L'horloge principale est commandée par les gènes
Si l’on détruit, chez un animal, un groupe d’environ dix mille cellules nerveuses situées à la base de son cerveau, dans une structure qu’on appelle l’hypothalamus, et qui établissent de très nombreuses liaisons entre elles, il ne peut plus suivre ses rythmes essentiels. Des rats auxquels on a fait subir cette ablation ne tournent plus régulièrement, mais par à-coups, dans la cage où ils ont pris l’habitude d’évoluer. Beaucoup d’autres de leurs rythmes sont en même temps perturbés, comme la libération d’hormones, la température, ou l’absorption d’aliments. C’est donc dans ces dix mille neurones que se trouve très probablement l’horloge interne principale, celle qui règle notamment ce rythme d’environ vingt-quatre heures et qui commande les autres horloges de l’organisme, dont on ne connaît pas le nombre ni l’emplacement, mais dont nous allons voir la diversité et l’importance.
On le vérifie aisément en greffant ces neurones, provenant d’un autre animal, sur l’animal chez lequel on les a détruites : ce dernier reprend ses rythmes normalement. Cette horloge principale est individualisée : si on prend le greffon dans le cerveau d’un congénère mutant, qui possède, par exemple, un rythme de vingt-et-une heures au lieu de vingt-quatre, c est ce rythme que va suivre l’animal greffé. La structure qui contient l’horloge principale est certainement très complexe, car on a établi récemment que les groupes de neurones qui la forment oscillent chacun à son propre rythme. Comment ces éléments rythmés de façon différente peuvent-ils donner un signal unique, celui de l’horloge principale ? Pour l’instant, cela reste un mystère. Cette horloge interne commande toutes sortes de fonctions dans l’organisme vivant. Des chercheurs japonais, travaillant sur des rats, ont montré qu’elle provoque la division des cellules, lors de la régénération d’un foie qui avait été partiellement sectionné, sans qu’il soit encore possible d’élucider le mécanisme de cette commande.
Le fonctionnement de cette horloge est héréditaire, inné. Les horloges internes forment donc un système inscrit, depuis très longtemps, dahs ce qui existe de plus essentiel chez tous les êtres vivants, le patrimoine génétique. Elles doivent, par conséquent, être commandées par l’action des grains d’hérédité que sont les gènes : on a déjà identifiés, en effet, huit « gènes-hor- loge » chez plusieurs espèces. Ce sont ces gènes qui, en quelque sorte, indiquent l’heure à l’horloge principale. Le premier a été découvert dès 1970 et baptisé «per» (pour période). Il commande, par exemple, l’éclosion des mouches drosophiles au même moment, entre 6 et 9 heures du matin, lorsqu’elles peuvent déployer leurs ailes sans danger, en profitant de l’humidité de la rosée. Cette éclosion matinale se produit même si on place les mouches dans l’obscurité complète, sans qu’elles puissent donc se régler sur la lumière du jour. C’est grâce à ces mouches que l’on a découvert le gène « per ». En isolant certaines mouches mutantes, qui éclosaient l’après-midi, et en analysant leur patrimoine héréditaire, on s’est aperçu que leur comportement singulier provenait de la mutation d’un gène, devenu anormal, c’était celui de l’horloge interne.
Les biologistes se sont livrés alors à de bien étranges expériences pour vérifier l’action de ce gène. Il ont greffé le cerveau d’une mouche mutante dans l’abdomen d’un insecte ayant un rythme normal d’éclosion : le comportement de ce dernier a été perturbé par l’introduction du gène mutant. Cela a permis, par la même occasion, de vérifier que le système commandant le fonctionnement de l’horloge interne est bien situé dans le cerveau des mouches – comme c’est probablement le cas pour de nombreux autres animaux. Chez les mollusques, l’oscillateur central est placé, non dans le cerveau mais dans l’œil, mais c’est une exception.
Plus tard, on a découvert, notamment sur des souris, d’autres gènes liés aux horloges internes et affiné la connaissance de leur mécanisme, en isolant les protéines produites par ces gènes, dont l’une a, bien entendu, été appelée « clock » (« montre » en anglais). Ces protéines captent la lumière et, en fonction de son intensité, transmettent un signal à l’horloge. Ce sont les oscillations de la concentration de ces protéines qui déclenchent les rythmes internes. On a pu vérifier que l’action de ces gènes, qui codent des protéine, est commun à tous les êtres vivants, y compris l’homme : dans l’hérédité d’une famille américaine, dont tous les membres avaient la particularité de tomber littéralement dans le sommeil dès 19 h 30 et de se réveiller vers 4 h 30, les biologistes ont identifié une mutation liée à l’un des gènes commandant le rythme du sommeil et provoquant ce qu’on appelle une « avance de phase », correspondant à un endormissement précoce.