eux des relations tout à fait sociales. Nous verrons aussi que parmi des animaux zoologiquement très proches, si certains sont totalement solitaires, d’autres, au contraire, sont entièrement socialisés. De tels cas de figure ont été décrits chez des espèces aussi différentes que les abeilles, les araignées ou les hyènes.
Les foules:
La réunion en un lieu d’étendue restreinte offrant une quelconque réponse à des besoins vitaux (eau, obscurité, chaleur, etc.) ne suffit pas pour qualifier de «sociaux» les animaux qui y participent. Plus généralement, on ne peut considérer comme sociaux des animaux réunis en un endroit donné pour des raisons vitales, expérimentales ou accidentelles.
Dès 1929, le biologiste français Étienne Rabaud attirait l’attention sur ce point : en effet, de tels rassemblements d’animaux – et ils sont nombreux – n’ont, malgré les apparences, rien de social ; ainsi des tourbillons de phalènes, ou autres papillons de nuit, qui, en été, se forment autour des lumières, puis se dispersent dès qu’elles s’éteignent. On appelle «foules» ces groupements d’animaux. Les individus n’y exercent aucune influence les uns sur les autres, sauf, toutefois, si la foule est durable ; auquel cas on pourra observer des effets de masse. Ces foules sont le résultat d’une taxie (nommée jadis « tropisme »), c’est-à-dire de l’attraction des animaux vers une source physique ou chimique :
– phototaxie pour la lumière ;
– chimiotaxie pour un corps chimique (nécrophores attirés par un cadavre);
– hygrotaxie pour l’eau ;
– ou encore thermotaxie pour les sources de chaleur (blattes autour d’un fourneau).
Autre exemple, bien connu : celui des Pyrrochoris apterus, petites punaises rouges à points noirs, nommées « suisses » ou « gendarmes », qui se rassemblent au pied des tilleuls ou des peupliers. Chaque année, les mêmes arbres ou arbustes attirent les Pyrrochoris : ils y retrouvent une même orientation par rapport au soleil et y reçoivent une même odeur. Le groupement n’est pas durable et les individus passent d’un groupe à l’autre.
Chez les vertébrés, certains mammifères – antilopes ou grands car-nivores, par exemple – subissent ce phénomène de foule : ainsi, des individus, souvent d’espèces différentes, sont attirés par une mare en pleine savane sèche et s’y rassemblent alors.
Des animaux sociaux peuvent eux aussi connaître des phénomènes de foule: c’est le cas d’abeilles rassemblées autour d’une coupelle de confiture. Dans ce cas, leur réunion autour de cette provende n’a pas plus de signification que celle de mouches réunies autour d’un morceau de viande.
Les réactions de contact:
D’autres comportements peuvent aussi faire penser à un phénomène social.
Les ophiures sont des échinodermes solitaires vivant sur les algues. Lorsqu’on les place dans un bac d’eau de mer, elles se dispersent d’abord en tous sens. Puis, au bout de quelques minutes, elles se regroupent en amas et entrelacent leurs bras. Ce comportement peut durer plusieurs semaines. On a d’abord pensé qu’il s’agissait là d’une inter-attraction mutuelle (voir plus loin), et donc d’un véritable phénomène social. Il n’en est rien, car le stimulus qui unit les ophiures n’est pas du tout spécifique. Ainsi, si l’on introduit dans le bac des algues ou quelque autre support (filaments de verre, par exemple) elles se séparent, retrouvant leur isolement. Ce comportement d’agglutinement est seulement provoqué par le fait que les ophiures s’enlacent de façon à ce que leurs bras puissent entrer en contact avec un corps solide. Lorsqu’elles ne trouvent pas un tel élément d’appui (première partie de l’expérience), elles s’appuient alors sur leurs congénères pour satisfaire ce besoin et constituent ainsi des paquets. Ce type de groupement a été qualifié de pseudo-social.
On le rencontre aussi chez la cochenille, YOrthezia urticae, étudiée par P. Pesson (1951), ou chez les «buissons» de commatules ou les « nœuds » de Gordius, de némertes ou de lombriciens. Ces groupements pseudo-sociaux ne sont en fait que des foules constituées à partir d’une réaction de contact appelée « thigmotactisme ».
Les relations de neutralité ou commensalisme:
Ici, aucune influence n’est exercée par une espèce sur l’autre. Pourtant, elles entretiennent des liaisons plus ou moins étroites, se rassemblant pour profiter ensemble des mêmes ressources alimentaires.
Parfois, l’un des « associés » s’installe sur son hôte, ou même à l’intérieur de celui-ci, mais sans le gêner, sans se nourrir à ses dépens.
Il ne consomme que l’excédent d’aliments et trouve là son gîte : aucune des deux espèces concernées ne rend un quelconque service à l’autre.
On connaît de nombreux cas de ce genre :
– les célèbres petits poissons pilotes accompagnent les requins chasseurs, les requins baleines ou encore les raies géantes ;
– les balanes (crustacés) se fixent sur les coquilles des moules ou sur les carapaces des crabes ;
– l’hydrozoaire du genre Obelia vit attaché sur les coquilles blanches des Cardium (mollusques) ;
– certains poissons comme les aurins (Fieraster carapus) habitent à l’intérieur du poumon des holothuries (concombres de mer) et ne sortent de leur hôte que pour s’alimenter, sans trop s’éloigner;
– les maquereaux qui accompagnent, eux aussi, les grands barracudas…
La symbiose ou le mutualisme:
Quelquefois, les liens entre les deux espèces deviennent plus étroits : on parlera alors de symbiose si les services que se rendent les individus sont mutuels et, la plupart du temps, indispensables à la survie des deux espèces concernées.
Un certain nombre d’animaux entretiennent ainsi des liens d’intérêt réciproque avec des oiseaux : c’est le cas du crocodile avec le pluvier du Nil, oiseau de la taille d’un merle, qui explore la gueule du reptile tandis que, repu, il est endormi sur la berge. Le pluvian se nourrit des débris restés entre les dents de son hôte et le débarrasse également de ses sangsues et autres parasites. En outre, à l’approche d’un quelconque danger, il pousse des cris stridents qui alertent le crocodile, lui permettant de se réfugier au plus vite dans l’eau.
On observe des comportements similaires chez les hérons garde-bœufs et les pique-bœufs, oiseaux d’Afrique qui vivent auprès des grands pachydermes, des antilopes ou des buffles. Les pinsons Geospiza (pinsons de Darwin) nettoient, quant à eux, les iguanes marins et terrestres, ainsi que les tortues.
Certains poissons vivent en symbiose avec des anémones de mer :
– les poissons anémones (ou poissons clowns) du genre Amphiprion et Premnas
– les gobies avec les anémones sulcatiles (Anemona sulcata)
– mais aussi des crustacés, comme le pagure Bernard-l’Ermite qui loge dans une coquille vide de gastéropode, sur laquelle se perche une anémone de mer.
Mais la symbiose est plus étroite encore entre les termites et les protozoaires (animaux unicellulaires) qui vivent dans leur tube digestif. En effet, ni les uns ni les autres ne pourraient survivre sans cette symbiose : le termite se nourrit de bois, mais ne parvient à le digérer que parce que ces unicellulaires (des Trichonymphas par exemple) transforment la cellulose du bois en sucre…
Les associations phorétiques:
Dans ce type d’association, des animaux se font véhiculer par un individu de leur espèce, ou d’une autre espèce. C’est le cas chez certains coléoptères bousiers, comme les géotrupes, qui attirent les acariens Gamasus, lesquels se fixent à leur cuirasse et se font ainsi aisément transporter d’une bouse à l’autre. Ces comportements présentent un caractère aussi spécifique et impérieux que les véritables associations parasitaires; il ne s’agit donc pas d’une interattraction entre les individus.
Le parasitisme:
Ici, l’une des deux espèces vit entièrement au détriment de l’autre. Les formes de parasitisme sont encore plus nombreuses que celles du commensalisme ou de la symbiose, à tel point qu’on ne connaît pas d’espèce animale qui soit totalement dépourvue d’un ou plusieurs parasites spécifiques.
Les parasites internes:
Ils pénètrent dans les organes et tissus de leurs hôtes, et y vivent. C’est le cas des vers (nématodes, cestodes, trématodes) ou des protozoaires (amibes, sporozoaires flagellés). Ces espèces ont si radicalement transformé leur structure et leur mode de vie en fonction de leur hôte qu’elles ont, en général, perdu toute possibilité de se déplacer ou de se nourrir hors de lui.
Les parasites externes:
Ils vivent à l’extérieur du corps de leur hôte, sur lequel ils se fixent à l’aide de griffes, ventouses ou crochets. Ils se nourrissent de ses aliments, voire de son sang. Ainsi, de nombreuses espèces d’insectes (puces ou poux) ou d’arachnides (tiques) vivent sur la peau des mammifères, oiseaux, reptiles ou insectes. Des crustacés ou des vers vivent aux dépens des poissons et d’autres animaux aquatiques.
Certaines formes de parasitisme ressemblent beaucoup plus aux rapports qui s’établissent entre prédateurs et proies. Ainsi, le coucou de nos régions pratique le parasitisme de couvée. Il peut pondre ses œufs dans le nid de 84 espèces différentes d’oiseaux. La capacité d’adaptation de l’œuf (taille, couleur) et du jeune oiseau (durée d’incubation et comportement) contribue à l’acceptation par l’espèce parasitée. Ce parasitisme de couvée est pratiqué par une centaine d’autres espèces d’oiseaux.
Certains oiseaux, tout aussi parasites à leur manière, se contentent de dérober leurs proies à d’autres espèces. C’est le cas des frégates ou des sternes qui arrachent leurs poissons aux pélicans.
Chez les insectes sociaux, le parasitisme social est pratiqué par quelques espèces de guêpes ou de fourmis. Certaines femelles sont incapables de fonder elles-mêmes une colonie : elles pénètrent alors dans le nid d’une autre espèce. Lorsqu’elles arrivent à dominer les ouvrières du nid investi, elles les forcent à le quitter ou à tuer leur reine.
Chez les fourmis jaunes, la progéniture de la reine parasite sera seule nourrie et élevée, tandis que chez les fourmis rouges (Formica rufa) la femelle parasitante tuera elle-même la reine de la colonie qui l’héberge.
D’autres regroupements suggérant l’existence d’une société n’en forment pas réellement une, comme certaines associations parasitaires actives qui sont le résultat de thermotaxies ou chimiotaxies.
Les associations commensales:
Nous sommes peut-être ici à la frontière entre parasitisme et vie sociétale : il semblerait qu’à une simple attraction unilatérale, se substitue une attraction mutuelle : les pagures entretiennent bien avec leur annélide commensale Nereleipas des relations quasi sociales.
Cependant, si certains des phénomènes que nous venons de passer en revue font penser à des rapports sociaux, par la proximité ou l’intrication des relations établies entre les partenaires, ils en diffèrent dans le sens où la socialité requiert des relations réciproques entre individus d’une même espèce pouvant échanger des signaux intégrés tant par les émetteurs que les récepteurs.
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