L'homme créé son temps
La vie et l’homme
De nos jours, on ne s’interroge plus quotidiennement sur l’origine du monde, celle de la vie ou celle de l’homme. Nous ne cherchons pas tous les jours à retrouver les souvenirs des temps les plus anciens. Mais la quête des origines, si elle ne fait pas l’objet des conversations de comptoir, reste une préoccupation fréquente, pas toujours clairement traduite, mais obscurément ressentie. Remonter le temps pour comprendre le début de toutes choses a toujours été une préoccupation essentielle des hommes, et toutes les sociétés ont créé leur cosmologie, leur création du monde et il n’a pas fallu attendre les grandes religions à dieu unique pour que l’on s’interroge sur l’apparition des hommes. Certains récits des débuts du monde sont à ce point élaborés qu’ils ont étonné les ethnologues qui les ont déchiffrés. Ainsi celui des Dogons du Mali, qui raconte la naissance du monde sous la forme d’une histoire extrêmement compliquée, aux rebondissements incessants, et qui a l’étonnante caractéristique de se baser sur l’observation d’étoiles, dont Sirius et de ses deux compagnons invisibles, dont le second ne fut découvert par les astronomes que récemment. Ainsi que celle de planètes, Mercure, Saturne et Jupiter notamment. Il n’est pas impossible que les Dogons aient eu connaissance de ces phénomènes par des Occidentaux. Mais cela ne retire rien à la richesse de leur relation des débuts du monde. Beaucoup de ces cosmologies ont en commun d’affirmer une très étroite relation, dans l’espace et dans le temps, entre les hommes et tout ce qui les entoure, non seulement les objets terrestres ou célestes, mais aussi les animaux et les végétaux. Tous les hommes, à toutes les époques, ont ressenti l’importance de l’unité du monde et de celle du vivant.
Le goût de nos contemporains pour l’histoire et la préhistoire témoigne de la permanence de cet intérêt pour la recherche des origines. La vogue de la psychanalyse en est une autre preuve. On pourrait également évoquer certaines pratiques très anciennes de religions orientales, comme le bouddhisme ou le taoïsme, où le retour sur le passé le plus lointain possible, l’effort pour abolir le temps, ou pour s’en délivrer, sont des exercices importants, que des millions de fidèles s’efforcent de faire le plus souvent possible, pour transcender la condition humaine et tenter de trouver une paix totale. Le fait que ces pratiques soient très anciennes signifie que le sens du temps a dû apparaître très tôt dans l’espèce humaine. Les premières traces réelles qui peuvent traduire une relation entre l’homme préhistorique et le temps sont des incisions régulières sur des os ou des pierres, datées de 40 000 ou 30 000 ans. Selon le préhistorien André Leroi-Gourhan, ces traits répondraient à un rythme de paroles, ou à l’évocation du rythme primordial qu’ont certainement observé les hommes, celui des battements de leur cœur. D’autres rythmes ont pu donner aux hommes de la préhistoire le sens du temps : l’alternance du jour et de la nuit, le lever et le coucher du Soleil, le passage de la Lune dans le ciel, le retour régulier des saisons, la marche aussi – car ils marchaient beaucoup et souvent, pour rechercher la nourriture, passer d’un territoire de chasse à un autre, et la marche est une cadence primordiale. Ces rythmes ont dû rapidement passer dans des chants, des cris collectifs, des danses. Quand a été inventé le tam-tam ?
La disparition et le retour réguliers du gibier, des fruits, des légumes sauvages ont dû donner aux premiers hommes la notion d’une périodicité du temps, comme le font aujourd’hui le retour régulier du phoque pour les Eskimos, ou de poissons pour d’autres groupes. Cela explique que le temps fut très probablement à l’origine une notion à la fois cyclique et écologique, comme c’est encore le cas pour certaines populations, à notre époque, c’est-à-dire un temps lié aux rythmes de l’environnement et aux activités saisonnières. En fait, il est probable que l’interaction entre l’observation des phénomènes naturels et la vie quotidienne des hommes a donné peu à peu son originalité au temps humain, par rapport au temps cosmique.